Le nonce en Éthiopie témoigne de la situation d'urgence dans le Tigré
Entretien réalisé par Jean-Charles Putzolu - Cité du Vatican
Le 2 novembre dernier, le gouvernement fédéral éthiopien et les autorités rebelles de la région du Tigré signaient un accord de paix à Pretoria sous l’égide de l’Afrique du Sud, après deux ans d'affrontements. On ne connaît pas avec précision le bilan des hostilités - la région en guerre étant inaccessible aux médias- mais Amnesty International considère ce conflit parmi les plus meurtriers au monde, dénonçant des exactions, des violences sexuelles et des privations d’aide humanitaire. Selon les Nations unies, la guerre a fait plus de deux millions de déplacés, et des milliers de personnes souffrent de graves carences alimentaires.
Aujourd’hui, deux mois après la signature du cessez-le-feu, la mise en place des accords de paix progresse. Infrastructures énergétiques et communications ont été partiellement rétablies, un vol commercial vers la capitale du Tigré est assuré et l’aide humanitaire, bien qu'insuffisante, arrive. Pour le nonce apostolique en Éthiopie, le contexte s’améliore, mais le retour à la normale demandera encore beaucoup de temps. Dans un entretien à Radio Vatican-Vatican News, Mgr Antoine Camilleri fait le point sur la situation.
Mgr Antoine Camilleri, deux mois après la signature d'un accord entre le gouvernement et la rébellion tigréenne à Pretoria, où en est la situation humanitaire?
Quand on considère qu’un pourcentage très important de la population de la région a besoin d’aide humanitaire –on parle de 90%-, on comprend qu’il faudra du temps pour que les gens puissent reprendre leur vie normalement. Donc, l’urgence demeure. La cessation des violences et l’arrêt des combats a permis aux agriculteurs de recommencer à travailler la terre et à faire pousser des cultures, mais c’est encore tôt pour profiter pleinement de la nouvelle conjoncture. La situation s’est améliorée, grâce aussi à l’intervention ponctuelle et décisive des agences catholiques caritatives comme la Caritas américaine, la Catholic Relief Services, l’organisme est à lui seul crédité d’avoir fourni plus de la moitié de l’aide humanitaire arrivée jusqu’à présent dans la région. Mais il reste encore beaucoup à faire.
Quelle a été l’action du Saint-Siège durant le conflit?
Vous savez qu'à partir du mois de novembre 2020 jusqu’à maintenant, le Saint-Père a parlé plusieurs fois de la situation de guerre en Éthiopie et a lancé plusieurs appels pour la paix et la réconciliation. Dans son récent discours au corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, le 9 janvier dernier, il a affirmé: «Je pense également … à l’Éthiopie où j'espère que le processus de pacification se poursuivra et que l'engagement de la communauté internationale à faire face à la crise humanitaire qui touche le pays sera renforcé». Pendant les deux années de guerre, le Saint-Père n’a jamais manqué de faire entendre sa voix pour la défense de la population souffrante, des réfugiés et des déplacés. Il a appelé à la prière, premièrement, à la cessation immédiate des combats et à l’accès urgent à l’aide humanitaire. Il a appelé aussi, à plusieurs reprises, à une solution pacifique et négociée du conflit. La voix du Saint-Père, qui fait autorité, était indispensable pour maintenir en vie l’espoir de ceux qui souffraient à cause de la guerre et pour ne pas laisser tomber le conflit dans l’oubli ou dans l’indifférence de la communauté internationale.
Pendant ces deux années, le Saint-Siège a aussi accompagné l’Église dans la difficile situation dans laquelle elle s’est trouvée, d’un côté comme de l’autre du conflit, et l’a encouragée à rester unie, à parler et agir en défense des plus vulnérables et de toutes les victimes de la guerre. Si l’Église aura un rôle important à jouer dans le processus de pacification et de guérison de la société, elle-même doit être préparée à être la première à témoigner des valeurs de réconciliation et de pardon, de la charité et de la solidarité, de la justice et de la miséricorde.
Vous qui êtes en poste à Addis-Abeba, comment avez-vous vécu cette guerre?
Comme représentant du Saint-Père dans le pays, j’ai vécu cette expérience avec une grande tristesse et une grave préoccupation pour les souffrances des populations sans défense, pour la profonde division que la guerre a provoqué dans la société éthiopienne sur des critères ethniques, pour la violence qui a marqué d’une façon indélébile la vie de milliers de familles et de millions de personnes, y compris plusieurs prêtres, religieux et religieuses, qui ont expérimenté directement la violence ou l’injustice ou qui ont été témoins de la violence perpétrée sur leurs proches ou sur des personnes dont ils avaient la responsabilité. Le Saint-Père a toutes les raisons à continuer à répéter: «Jamais plus la guerre». La guerre n’apporte que la mort et la destruction, et c’est toujours la population civile qui fait les frais de la violence et des graves privations qui s’en suivent.
La situation a été encore plus inquiétante et dramatique parce qu’on ne parvenait pas à entrer en contact avec nos communautés catholiques qui se trouvent dans les territoires concernés par le conflit. Les communications étaient complètement bloquées.
En même temps, en collaboration avec l’Église dans le pays, nous avons essayé, dès le commencement de la guerre, de répondre aux exigences urgentes de ceux qui souffraient de la faim et de la malnutrition, et d’autres besoins urgents. C’était très difficile - les obstacles étaient nombreux, mais nous avons profité de chaque possibilité qui se présentait pour faire arriver de l’aide, pas dans les quantités qui étaient nécessaires, mais suffisamment pour atténuer certaines des souffrances de la population et sauver des vies.
Il faut dire, toutefois, que malgré tout, aussi dans les moments les plus sombres, nous n'avons jamais perdu l’espérance. On n’a jamais cessé de croire en la paix et en la réconciliation, même si cela semblait impossible à ce moment-là. Quand on voit l’histoire récente de l’Éthiopie, il ne faut pas grand-chose pour se rendre compte que les Éthiopiens ont en eux la capacité de surmonter ces moments tragiques et d’aller de l’avant, en reconstruisant leur vie et le tissu social brisé.
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici