La dévotion à Marie, une source de résilience et de guérison pour le Liban
Cyprien Viet – Cité du Vatican
Le Liban continue à panser ses plaies après l’explosion qui a dévasté le port de Beyrouth le 4 août dernier, faisant plus de 180 morts et de 6500 blessés. Trente ans après la fin de la guerre civile, le Pays du Cèdre demeure extrêmement fragile, cette catastrophe s’ajoutant à une longue série de drames et de difficultés souvent liées aux pressions extérieures.
Cependant, dans l’histoire comme dans l’actualité, le peuple libanais a démontré sa résilience, sa capacité à rebondir, à reconstruire. La motivation de cet élan se trouve souvent dans la foi profonde de nombreux Libanais. Tout comme l’attachement à saint Charbel, dont le rayonnement au Liban est comparable à celui de Padre Pio en Italie, la piété mariale constitue un lien fort au-delà des frontières confessionnelles entre chrétiens et musulmans.
De très nombreux Libanais vouent une intense dévotion à la Vierge Marie, représentée en de multiples lieux, dans les rues, les maisons, et bien sûr dans les églises et les sanctuaires. Les tragédies multiples vécues par le Liban au fil des décennies, de la famine de 1915-1918 à la guerre de 1975-1990, n’ont pas empêché les Libanais de se tourner vers Marie pour se rapprocher de Dieu.
Marie, source de consolation dans les catastrophes
L’actualité récente donne aussi des illustrations de cet ancrage spirituel du Liban. Le traumatisme de l’explosion du 4 août reste vif dans la population libanaise, mais de nombreux habitants de Beyrouth se considèrent comme des miraculés. Le bilan aurait en effet pu être bien plus lourd compte tenu de la puissance de la déflagration. Beaucoup affirment avoir été protégés par la Vierge Marie, et même certains de ceux qui ont subi des blessures, des deuils et des pertes matérielles voient Marie comme une médiatrice de guérison et de consolation divine.
Pascale Debbane travaille habituellement au Vatican, en tant que coordinatrice Moyen-Orient pour la Section "Migrants et Réfugiés" du Dicastère pour le Service du Développement humain. De retour pour l’été dans son Liban natal, elle a été confrontée directement aux conséquences de l’explosion. Son appartement, dans le quartier chrétien de Achrafieh, a en effet été dévasté par le souffle de l’explosion et plusieurs de ses amis ont été blessés.
«Ils ont été très atteints. Cela leur a pris cinq heures pour arriver à un hôpital, et l’une d’elles a perdu beaucoup de sang, ils ont dû la porter pour arriver à l’hôpital, raconte-t-elle avec émotion. Et le lendemain, quand j’ai nettoyé le sang qui était dans mon appartement, m’est venue à l’esprit la scène de “Passion of Christ” quand Marie est en train d’essuyer le sang de Jésus, après sa flagellation, durant sa Passion. Et tout de suite, parce que j’étais en train de prier en nettoyant le sang, j’ai demandé au Seigneur qu’il unisse ce sang à Son sang, pour qu’on puisse vivre une vraie Résurrection pour le Liban.»
Ce terme de "Résurrection" revient dans les phrases de nombreux Libanais, fatigués par les catastrophes, l'effondrement économique et l'enlisement institutionnel, mais qui aiment encore leur nation et veulent la reconstruire, lui redonner dignité et fierté, dans la continuité des deux millénaires d'inscription du christianisme dans une "âme libanaise" qui a survécu aux séismes, aux guerres, aux invasions, aux crises de toute sorte.
Une dévotion mariale ancrée dans la tradition biblique
Le Liban, une terre citée 72 fois dans la Bible, est considéré comme une Terre Sainte, car ses chemins ont été parcourus par Jésus. Si des doutes subsistent sur la localisation précise de l’épisode des Noces de Cana, il est acté que le Christ s'est rendu en certaines occasions dans des lieux correspondant au Liban actuel car les Évangiles font clairement mention du «Pays de Tyr et de Sidon». En lien avec cet ancrage, parmi les 3000 sites religieux que concentre le territoire du Liban actuel, le sanctuaire de Notre-Dame-de-l’Attente, près de Saïda, au sud du pays, a été bâti près d’une Grotte où, selon la tradition, Marie attendait son Fils lors de ses visites dans la région.
Cette dimension de Terre Sainte revendiquée par le Pays du Cèdre puise aussi ses racines dans l’Ancien Testament, notamment dans cet extrait du Livre de Ben Sirac le Sage : «Je me suis enracinée dans un peuple glorieux, dans le domaine du Seigneur, dans son héritage : j’habite au milieu de l’assemblée des saints. Je me suis dressée comme un cèdre sur le Liban, un cyprès dans la montagne de l’Hermon. » Certains Psaumes et le Cantique des Cantiques font aussi référence au Liban.
La vocation du Liban comme un «pays-message»
Le Liban a donc une responsabilité spécifique dans l’histoire de l’humanité et dans le Plan de Dieu, en tant que «pays-message» selon l’expression utilisée par le saint Pape Jean-Paul II lors de sa visite à Beyrouth en 1997. Le Pape polonais, imprégné de spiritualité mariale et très sensible au message de Marie lors des apparitions de Fatima, avait multiplié les appels et les prières pour le Liban dès son installation sur Siège de Pierre en 1978, alors que le pays traversait une guerre mettant en péril sa survie même. Dans son Message à tous les Libanais du 1er mai 1984, Jean-Paul II confie les intentions du peuple libanais à «la Sainte Vierge, invoquée sous le nom de Notre-Dame du Liban, elle qui, les bras ouverts depuis la colline de Harissa, propose à tout Libanais son sourire et sa tendresse comme pour rappeler que seul l’amour fait de grandes choses!»
Son successeur Benoît XVI avait choisi le Liban pour son dernier voyage apostolique, en septembre 2012, mettant lui aussi en valeur la figure de Marie comme une source d’unité pour le peuple libanais. «Du haut de la colline de Harissa, elle vous protège et vous accompagne, elle veille comme une mère sur tous les Libanais et sur tant de pèlerins, venant de tous les horizons pour lui confier leurs joies et leurs peines! Ce soir, confions à la Vierge Marie et au bienheureux Jean-Paul II qui m’a précédé ici, vos vies, celles de tous les jeunes du Liban et des pays de la région, particulièrement ceux qui souffrent de la violence ou de la solitude, ceux qui ont besoin de réconfort», avait-il confié dans son salut aux jeunes.
Le Pape François, qui ne s'est pas encore rendu sur place, a lui aussi souvent fait référence à la place spécifique de Marie dans le cœur des Libanais, comme ici lors d'un appel lancé en octobre 2019, dans le contexte des manifestations qui réclamaient la chute du gouvernement: «Je prie la Vierge Marie, Reine du Liban, afin que, avec l'appui de la communauté internationale, ce pays continue d'être un lieu de coexistence pacifique et de respect de la dignité et de la liberté de chacun, dans l'intérêt de la région du Moyen-Orient», avait-il alors déclaré.
Un pays qui doit son unité à Marie
Pour de nombreux Libanais, l’existence même de ce pays est liée à la figure de Marie. Les jalons posés dans l’histoire furent nombreux. C’est par exemple à l’occasion du cinquantenaire de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception par le bienheureux Pape Pie IX en 1854 que fut décidée en 1904 la construction du sanctuaire de Notre-Dame-du-Liban sur la colline de Harissa, qui sera inauguré quatre ans plus tard, dans un territoire encore alors sous domination ottomane.
Cinquante ans plus tard, dans le cadre de l’Année mariale 1954, le Pape Pie XII adressera un message chaleureux aux participants au Congrès marial national organisé à Beyrouth. «Une telle piété mariale est un gage d'espérance pour votre cher pays», se réjouit alors le Pape. Évoquant le nom de Notre-Dame-du-Liban donné au sanctuaire de Harissa, Pie XII explique alors que ce titre «rappellera la place souveraine de Marie dans les destinées de votre patrie, et il sera, aux heures sombres, le céleste paratonnerre qui détournera de votre ciel les nuages de discorde ou de division qui tenteraient de l'obscurcir».
L'existence du Liban est liée à sa responsabilité spirituelle
Aujourd'hui au Liban, la dévotion mariale n'est pas considérée comme une forme de prière désuète ou réservée aux personnes âgées. Bien au contraire, de nombreux jeunes portent médailles et chapelets et vivent l'attachement à Marie au quotidien. Alors que dans le reste du monde et notamment en Occident, beaucoup de personnes se détournent de la piété mariale, le phénomène inverse s’observe au Liban, avec un regain de participation aux pèlerinages locaux ou internationaux, notamment à Rome, Lourdes, Fatima et Medjugorje, mais aussi la formation de nombreux groupes de prières du Rosaire. En 2010, un vaste consensus politique et social a accompagné l’instauration de la date de l'Annonciation comme fête nationale, réunissant chrétiens et musulmans autour de Marie.
«Le 25 mars est une fête nationale qui réunit tous les Libanais autour de leur Mère Céleste, explique Adeline Khouri, une jeune ingénieure très attachée à la prière du Rosaire. Le Liban, c’est un message dans la victoire de la vie en communauté, de l’amour, de la paix, des valeurs. C’est grâce à Marie que le Liban va pouvoir transmettre son message au monde et réaliser sa mission, la mission spécifique que Dieu a demandé au Liban.»
La consécration du Liban au Cœur immaculé de Marie, en juin 2013, fut aussi une occasion de renforcer la conscience d’une spécificité libanaise au sein d’un espace moyen-oriental fracturé, et marqué notamment par un conflit d’une extrême violence chez le grand voisin syrien. Le fait que le Liban ait résisté aux tentatives d’intrusion de Daech et ait préservé sa souveraineté et sa paix, d'une façon certes précaire et relative, est considéré par beaucoup comme un miracle. La géopolitique, en effet, ne peut expliquer à elle seule la survie d’un État si fragile, petit et disposant de peu de ressources matérielles. L’existence du Liban est donc intimement liée à la foi. L’énergie spirituelle des Libanais leur a donné la force de résister aux déstabilisations extérieures et de développer un sens de la solidarité qui s’exprime aussi dans la diaspora libanaise autour du monde.
Marie, une Mère pour tous ceux qui cherchent Dieu
Sœur Marie-Raymonde Alam, fondatrice du mouvement À toi Marie et ancienne responsable de l’accueil des pèlerins francophones à Medjugorje, diffuse depuis près de 20 ans la dévotion mariale dans les paroisses, les familles et les communautés du Liban. Elle organise actuellement la construction d’une Cité mariale dans le diocèse de Jounieh, à quelques kilomètres de Beyrouth, voulant transformer ce lieu en un signe de reconstruction, d’unité et de paix pour l’avenir du Liban.
Émue par le sacrifice des sauveteurs, dont beaucoup ont perdu la vie lors de la catastrophe du 4 août et sont maintenant considérés comme des «âmes saintes», la religieuse explique que la résilience et la guérison des Libanais puise ses racines dans leur foi et dans leur dévotion mariale. «Pour nous, les Libanais, le Seigneur est notre force, notre soutien, notre berger, notre sécurité. On l’a vu pendant toutes les années de guerre. On a été protégés, soutenus par la grâce de Dieu. Combien de fois on a failli mourir et par miracle on a été sauvés ! Le Libanais compte vraiment sur le Seigneur, il s’appuie sur son Dieu, il s’appuie sur la Sainte Vierge» insiste-t-elle en soulignant que malgré toute la corruption, toute la violence, tous les péchés qui blessent les cœurs des Libanais, une très grande partie de la population reste ouverte à la grâce de Dieu, avec la médiation de Marie.
Et cette unité du peuple libanais autour de Marie, au-delà des frontières confessionnelles, trouve parfois des illustrations étonnantes, comme le prouve cette anecdote racontée par sœur Marie-Raymonde : «Yahia est un ami musulman, libanais, et un jour, il m’appelle de bon matin et il me dit : “Lève les yeux vers le ciel, et rend grâce à Dieu”. Alors je lui ai dit: "Mais pourquoi Yahia, pourquoi tu m’appelles si tôt le matin ?” Il m’a dit : “J’ai fait un vœu à la Sainte-Vierge, et qui s’est vite réalisé. J’ai promis à la Sainte Vierge de t’offrir un voiture pour que tu puisses aller à la messe tous les jours.” Et la voiture, c’était une Fiat, comme le “Fiat” de Marie, et avec une clé bleue! Amen! Merci Seigneur, gloire à Dieu!», s'exclame la religieuse avec reconnaissance.
Signe de l’humour et de l’amour de Dieu, cette histoire prouve peut-être mieux que tout signe spectaculaire à quel point le Pays du Cèdre, au-delà de ses drames et de ses crises, demeure une terre dans laquelle le souffle de Dieu a pris racine dans le cœur des croyants qui, sous la protection de Marie, se sont rendus disponibles à l’accueil de la grâce et à une fraternité radicale. Trouver en Marie une Mère commune permet ainsi de se reconnaître frères et sœurs, liés par un destin commun à bâtir ensemble.
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