Naître à Bethléem aujourd'hui
Olivier Bonnel - Bethléem
Lorsque l’on fait face à l’imposant bâtiment aux murs ocres de la maternité de la Sainte Famille de Bethléem, un panneau ne trompe pas à quelques mètres de là, planté au carrefour voisin: celui de la basilique de la Nativité. En cette fin novembre, des dizaines de pèlerins, venus d’Italie ou du Brésil, convergent dans les rues de la ville palestinienne, vers le lieu de naissance du Christ, alors que les dernières décorations de Noël sont mises en place autour du sapin géant, place de la mangeoire. Dans les couloirs de l’hôpital, construit en 1882 par les filles de la Charité de Saint-Vincent de Paul, l’atmosphère est plus calme que dans les rues qui mènent à la basilique.
Depuis la naissance du premier bébé en 1990, la maternité de la Sainte Famille est devenue une référence dans toute la Palestine. Administré par l’Ordre de Malte France, l’établissement y accueille en effet les meilleurs soins médicaux de la région pour les femmes enceintes et leur nouveau-né. L’unité de soin pédiatriques et de néonatologie, inaugurée en 2013 n’a rien à envier aux meilleurs hôpitaux de la planète. Malgré le poids de l’histoire et la force du récit évangélique, naître à Bethléem ne veut pourtant pas toujours dire être né sous une bonne étoile. Le système public de santé est défaillant, à l’image d’une autorité palestinienne à bout de souffle, rongée par la bureaucratie, et surtout le contexte politique lourd.
«Il y a toujours une place»
Le quotidien des Palestiniens est en effet bien sombre, depuis que les espoirs de paix avec le voisin israélien sont retombés. Jérusalem est juste de l'autre côté du mur, mais la ville sainte n’a jamais semblé être aussi loin. «Les contrôles de sécurité sont quotidiens et vous voyez tous les jours des habitants de Bethléem faire la queue au check-point dès 5 heures du matin pour arriver à l’heure au travail», explique Denis Sevaistre, le directeur de la maternité. Cet ancien militaire français a posé ses valises à Bethléem il y a cinq ans, accompagné de son épouse. Après avoir déminé des terrains au Mali ou en Afghanistan, il est désormais chargé de faire tourner la structure et ses 140 employés, malgré les contraintes logistiques et les tensions récurrentes. «Il y a toujours une place chez nous», résume-t-il. Certaines femmes qui viennent accoucher n’hésitent pas à endurer des heures de route et les contrôles tatillons de l’armée israélienne. Mais le miracle est là, comme à chaque fois. Les femmes sont prises en charge, des musulmanes dans leur majorité. Les nouveau-nés sont aux petits soins, emmaillotés dans des couvertures imprimées de la croix de Malte.
«Si Dieu le veut, la paix viendra d’ici»
En cas de grande complication, le service de soins pédiatriques se met en branle. «Nous sommes un hôpital de la charité», précise Denis Sevaistre qui rappelle l’objectif de son établissement: fournir une maternité de qualité, sans distinction de religion ni de moyens financiers. La Sainte famille a d’ailleurs embauché une assistante sociale qui étudie les dossiers des familles les plus modestes. Certaines ne paient qu’un shekel symbolique.
Ici, 56% du personnel de l’hôpital est chrétien, beaucoup plus que la moyenne nationale palestinienne. Mais à la Sainte famille, on ne regarde pas le voile des mères ou la croix qu’elles portent au cou. Outre son excellence médicale, c’est cet accueil qui pousse de nombreuses Palestiniennes à venir y donner la vie. «C’est spécial de faire naître son enfant ici, car c’est une ville sainte», raconte Butheïna, qui berce Ali, son petit garçon né deux jours plus tôt. Pour cette musulmane de 28 ans, Bethléem est la ville de Jésus, qui dans le Coran est un prophète, et l’hôpital de la Sainte famille, un havre de paix.
«Les politiques construisent les murs, les médecins ouvrent les cœurs»
Le rayonnement de l’hôpital palestinien est désormais une réalité. Ses médecins, tous Palestiniens, ont suivi un cursus à l’étranger, en France, aux Etats-Unis ou encore en Ukraine. Deux infirmières de la Sainte Famille ont même été formées à l’hôpital pédiatrique du Bambin Gesù à Rome. «Elles ont fini par elles-mêmes former du personnel local à la demande du Vatican!», sourit fièrement Denis Sevaistre. L’ancien militaire dit souvent que « les politiques construisent les murs alors que les médecins ouvrent les cœurs». Un antidote à tous les discours défaitistes.
Dans la salle des grands prématurés, Iman, 21 ans veille sur sa fille, Julan. Elle est née quatre mois avant le terme et pesait seulement 830 grammes. Un grand crucifix orne la pièce où neuf couveuses spéciales ont été installées. Tous les jours, cette jeune fille portant le voile fait l’aller-retour depuis Hébron, plus au Sud. La ville n’est qu’à 25 kilomètres de Bethléem mais il lui faut parfois près d’une heure et demie pour effectuer le trajet. L’unité néonatale de soin intensifs a fait des miracles, sa fille pèse aujourd’hui 2,5 kilos. Elle doit néanmoins subir encore une opération neurochirurgicale dans un hôpital de Jérusalem.
La compassion avant la sécurité
Dans la cour de l’hôpital, une statue de la Vierge Marie surplombe l’ancienne chapelle et domine le bâtiment et les alentours. La nuit, elle est éclairée et semble veiller sur la ville, comme Marie le faisait sur la mangeoire. Le jardin abrite des orangers et des oliviers, symboles de paix, qui semblent avoir été plantés ici comme une évidence. Ce matin, une jeune française discute joyeusement avec une amie médecin palestinienne. Interne en gynécologie, Marjolaine a passé plusieurs mois l’an dernier à la maternité. «Ça amuse mon entourage quand je dis que j’ai travaillé à la maternité de Bethléem, sourit-elle. L’hôpital de la Sainte famille est un lieu véritablement chrétien, on est tout près du lieu de la Nativité, mais il est avant tout un message de paix et représente toute la société palestinienne. On y voit enfants les naitre et leurs familles, on comprend aussi la place de la femme».
Dans quelques jours, un grand sapin doit être installé dans une pièce de la maternité. Chaque membre du personnel de santé y apportera sa décoration. Noël ici est fêté trois fois par les chrétiens de Bethléem, le 25 décembre pour les catholiques, le 6 janvier pour les orthodoxes et le 19 janvier pour les Arméniens. Trois raisons de célébrer joyeusement la naissance du Christ.
Au cours de la visite, Denis Sevaistre nous raconte une anecdote qui l’a marqué et qui vaut bien des discours. «On a réussi à envoyer un bébé à Tel-Aviv en plein Yom Kippour, alors que tout était fermé. Mais il avait besoin d’une opération urgente à cœur ouvert. Ils ont fini par faire revenir l’équipe de chirurgiens et nous ont même envoyé un véhicule spécialisé». Le directeur de la maternité évoque aussi ces soldats israéliens qui, au check-point, aident à transférer un nourrisson dans un véhicule pouvant circuler de l’autre côté du mur. Si l’on ne le voit pas à première vue, il est bien là, dans ces petites scènes de la vie à Bethléem, le miracle du Prince de la Paix.
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