La consécration au Cœur Immaculé de Marie, un acte de foi dans l’adversité

Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

Depuis le début de la guerre en Ukraine, il y a un mois, le Pape François condamne sans relâche les actes de violence, et multiplie les appels à prier pour la paix. En cette solennité de l’Annonciation, c’est vers la Vierge Marie qu’il se tourne, pour un acte spirituel fort. Près de deux ans après la Statio Orbis, qui a marqué les esprits des fidèles catholiques dans la tempête de la pandémie, François montre à nouveau, dans la tourmente de la guerre, qu’il est essentiel de se tourner vers Celui à qui «rien n’est impossible». Ce vendredi soir à 17h00, lors d’une célébration pénitentielle en la Basilique Saint-Pierre, le Souverain Pontife consacrera la Russie et l’Ukraine au Cœur Immaculé de Marie, en communion avec les évêques du monde entier, auxquels il a demandé de prononcer eux aussi cette prière.

Le cardinal Konrad Krajewski, aumônier apostolique, l’effectuera en même temps au sanctuaire de Fatima, en tant qu'envoyé du Pape. Car cet acte fait bien sûr écho à l’apparition du 13 juillet 1917 près de la ville portugaise de Fatima. La Vierge avait alors demandé à trois jeunes bergers la consécration de la Russie à son Cœur Immaculé, annonçant des malheurs si cette demande n’était pas respectée.

Plusieurs Souverains Pontifes ont réalisé des actes de consécration au Cœur Immaculé de Marie, en incluant la Russie: Pie XII le premier, en 1942, ou encore, il y a 38 ans jour pour jour, Jean-Paul II, qui a confié tous les peuples à la protection de Notre-Dame. Alors pourquoi effectuer à nouveau cette démarche ?

C’est ce que nous avons demandé à Dom Gilbert Degros, père abbé de l’abbaye trappiste de Rochefort en Belgique. Il a suivi la rédaction du livre de Jean-François de Louvencourt, frère de sa communauté, François et Jacinthe de Fatima, Deux petites étoiles de lumière dans la nuit du monde (Éditions de l’Emmanuel).

Il revient d’abord sur le sens du mot «consécration».

Il faut d’abord préciser que ce terme de consécration à Marie fait partie de la piété de l’Église latine. Il faut aussi savoir que tous ces actes de consécration font partie de la piété récente – cela veut dire tout de même plusieurs siècles. Un des grands promoteurs de ce mot «consécration» fut saint Louis-Marie Grignion de Montfort, au 17e siècle. Il faut chercher l’origine de toutes ces consécrations soit au Sacré-Cœur, soit à la Vierge Marie, des personnes et des peuples, dans une suite non liturgique du sacrement du Baptême, du rituel du Baptême.

Au Moyen-Âge, à la suite du baptême, il y avait un rite populaire qui consistait à consacrer le nouveau-né ou baptisé à la Vierge Marie. Il y avait trois protagonistes : la Vierge, les parents et l’enfant. Remettre le nouveau baptisé dans les mains de Marie, confier la destinée d’un enfant à Marie, au moyen d’une prière, c’est le noyau et la source de toutes les consécrations apparues à la suite dans l’Église latine.

Si on regarde le Directoire sur la piété populaire dans l’Église, on dit bien que ce mot «consécration» est un terme pris au sens «large et impropre». On dit par exemple «consacrer les enfants à la Vierge Marie», alors qu’en réalité, on entend plutôt «les placer sous la protection de la Vierge et solliciter sa protection matérielle». Voilà pour le mot «consécration».

Et une consécration au Cœur Immaculé de Marie, qu’est-ce que cela signifie ?

Tous les mots ont leur valeur. Le cœur dans la Bible est l’organe de l’amour et de la prière. Le cœur de la Vierge Marie est totalement limpide. Il est totalement pur, puisqu’il n’y a en Marie aucune trace de péché, en vertu de son Immaculée Conception. Le cœur de la Vierge Marie est un cristal extrêmement pur, où vient jouer la lumière divine. Sachant cela, nous ne pouvons pas oublier ce que dit saint Thomas d’Aquin à propos de la prière : «Dieu exauce nos prières dans la mesure où nous sommes ses amis» - in proportionem amicitiae nostrae. Notre propre cœur est loin d’être pur, par conséquent notre intercession est faible et fragile. C’est pourquoi nous allons spontanément mettre dans le Cœur Immaculé de Marie toutes nos demandes, toutes nos requêtes, et ainsi présenter au Seigneur par l’intercession toute-puissante de Marie – «toute-puissante» car elle est la mère de Dieu et que son cœur est pur – en étant alors dans les conditions d’obtenir ce que nous demandons au Seigneur.

C’est ce que la Vierge a demandé à Fatima le 13 juillet 1917 : que l’on procède à la consécration de la Russie à son Cœur Immaculé. Vingt-cinq ans plus tard, l’Église va obtempérer au souhait de la Vierge Marie, et il y aura une première consécration au Cœur Immaculée de Marie, faite le 31 octobre 1942, en pleine Seconde guerre mondiale. Le Pape Pie XII va consacrer le monde entier au Cœur Immaculé de Marie.

Cette consécration (du 25 mars 2022) correspond à la demande de Marie à Fatima, mais celle-ci a été formulée en 1917 : ne s’inscrivait -elle pas dans un contexte historique particulier, avec la menace communiste, qui n’est plus le même aujourd’hui ? Quelle est donc la pertinence d’une consécration au Cœur Immaculée de Marie aujourd’hui ?

Il faut bien dire que jusqu’en 1984, on n’a pas osé citer la Russie. Pie XII n’a pas cité la Russie en 1942. En 1952, lorsqu’il va reprendre cette consécration, il ne parlera pas non plus de la Russie. Le Pape Jean-Paul II va consacrer à nouveau le monde entier à la Vierge Marie en 1981. Il sort alors de la clinique Gemelli, après l’attentat, et le jour de la Pentecôte, il consacre le monde entier à la Vierge Marie, mais il ne citera pas non plus la Russie. En 1984, il y a le grand acte que pose le Pape, le 25 mars. En union avec tous les évêques du monde, il consacre et offre à nouveau le monde à la Vierge Marie, avec mention de la Russie in pectore. Il ne faut pas oublier que nous sommes à cette époque-là dans la période de la Guerre froide. Donc ce serait très dangereux de citer la Russie à ce moment-là.

Toujours est-il qu’en l’an 2000, sœur Lucie, la dernière survivante de Fatima, dira que ce que le Pape Jean-Paul II a fait en 1984 correspond totalement à ce qu’attendait la Vierge Marie.

 Après cela, le Pape François, le 13 octobre 2013, refait une consécration de l’humanité à la Vierge Marie.

On peut s’interroger aujourd’hui : n’y a-t-il pas une «inflation», tellement il y a eu de consécrations à la Vierge Marie ?

Je ne pense pas, car toutes ces consécrations ne sont que la reprise, à des moments difficiles de l’Histoire, dans des contextes nouveaux, de cette première et fondamentale consécration faite par Pie XII dans la Basilique Saint-Pierre en 1942. Nous approfondissons cela.

Un approfondissement, dans quel sens ?

Le Pape va à nouveau faire une consécration du monde entier, et cette fois-ci en nommant la Russie et l’Ukraine, c’est cela qui est très nouveau et très important. En faisant cela, le Pape reprend sans cesse la consécration de 1942, et il va nous enseigner qu’il croit. Il croit à la toute-puissance de la prière et à la toute-puissance de l’intercession de la Vierge Marie. Le Pape a déjà dit plusieurs fois que cette guerre était démoniaque. Devant une action démoniaque, la prière est l’arme la plus puissante. Mais le croyons-nous vraiment ? Fondamentalement, nous sommes devant quelque chose de démoniaque, et le Pape le souligne très bien. Je pense qu’il faut le remercier beaucoup de faire ça, car il nous entraîne dans l’acte qu’il va poser.

À Fatima, la Vierge Marie a expliqué : «si l’on écoute mes demandes, la Russie se convertira et l’on aura la paix». De quelle conversion parle-t-on aujourd’hui ?

«Se convertira» à une vie chrétienne, à la vie chrétienne qui est celle de la Russie, de la Sainte Russie. Ce n’est certes pas la conversion du monde russe à l’Église catholique, ce n’est absolument pas de cela qu’il s’agit. Mais c’est plutôt retrouver les racines de la foi du peuple russe. Je pense que c’est de cela qu’elle parle, et qu’elle parle pour nous tous. Elle s’adresse à la Russie, mais cette parole s’adresse aussi à nous tous.

Quel regard pourraient poser les Russes sur cette consécration, qui a lieu dans le cadre d’une cérémonie pénitentielle ?

Il faut savoir qu’il y a en Russie et en Ukraine trois Églises de rite byzantin. Il y a d’abord l’Église gréco-catholiques. Ceux.ci vont entrer très facilement dans la démarche du Pape, puisqu’ils sont catholiques. Comme ils sont profondément latinisés, il n’y aura pour eux aucune difficulté à entrer dans la démarche de consécration, et ils se sentiront certainement très soutenus.

Il y a les orthodoxes grecs attachés à Constantinople. Il faut bien savoir que le monde orthodoxe ne s’intéresse pas au catholicisme comme nous, catholiques, nous nous intéressons à eux. Les grecs orthodoxes de Constantinople sont bienveillants, mais je ne les vois guère entrer dans cette démarche et la comprendre.

Les orthodoxes attachés à Moscou n’ont, je pense, pas tellement d’intérêt pour ce genre de chose. Et ils ne le sauront même pas, car ils s’intéressent très peu à ce qu’il se passe dans le catholicisme.

Mais, ce qui est important de souligner, c’est que tous – gréco catholiques, grecs orthodoxes, orthodoxes de Moscou – ont la même réaction que nous. Toutes les Églises orthodoxes dans le monde adressent d’instantes prières à la Mère de Dieu pour obtenir la paix. Et ils le font, bien sûr, par les chemins qui sont les leurs, c’est-à-dire les hymnes acathistes qu’ils multiplient, ou par la vénération des icônes. C’est leur façon d’intercéder auprès de la Mère de Dieu pour la paix. Elle est égale à la nôtre, je pense.

Pour les catholiques d’Ukraine, comment peut être perçu le fait que l’Ukraine et la Russie soient associées pour cette consécration ?

Je pense que ce sera bien perçu, car il y a une unité de foi qui est là, fondamentale, et que la prière à la Vierge Marie est bien sûr la bienvenue.

Dans quelle mesure les fidèles, quelle que soit leur nationalité, sont aussi concernés par cet acte de consécration ?

Nous sommes tous invités à participer à cela. D’ailleurs le Pape demande que tous les évêques fassent cette consécration, avec lui et comme lui. Et si tous les évêques le font, tous les fidèles de ces évêques doivent le faire aussi. Ce doit être un mouvement ecclésial. Nous ne devons pas regarder le Pape faire cette consécration simplement à la télévision, assis dans notre fauteuil. Nous devons assumer, et entrer dans sa démarche qui est, comme il l’a dit plusieurs fois, une démarche de jeûne, et de prière instante. C’est vraiment un devoir, pour chaque chrétien catholique, de s’unir au Pape de façon tellement forte, pour obtenir ce que nous demandons à la Vierge Marie. C’est une affaire d’Église, ce n’est pas une affaire du Souverain Pontife en tant que tel.