Abbé Alexandre Denou, secrétaire général de la Conférence épiscopale du Mali Abbé Alexandre Denou, secrétaire général de la Conférence épiscopale du Mali 

Mali : L’Eglise a toujours prôné le dialogue, soutient l’Abbé Denou

Secrétaire général de la conférence épiscopale du Mali, l’Abbé Alexandre Denou s’exprime sur les changements politiques survenus au Mali le mardi 18 août, avec notamment la renonciation au pouvoir du président Ibrahim Boubacar Keïta, forcé à la démission par un groupe de militaires. Entretien.

Jean-Pierre Bodjoko, SJ* - Cité du Vatican

Depuis hier, l’actualité politique a enregistré des changements dans votre pays. Comment se présente la situation aujourd’hui ?  

Comme vous l’avez dit, hier, suite à une action militaire, le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, a présenté sa démission. Il a aussi dissout l’Assemblée nationale et le gouvernement. Un groupe de militaires s’est constitué en « comité national pour le salut du peuple » qui va désormais diriger le pays. Aujourd’hui, concrètement, la situation est calme.

Comment entrevoyez-vous l’avenir. Pensez-vous que ces changements politiques vont stabiliser le pays, après cette longue période de manifestations populaires. Votre pays va-t-il connaître des avancées démocratiques ?

En général, la prise du pouvoir par la force ne fait pas avancer la démocratie. Et le Mali est confronté à une crise sécuritaire depuis plusieurs années déjà. Il n’est pas certain que cette situation va forcément faire avancer le pays. Mais, il faudrait que les militaires qui ont pris le pouvoir puissent donner la main, non seulement aux différentes organisations, comme ils l’ont dit, mais surtout travailler à restaurer l’autorité de l’Etat et rétablir la sécurité que nous attendons depuis plusieurs années déjà.

Plusieurs pays de la région, des organisations régionales comme la CEDEAO ou encore la communauté internationale ont condamné les actes qui se sont déroulés au Mali. Comment réagissez-vous face à ces différentes condamnations ?

Ces différentes condamnations ne facilitent pas la situation sur place. Il va falloir travailler avec les autres, car le Mali ne peut pas être isolé. Il va donc falloir chercher à négocier et, si possible, se repositionner.

Pensez-vous que les Maliens sont contents de ce qui s’est déroulé dans le pays ?

Ce coup d’Etat, si on peut l’appeler ainsi, a surpris tout le monde. Nous avons vu que certains manifestants étaient contents et ont soutenu les militaires. Mais, il faudrait attendre encore un peu pour se situer par rapport aux différentes positions des uns et des autres.

Depuis un certain temps, l’Eglise n’a pas fait beaucoup de déclaration. Est-ce par prudence ? Quelle est sa position face à tout ce qui se passe ? 

Depuis le début, l’Eglise a beaucoup travaillé. Elle s’est unie aux autres confessions religieuses pour avoir une voix commune. Ainsi, elle a tenu à rester dans la fidélité avec les autres confessions qui se sont organisées en cadre d’actions, de veille et de médiation, avec quelques organisations de la société civile. L’Eglise n’a pas eu une parole privée, mais elle a été très active pendant ce temps que le Mali a vécu. L’Eglise a toujours prôné le dialogue, en demandant à ce que les différentes parties acceptent de s’entendre et de s’asseoir à la même table pour trouver une solution. Tout récemment, on nous avait soumis le projet d’accord politique et social de sortie de crise. Mais, l’Eglise a dit que, compte tenu de sa mission spirituelle et aussi de sa mission de médiation, elle ne peut pas se prononcer sur ce projet d’accord politique et social, puisque notre mission est de faciliter le dialogue. Donc, ce sont les partis, c’est-à-dire ceux qui sont les acteurs, qui doivent s’entendre et trouver un consensus. Une fois cela fait, l’Eglise pourra les accompagner à travers des conseils et des prières. Et, depuis, nous prions pour la situation du pays, des neuvaines et des jeûnes sont organisés pour que le Mali puisse retrouver la paix ainsi que la réconciliation.

En 2012 déjà, les militaires sont intervenus dans le changement de régime dans votre pays. Huit ans après, le même scénario se reproduit. Comment trouver un équilibre politique dans votre pays ?

Ce n’est pas facile. Nous n’avons pas encore trop compris le concept de démocratie et acquis la maturité politique qu’il faut pour vivre cette démocratie et la mettre en œuvre, de manière efficace. Il faut encore que les Maliens bénéficient d’une grande formation. Nous avons besoin de conversion et de changement de mentalités. Les politiciens, qui doivent former les gens, se préoccupent plutôt des élections. Une fois que ces dernières sont organisées, ces politiciens cherchent les suffrages des Maliens. Mais, après cela, tout est fini. On a vraiment besoin d’une formation des Maliens à la démocratie. Il n’est pas souhaitable que le pays puisse vivre des coups d’Etat successifs. Et l’Eglise a toujours a toujours demandé qu’il y ait cette stabilité à laquelle elle est attachée. Depuis 1991, année de l’avènement de la démocratie au Mali, des trois présidents qui ont dirigé le pays, seul Alpha Oumar Konaré a fini son mandat. Amani Toumani Touré n’a pas pu finir le sien et encore moins Diocounda Traoré. Et maintenant c’est Ibrahim Boubacar Keïta qui a démissionné avant la fin de son mandat. Ce n’est pas honorable pour la démocratie malienne.

*Twitter : @JPBodjoko E-mail : jeanpierre.bodjoko@spc.va

L’Abbé Alexandre Denou au micro de Jean-Pierre Bodjoko, SJ

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19 août 2020, 19:10