Les Taliban afghans, menace ou force d’attraction ?
Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican
Nouvelles discussions entre les insurgés afghans et une délégation américaine le weekend dernier à Doha au Qatar. Au pouvoir en Afghanistan entre 1996 et 2001, les talibans ont en effet entamé l’an dernier des pourparlers de paix avec les Etats-Unis, après 18 ans d’insurrection et alors que leurs attaques visant les autorités de Kaboul, les forces de l’ordre ou journalistes afghans se poursuivent.
Aujourd’hui le gouvernement du président Asraf Ghani, un économiste pachtoune au pouvoir depuis 2014, ne contrôlerait –totalement- que 30% du territoire afghan. Les talibans sont présents dans tout le reste du pays, où réside 50% de la population.
Ils peuvent cohabiter avec les autorités locales ou exercer un contrôle absolu du pouvoir. «Rien ne peut alors se faire sans leur aval», explique Didier Chaudet. À titre d’exemple, le chercheur attaché scientifique de l’IFEAC, l’Institut français d’études sur l’Asie centrale, explique que «les talibans peuvent imposer aux forces de l’ordre afghanes le jour où ils feront leur marché, sous bonne garde, et sans arme.»
Mais leur prise de responsabilité ne concernent pas que le contrôle sécuritaire du territoire. Les Taliban souhaitent en effet démontrer qu’ils représentent une alternative valide au gouvernement de Kaboul.
Loin de l’image obscurantiste qui a pu les caractériser, les Taliban assurent la protection des écoles… souvent financées par le pouvoir central et des contributeurs internationaux ! Là où ils se trouvent, pas d’absentéisme, ni corruption : «les professeurs viennent enseigner et assurent toutes leurs heures de cours », explique Didier Chaudet. Dans l’esprit des Afghans, ils garantissent un système éducatif fonctionnel.
Dans un pays en guerre, l’application du droit est essentiel. Alors que le système judiciaire de l’État est «corrompu jusqu’à la moelle», la charia appliquée par les Taliban est perçue positivement par la population dans son ensemble. «Elle est synonyme de justice non corrompue». Un juge ou un chef de guerre qui serait affilié aux Taliban peut être mis en accusation par les civils, et substituer. La justice talibane peut être sévère, mais elle est rendue rapidement et définitivement, souligne le chercheur.
Reprendre le pouvoir ?
Quant à l’idéologie talibane, «elle peut paraître terrible mais représente une partie de la population afghane». Elle est un facteur d’attraction comme d’ailleurs le nationalisme des talibans, en grande majorité pachtoune, non soumis aux puissances étrangères.
Pourraient-ils reprendre un jour le pouvoir ? Selon Didier Chaudet, «la faiblesse des Taliban, est leur péché d’orgueil». Ils sont actuellement «plus organisés que le pouvoir central et les chefs de guerre qui le soutiennent» car ils ont su surmonter les divisions survenues après la mort du Mollah Omar en 2003, cependant il ne s’agit pas d’une rébellion monolithique : certains ont des ambitions islamo-politiques, certains plus fondamentalistes sont satisfaits d’un contrôle local total sur les populations, certains sont enfin devenus des barons de la drogue, qui ont besoin d’un pouvoir central faible.
Pour parvenir un jour à une paix durable, Didier Chaudet estime que la mise en place d’une confédération sur le modèle suisse pourrait être une option, avec des territoires autonomes et un pourvoir partagé à Kaboul, car il y a dans les deux camps qui s’affrontent aujourd’hui des personnalités par nécessairement modérées mais «pragmatiques», «surtout si la paix peut apporter la prospérité».
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