Mexique: grosse tension sur la demande et la ressource en eau
Entretien réalisé par Augustine Asta - Cité du vatican
Cette année de sècheresse au Mexique est aussi marquée par un autre tableau. «37% du réseau d’eau de la ville de Mexico se perd dans les fuites». C’est du moins ce que nous a confié le directeur de recherche en hydrologie à l'institut de recherche pour le développement (IRD). Pour Luc Descroix, la situation actuelle est à l’origine d’un mal être dans cette ville qui enregistre une forte croissance de la population. Le déséquilibre quantitatif entre les besoins en croissance exponentielle et le stock fixe en eau pour les usages humains est palpable. Ce qui entraine des répercussions énormes sur la production agricole en particulier les maraichages. En plus du dérèglement climatique qui rend la sècheresse plus intense et les vagues de chaleur plus brutales, le resurgissement du phénomène climatique «El Niño» au cours de l’année 2023 n’a fait qu’aggraver cette crise en eau qui s’abattait déjà sur la cinquième ville la plus peuplée du monde.
Le territoire mexicain est actuellement en état de sècheresse avancée, vous le confirmez?
Les trois quarts du Mexique sont un territoire plutôt semi-aride. Tout ce qui est au Nord de la ville de Mexico pratiquement, d'une part. Le Mexique d’autre part, est soumis pour presque tout son territoire à un climat de mousson qui fait qu'il y a une saison des pluies qui dure entre trois et quatre mois et une saison sèche qui dure sept à huit mois. Le sud du Mexique, par contre qui est bien arrosé est plutôt une zone humide, voire très humide. Ce qu'on observe tout à fait, c'est qu'il y a eu plusieurs années de déficit pluviométrique, donc on est dans une situation effectivement de sécheresse qui touche entre 80 et même 90 % du territoire mexicain. Et donc forcément, il y a une grosse tension sur la demande d'eau et sur la ressource en eau.
Comment en est-on arrivé là?
Étant donné que c'est un pays semi-aride, la ressource en eau est très sollicitée. Il y a beaucoup de barrages pour utiliser l'eau à des fins agricoles pour l'irrigation dans tout le territoire mexicain, et depuis longtemps. Une grande partie des barrages ont été construits dans les années 1940 et sont parfaitement fonctionnels. Sauf que là, les dernières années, ils ont effectivement un tout petit stock d'eau. Il y a même des barrages qui ont complètement séché. Donc, ils ont complètement tari et ils ne peuvent plus servir pour leur but premier qui est l'irrigation des cultures. Et il faut aussi toujours citer le cas très particulier de la ville de Mexico, qui est une très grande ville, une des plus grandes villes de la planète, à 2200 mètres d'altitude dans une cuvette qui normalement était une cuvette inondée et qui était occupée par des lacs. Maintenant qu'elle porte 23 ou 25 millions d'habitants, forcément ça présente une très forte demande en eau. Il y a des réserves naturelles qui sont déjà utilisées depuis très longtemps. Les eaux d'écoulement de la cuvette de Mexico ont été les premières utilisées. Puis on a pompé dans les nappes qui fournissaient encore plus de 65 % de l'alimentation de la ville. Et petit à petit, on est allé chercher des sources d'alimentation plus loin, et en particulier sur le versant pacifique de la «Sierra Madre del Sur».
Donc, un versant qui est très arrosé et dans lequel il y a un système de lacs artificiels qui a été construit dans les années 1940, mais pour produire du courant et qui a été transformé dans les années 1980 devant la pénurie d'eau pour alimenter la ville de Mexico en un système qui ne produit plus du tout de courant mais qui emmagasine l'eau pour la ville de Mexico. Le problème, c'est que ces réserves sont à 1000 et 1400 mètres d'altitude. La ville de Mexico, elle est à 2200 mètres d'altitude. Ça veut dire que l'eau qui est stockée dans ces systèmes doit être remontée par des pompes très puissantes pour passer un col et alimenter la ville de Mexico. Ce système-là, il représente un quart de la consommation de Mexico. Et là, les lacs sont presque vides. En plus de la sécheresse qui a eu lieu ces quelques dernières années, il y a les effets «El Niño». Ça veut dire que c'est une année où il fait spécialement chaud dans les régions tropicales et ce sont des années de sécheresse marquées sur le territoire mexicain.
Faut-il réellement s'en inquiéter?
Si on regarde les données, il y a eu déjà des périodes largement aussi sèches dans le passé, mais avec une population qui était moindre, donc une demande en eau qui était moindre. Donc ça dépend si vous vous placez d'un point de vue climatologique et météorologique ou d'un point de vue humain, hydrologique et de la demande en eau.
S'agit-il d'un problème conjoncturel ou alors est-ce accentué par l'action de l'homme?
Le réchauffement climatique, lui, il est lié à l'homme. Par contre, il y a des éléments qui sont positifs. C'est que par exemple, la consommation par habitant de la ville de Mexico diminue parce que les gens ont pris conscience du problème. On estime que 35 % du réseau d'eau de la ville de Mexico se perd dans des fuites. Ça veut dire qu'il faut changer au fur et à mesure l'ensemble du circuit d'adduction d'eau de manière à récupérer l'eau de ces fuites. Ce qui donnerait un répit de plusieurs décennies à la ville de Mexico. Si on parle uniquement de Mexico et de ses environs. Mais on parle aussi d'un problème qui s'étend au niveau local ou alors à l'échelle planétaire.
La demande en eau augmente à l'échelle planétaire parce que la population augmente. La demande en eau par habitant augmente parce que le niveau de vie augmente globalement. Donc forcément, il y a une tendance qui va vers l'augmentation de la demande. Le réchauffement climatique n'entraîne pas forcément une baisse des pluies, au contraire. Par exemple, dans l'Afrique des moussons, le réchauffement climatique entraîne une augmentation des pluies, mais par contre ça augmente la température, la demande évaporatoire, et du coup la consommation d'eau par exemple, des plantes et même des gens. Ce qui est particulier au Mexique, c'est le fait d'être très touché depuis quatre ou cinq ans par la sécheresse et c’est ce qui est probablement en lien avec le réchauffement climatique. En particulier en 2023, par le phénomène d'«El Niño» qui est aussi un phénomène planétaire et en particulier pour l'Amérique tropicale. Puisqu'il se développe sur le côté de l'océan Pacifique au large de l'Amérique du Sud. Mais ce sont des eaux dans lesquelles baignent tout le Sud et l'Ouest du Mexique qui sont directement concernés par cet épisode du Niño.
Y a-t-il des conséquences sur la biodiversité ou sur certaines espèces végétales?
Sur le long terme, ça pourrait très bien arriver aussi bien sur les forêts tropicales du Sud du Mexique. Pour le moment, elles n'ont l'air d'avoir été touchées que sur les zones semi-arides du Nord. On n'observe pas de perte de biodiversité notable pour le moment. Par contre, oui, il y a des endroits où des variétés bien adaptées à la sécheresse sont touchées par une mortalité supérieure à la mortalité naturelle, voire très supérieure. On observe une mortalité qui peut être décuplée, multipliée par cinq ou dix quand il y a des années de sécheresse comme celle qu'on observe actuellement.
Des conséquences aussi sur l'économie, par exemple?
La première conséquence est sur la production agricole, dans la mesure où beaucoup de périmètres irrigués sont des zones plus réduites parce que la quantité d'eau est réduite, la production agricole, en particulier celle qui a une forte valeur ajoutée. C'est à dire que le maraîchage et les cultures fruitières vont être touchées puisque le Mexique est un des principaux producteurs d'avocats au monde et gros exportateur d'avocats pour le marché nord-américain. Les avocatiers consomment énormément d'eau. Bien qu’il y ait le système de Samara, qui approvisionne la ville de Mexico et malgré une pluviométrie marquée, il y a une pénurie d'eau dans cette région. Il commence à y avoir une très forte tension sur la ressource en eau parce que les plantations d'avocatiers consomment trop d'eau.
Cela provoquerait -il un exode des populations? Si oui, vers quelles zones?
Le Mexique est une terre d'immigration depuis toujours. Il y a énormément de gens qui vont travailler aux États-Unis quand ils n'ont pas de papiers, de manière clandestine. Ils sont régularisés au bout de quelques années. Ce système, dans les dernières années, évidemment, il a souffert d'une très forte augmentation de l'immigration mexicaine et latino-américaine vers les Etats-Unis. Donc, s'il y a une très forte poussée d'immigration mexicaine, c'est qu’effectivement, il y a quand même des gens qui sont contraints de partir.
Faut-il s'attendre à pire dans les mois ou années à venir?
Alors là, il faut regarder les prévisions et malheureusement, les prévisions météo ne sont pas toujours fiables à 100 %. On peut dire pour le moment que ça devrait s'arranger parce qu'on devrait, dans les prochaines semaines ou les prochains mois, passer à un «système de la Niña». C'est à dire que les eaux du Pacifique tropical et équatorial oriental sur la côte de l'Amérique du Sud devraient voir la température de l'océan baisser très fortement, ce qui devrait remettre en place un système avec beaucoup moins de bouffées de chaleur comme on en voit actuellement, des poussées de chaleur très fortes partout sur le continent américain, y compris même aux États-Unis. Donc, ça devrait s'atténuer et normalement, on devrait avoir une augmentation des pluies. Mais ça, malheureusement, ce n'est pas forcément pour cette année. C'est plutôt prévu pour, soit la fin de cette mousson, c'est à dire août septembre au mieux, et malheureusement plutôt sur la mousson prochaine, celle de 2025. Donc on peut s'attendre à ce que la tension reste de toute façon très forte cette année.
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