Robert Schuman, un politique en cohérence avec la Providence
Delphine Allaire – Cité du Vatican
Que l’Europe retrouve son âme. En dix ans, le Souverain pontife argentin n’a eu de cesse de presser le Vieux continent d’en revenir au rêve des Pères fondateurs. «Au Parlement européen, je me suis permis de parler d’une Europe grand-mère. Je disais aux eurodéputés qu’en bien des endroits grandissait l’impression générale d’une Europe fatiguée et vieillie, stérile et sans vitalité, où les grands idéaux qui ont inspiré l’Europe semblent avoir perdu leur force attractive; une Europe en déclin qui semble avoir perdu sa capacité génératrice et créative», déclarait le Pape François recevant le prix Charlemagne d’Aix-la-Chapelle, en Salle royale du Palais apostolique, le 6 mai 2016. Un rêve européen originel façonné par Alcide de Gasperi, Konrad Adenauer et Robert Schuman, triptyque d'hommes d'États animés par une profonde foi chrétienne les ayant emmenés, par exemple, dans un monastère bénédictin sur le Rhin pour méditer et prier avant d'entreprendre les négociations préliminaires au Traité de Paris, en 1951.
Le Pape François a ainsi fait de Robert Schuman (1886-1963) un vénérable de l’Église. En juin 2021, il reconnaissait par un décret ses vertus héroïques, ouvrant la voie à la béatification de ce réconciliateur de la France et de l’Allemagne. Lors de nombreuses interventions publiques, le Pape a répété son souhait de voir l’esprit de la déclaration Schuman inspirer ceux qui ont la responsabilité de l’Union européenne actuelle.
Le siècle d'un Européen
Né un 29 juin 1886, solennité des saints Pierre et Paul, dans le Grand-Duché du Luxembourg, Robert Schuman baigne dès son plus jeune âge dans un cosmopolitisme européen remarqué. D'un père français de langue maternelle luxembourgeoise, devenu allemand lors de l’annexion d’une partie de la Lorraine et d'une mère luxembourgeoise, allemande par alliance, Robert Schuman est allemand de naissance. Il étudie dans le Grand-Duché où il apprend la langue de Molière.
Sa carrière politique débute à 33 ans, en 1919, lorsqu'au lendemain de la Première Guerre mondiale, il est élu député de Moselle. Un mandat durant lequel il s'engage en faveur du Concordat avec le Saint-Siège et dans la défense de la justice sociale.
Ses activités sont interrompues par la Seconde Guerre. Arrêté et emprisonné par la Gestapo de septembre 1940 à avril 1941, il s'échappe et reste dans la clandestinité jusqu'à la fin du conflit, se réfugiant principalement dans des couvents et des monastères, comme la trappe de Notre-Dame des Neiges. La paix rétablie, il devient ministre des Affaires étrangères français de 1948 à 1952.
Foi, érudition, engagement politique
Preuve d'un sens certain du bien commun et du devoir d'État, il écrivait alors: «La vie sans responsabilité politique est certes plus facile, surtout dans le désarroi actuel. Mais nul n’a le droit de se dérober, moins que jamais. Ma santé est bonne, malgré des accès de lassitude qui ne sont pas toujours suffisamment expliqués par l’effort que je fais. Mais j’espère pouvoir faire face à toutes les exigences raisonnables. Je m’en remets pour cela à la Providence».
Latiniste, helléniste, fin connaisseur de saint Augustin, Robert Schuman, a consacré son existence à l’idéal humaniste chrétien européen. Fort d'une foi sincère, enracinée dans la prière et les Évangiles, l’artisan du Traité de Rome est qualifié par Paul VI de «pionnier infatigable de l’Europe unie». Sa participation quotidienne à l'Eucharistie, recueillie et silencieuse, suscitait l'émerveillement et l'admiration de tous ceux qui le rencontraient. Dès qu’il le pouvait, il se rendait au Saint-Sacrement et se confessait. Homme de prière personnelle et liturgique, il célébrait régulièrement la liturgie des Heures. Pèlerin de la paix et de la détente en Europe, en 1958, Robert Schuman, président du Mouvement européen, est élu par acclamation premier président du nouveau Parlement européen. En 1959, frappé par les premiers symptômes d’une sclérose cérébrale, il renonce à ses engagements.
«Un saint en costume»
«Il liait la contemplation et l’action. Saint Ignace de Loyola aurait dit contemplatif dans l'action. Il considérait son engagement politique comme une mission. Peu de personnes savent qu’il a voulu entrer au séminaire pour devenir prêtre. Et son meilleur ami lui aurait dit à ce moment-là, ‘’aujourd’hui, nous avons besoin de saints en costume’’. Cette phrase est une invitation à toutes les personnes œuvrant pour l’Europe», raconte père Krystian Sowa SJ, directeur pastoral de la chapelle de la Résurrection ou «chapelle pour l’Europe» à vocation œcuménique, installée au cœur du quartier européen à Bruxelles. Selon le jésuite germano-polonais, Robert Schuman, modèle du politique en voie de sainteté, fait briller les caractéristiques de l’humaniste chrétien: «Être contemplatif en action, compétent, rayonner de l’espérance de la foi, ne pas se décourager par la bureaucratie européenne et les défis de ce projet à 27, être personnaliste, avoir le respect absolu de la dignité humaine et promouvoir la culture de solidarité et de dialogue».
Hommages à Metz
Diverses célébrations eucharistiques sont prévues pour marquer cet anniversaire cette année. À Bruxelles, lundi 4 septembre, une messe aura lieu à la chapelle pour l’Europe, célébrée par le père Sowa et le père Manuel Barrios Prieto, secrétaire général de la Comece. En Moselle, le diocèse de Metz a rendu hommage samedi 2 septembre au père de l’unité européenne en la cathédrale Saint-Étienne, là où les obsèques de Schuman avaient été célébrées. En 1963, l’évêque de Metz d’alors, Mgr Paul-Joseph Schmitt, résumait l'existence de l'homme politique par cette oraison: «Comme l’austère grandeur de la cathédrale de notre diocèse étonne ceux qui la voient pour la première fois, l’honnêteté foncière et l’intégrité de notre disparu ont provoqué l’admiration du monde. La simplicité dépouillée de notre mortier évoque son humilité profonde. L’éclat incomparable des vitraux de cette église que l’on a appelé la lanterne de Dieu nous fait penser à son regard translucide de pureté. La mission de Robert Schuman a été d’être un grand jeteur de ponts, un homme de rencontre fraternelle et de dialogue fécond entre les peuples souvent opposés, un apôtre de la réconciliation et de la paix».
Six décennies plus tard, son successeur à l'évêché de la cité carolingienne, Mgr Philippe Ballot, loue la fraternité qu'incarnait le vénérable Robert Schuman «dans une attention continuelle à la Providence, c'est-à-dire agissant avec une confiance inébranlable en l'œuvre de Dieu qui accompagnait son action. Pour le croyant qu'il était, il s'agissait d'inscrire son engagement, son travail acharné, son action politique, son souci du bien commun dans l'œuvre même de Dieu», a-t-il soutenu dans son homélie. Cette messe d'action de grâce a eu lieu en présence du nonce apostolique en France, de celui auprès des Communautés européennes, du cardinal Jean-Claude Hollerich, archevêque de Luxembourg, ainsi que de nombreux évêques de France et d'Allemagne.
Idéaux européens et méditerranéens
Enfin, comme un écho aux défis contemporains aujourd'hui concentrés en Méditerranée, Mgr Ballot a relié l'itinéraire du père fondateur de l'Europe et sa confiance en la Providence «par la force de la fraternité et de l'espérance» aux enjeux des Rencontres méditerranéennes et à la venue du Pape François à Marseille. Il a cité les propos du cardinal Jean-Marc Aveline à Radio Vatican: «Ce que la Méditerranée représente par sa géographie, il revient aux peuples qui vivent sur ses rivages de le mettre en œuvre à travers les relations qu’ils tissent entre eux, malgré les soubresauts de l’histoire, comme une grande ''mosaïque d’espérance''. Cela commence souvent par de simples relations commerciales. Puis, l’estime réciproque grandissant avec ces échanges, on en vient à s’intéresser à la culture de l’autre, et même à sa religion. Ainsi naît la grande aventure de ce que les chrétiens appellent ''dialogue''». Une manière de corréler le projet de paix européen porté par Schuman au rêve d'un autre vénérable de l'Église, de vingt ans son cadet: l'ancien maire de Florence et pionnier de la diplomatie méditerranéenne, Giorgio La Pira (1904-1977).
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