Mort de Jean Vanier, un géant de la tendresse de Dieu
Adélaïde Patrignani - Cité du Vatican
Affaibli par un cancer, Jean Vanier était entré depuis plusieurs jours en soins palliatifs dans une maison médicale de Paris, où il s’est éteint ce mardi. «Jean nous a quittés au terme d'une longue vie d’une exceptionnelle fécondité. Sa communauté de Trosly, l’ensemble de L’Arche, Foi et Lumière, de nombreux autres mouvements et des milliers de personnes auront été nourris de sa parole et de son message», ont déclaré les deux responsables de L’Arche Internationale en annonçant son décès. La messe d’obsèques de Jean Vanier sera célébrée le 16 mai 2019, à 14 heures, à Trosly-Breuil (Oise, France).
«Le Saint-Père a été informé de la nouvelle du décès de Jean Vanier. Il prie pour lui et pour toute la communauté de l'Arche», a assuré quant à lui Alessandro Gisotti, directeur ad interim de la Salle de Presse du Saint-Siège.
Un fondateur au service de la dignité humaine
L’œuvre principale de Jean Vanier est L’Arche, qu’il fonde en France, dans le village de Trosly-Breuil, en 1964. Cette modeste fondation est devenue une Fédération internationale présente aujourd’hui dans 38 pays, avec environ 10 000 membres ayant un handicap mental ou pas. Les communautés de L’Arche regroupent plusieurs foyers de vie partagée entre des personnes en situation de handicap mental et les salariés ou volontaires qui les accompagnent.
Puis en 1971, Jean Vanier cofonde le mouvement Foi et Lumière, une organisation internationale qui rassemble des personnes en situation de handicap intellectuel, leur famille et leurs amis autour de moments partagés. Artisan de paix, amoureux de l'Évangile, Jean Vanier n’a jamais cessé de témoigner de la richesse de la vie partagée et de la fraternité avec les plus fragiles, en voulant contribuer à rendre aux personnes ayant une déficience intellectuelle leur dignité et leur place dans la société.
«Les personnes ayant un handicap mental nous révèlent ce que c’est qu’être humain» aimait-il à répéter. «Je crois profondément que Dieu se cache dans le cœur du plus petit d’entre nous, dans le plus faible de tous, et si nous nous engageons auprès du plus petit, nous ouvrons un monde nouveau», estimait aussi celui qui ne se lassait pas de témoigner à travers des livres et des conférences. On lui doit une quarantaine d’ouvrages relatant l’expérience de L’Arche et affirmant le rôle essentiel des personnes handicapées dans l’édification d’une société plus humaine. Homme aux multiples talents rendus féconds par le service du prochain, “prophète de la tendresse”, Jean Vanier a toujours été marqué par les souffrances éprouvées par les hommes de son temps. Il était extraordinairement présent aux personnes qu'il rencontrait. «Tu es plus beau que tu ne penses !», disait-il à chacun.
De la marine aux flots de la charité
Fils d’un diplomate canadien, Jean Vanier naît le 10 septembre 1928 à Genève. Il est l’avant-dernier d’une fratrie de cinq enfants. À 13 ans, il s’engage au Collège de la Royal Navy à Dartmouth (Royaume-Uni), en pleine Seconde Guerre mondiale, pour se destiner à une carrière militaire. En 1945, son père étant alors ambassadeur du Canada en France et sa mère déléguée de la Croix-Rouge, Jean participe à l’accueil des survivants des camps de concentration à Paris. Il en est bouleversé.
À 22 ans, il quitte la marine «pour suivre Jésus et œuvrer à la paix». Cette quête spirituelle s'est transformée au fil du temps par une amitié toujours plus profonde avec Jésus-Christ. En septembre 1950, il rejoignit l’Eau vive, un centre de formation théologique pour laïcs. Il s’y installa afin de suivre des études en vue de devenir prêtre. Il passe également une année à l’abbaye cistercienne de Bellefontaine, puis se tourne vers des études de philosophie. Après des années de formation en France et au Canada, il obtient en 1962 un doctorat en philosophie et devient enseignant, notamment à Toronto. Mais en 1964, il découvre les conditions de vie sordides des personnes handicapées dans les asiles psychiatriques : «j’ai découvert un vaste monde de souffrance que j’ignorais absolument. J’avais été dans un monde d’efficacité dans la marine ou un monde intellectuel à travers les études. Et là j’étais devant un monde d’appel et cela m’a bouleversé», explique-t-il plus tard.
Touché par la détresse de deux personnes internées, Raphaël Simi et Philippe Seux, il décide de s’installer et de vivre avec eux. En juillet 1964, il trouve une maison à Trosly-Breuil, village de l’Oise, au Nord de la région parisienne. C’est le début de L’Arche. Dans ce foyer, les trois hommes partagent une vie quotidienne simple, faite d’entraide et d’amitié. Très rapidement, cette vie fraternelle organisée autour des personnes fragiles fait de nombreux émules. Les «foyers» se multiplient en France et dans le monde: Canada en 1969, Inde en 1970, Côte d’Ivoire en 1974, Haïti en 1975, Australie en 1978… Sur les cinq continents, dans des contextes religieux et culturels très divers, cet art de «vivre ensemble» se répand largement.
L’Arche, «une histoire d'émerveillement»
Dans les communautés de L’Arche, accompagnants et accompagnés tissent des relations mutuelles qui vont au-delà de l’aide et du travail. Ensemble, les membres de L’Arche, qu’ils aient ou non une déficience intellectuelle, construisent leur vie communautaire: participation aux tâches, aux décisions, aux réflexions, aux fêtes et rassemblements, au souci les uns des autres. Chacun est invité à contribuer à la vie ensemble, selon ses aptitudes et ses désirs.
Dès 1981, Jean Vanier ayant préparé sa relève, il se retire des responsabilités exécutives de L’Arche, tout en restant vivre dans sa première communauté de Trosly. Il se consacrait depuis lors à sa mission d’artisan de paix et de témoin de fraternité avec les plus humbles. Il méditait chaque jour la Parole de Dieu, dans un esprit d'érémitisme et de contemplation qui ne l'avait jamais quitté. Jean était aussi un homme de relations. Jusqu'aux dernières années de sa vie, il recevait chez lui beaucoup de visiteurs du monde entier, de toutes origines et de toutes conditions.
Sans se départir d'une profonde humilité, Jean Vanier reçoit de nombreuses récompenses, dont la Légion d’honneur, le titre de Compagnon de l’Ordre du Canada en 1989, le prix Pacem in Terris en 2013 et le prix Templeton en 2015. En 1997, saint Jean-Paul II lui remet le prix international «Paul VI». «L'Arche est devenue un germe providentiel de la civilisation de l'amour, un germe véritable et porteur d'un dynamisme évident. […] Malgré sa croissance et sa diffusion, l'Arche a su conserver le style des origines, un style d'ouverture et de partage, d'attention et d'écoute, qui considère toujours l'autre comme une personne à accueillir et à respecter profondément. Sans aucun doute, cela tient à la dimension spirituelle que Monsieur Jean Vanier a toujours su mettre au centre de la communauté de l'Arche. C'est là un message éloquent pour notre temps assoiffé de solidarité, mais surtout de spiritualité authentique et profonde», déclarait le Saint-Père à cette occasion.
Le 21 mars 2014, Jean Vanier rencontre le Pape François lors d'une audience privée. Nous l’avions alors interrogé. «L'histoire de L'Arche est une histoire d'émerveillement», confiait-il, «les personnes avec un handicap nous forment et nous rendent plus humains».
Sources: eglise.catholique.fr, arche-france.org, larche.org
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici