Vœux au corps diplomatique: le Pape définit les priorités du Saint-Siège pour 2019
Cyprien Viet – Cité du Vatican
Le Pape l’a précisé dès le début de son discours: «Le Saint-Siège n’entend pas s’ingérer dans la vie des États, mais il aspire à être un auditeur attentif et sensible aux problématiques qui concernent l’humanité, avec le désir humble et sincère de se placer au service du bien de tout être humain».
C’est dans cette perspective que doit être compris l’accord provisoire signé le 22 septembre entre le Saint-Siège et la République populaire de Chine sur la nomination des évêques dans ce pays. Cet accord est le «fruit d’un dialogue institutionnel long et réfléchi, au moyen duquel on est parvenu à fixer quelques éléments stables de collaboration entre le Saint-Siège et les autorités civiles», a précisé le Pape, en précisant qu’il avait «réadmis dans la pleine communion ecclésiale les évêques officiels restant ordonnés sans mandat pontifical, les invitant à œuvrer avec générosité pour la réconciliation des catholiques chinois et pour un élan renouvelé d’évangélisation».
Le Pape a remercié le Seigneur pour le fait que «tous les évêques en Chine soient en pleine communion avec le Successeur de Pierre et avec l’Église universelle», comme cela s’est manifesté avec la présence de deux évêques de Chine continentale lors du Synode sur les Jeunes, en octobre dernier. Le Pape souhaite que «la poursuite des contacts sur l’application de l’Accord provisoire paraphé contribue à résoudre les questions ouvertes et à assurer ces espaces nécessaires pour une jouissance effective de la liberté religieuse».
La défense du multilatéralisme
Sur le plan des commémorations historiques, le Pape a ensuite évoqué le centenaire de la Société des Nations, instituée avec le Traité de Versailles signé le 28 juin 1919. «Pourquoi se souvenir d’une Organisation qui aujourd’hui n’existe plus ? Parce qu’elle représente le début de la diplomatie moderne multilatérale, par laquelle les États tentent de soustraire les relations réciproques à la logique de l’oppression qui conduit à la guerre», a expliqué François, tout en reconnaissant que cette première expérience avait échoué avec le déclenchement de la Seconde guerre mondiale en 1939. «Néanmoins, elle a ouvert une route, qui sera prise avec la plus grande détermination par l’institution en 1945 de l’Organisation des Nations Unies : une route certainement hérissée de difficultés et d’oppositions ; pas toujours efficace puisque les conflits malheureusement perdurent aussi aujourd’hui ; mais qui cependant est toujours une opportunité incontestable pour les nations de se rencontrer et de rechercher des solutions communes», a insisté le Pape François, qui s’était lui-même exprimé devant l’Assemblée générale de l’ONU à New York en 2015.
Le Pape a toutefois regretté «la réémergence des tendances nationalistes, qui minent la vocation des organisations internationales à être un espace de dialogue et de rencontre pour tous les pays». François a listé plusieurs causes de ce phénomène. Tout d’abord, le constat global d’«une certaine incapacité du système multilatéral à offrir des solutions efficaces à diverses situations irrésolues depuis longtemps, comme certains conflits “gelés”, et à affronter les défis actuels de manière satisfaisante pour tous». Une autre explication se situe sur le plan des politiques nationales, marquées par «la recherche d’un consensus immédiat et intransigeant, plutôt que par la poursuite patiente du bien commun avec des réponses à long terme». Autre cause de fragilisation du multilatéralisme, «la prépondérance accrue dans les Organisations internationales de pouvoirs et de groupes d’intérêts qui imposent leurs visions et leurs idées, amorçant de nouvelles formes de colonisation idéologique, souvent irrespectueuses de l’identité, de la dignité et de la sensibilité des peuples». Enfin, cette montée des nationalismes est aussi une réaction face à une «globalisation qui s’est développée trop rapidement dans certains aspects et de façon désordonnée, si bien que se produit une tension entre la globalisation et la localisation», a remarqué le Pape, s’inquiétant de certaines ressemblances entre la polarisation politique actuelle et la situation des années 1930.
L’inspiration de saint Paul VI
François a ensuite rappelé que le Pape Paul VI, qu’il a canonisé le 14 octobre dernier, avait posé les bases d’une diplomatie pontificale adaptée aux défis du monde contemporain lors de son discours historique aux Nations Unies en 1965. L’une des conviction martelée par les Papes successifs est que la justice et le droit doivent prévaloir sur la guerre, la tromperie, la peur, et que les tribunaux internationaux doivent donc demeurer des outils privilégiés de résolution des conflits.
En rappelant que «la bonne politique est au service de la paix», comme il l’avait écrit dans son Message du 1er janvier, le Pape a aussi évoqué le récent 70e anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, dont «il serait opportun de redécouvrir le caractère universel, objectif et rationnel, afin que ne dominent pas des visions partielles et subjectives de l’homme, qui risquent d’ouvrir la voie à de nouvelles inégalités, injustices, discriminations et, à l’extrême, aussi à de nouvelles violences et de nouveaux abus».
Le soutien aux populations victimes des conflits
Soutenir et réconforter les plus faibles est donc une priorité pour la diplomatie du Saint-Siège, qui s’est notamment mobilisée dans l’assistance humanitaire aux civils éprouvés par le conflit en Ukraine. «Avec ce qui s’est fait et la proximité à la population, l’Eglise cherche à encourager, directement et indirectement, des parcours pacifiques pour la solution du conflit, parcours respectueux de la justice et de la légalité, y compris internationale, fondement de la sécurité et du vivre ensemble pour la région tout entière. Dans ce but, les instruments qui garantissent le libre exercice des droits religieux sont importants», a expliqué François.
Le Pape s’est aussi exprimé sur la guerre en Syrie, en lançant un «appel à la communauté internationale afin qu’elle favorise une solution politique à un conflit qui verra à la fin seulement des vaincus. Il est surtout fondamental que cessent les violations du droit humanitaire, qui provoquent d’indicibles souffrances à la population civile, spécialement aux femmes et aux enfants, et frappent des structures essentielles comme les hôpitaux, les écoles et les camps de réfugiés, ainsi que des édifices religieux», a-t-il déclaré, exprimant aussi sa gratitude pour les pays qui ont accueilli «avec un esprit fraternel et au prix de sacrifices non négligeables un grand nombre de personnes», notamment la Jordanie et le Liban. Le Pape espère que ces réfugiés pourront bientôt retrouver leur terre.
Encourager la présence chrétienne au Moyen-Orient
«Il est extrêmement important que les chrétiens aient une place dans l’avenir de la Région, et j’encourage donc ceux qui ont cherché refuge dans d’autres lieux à tout mettre en œuvre pour rentrer chez eux et, en tout cas, à maintenir et à renforcer les liens avec les communautés d’origine » a martelé François, tout en souhaitant «que les autorités politiques ne manquent pas de garantir leur nécessaire sécurité et toutes les autres conditions qui leur permettent de continuer à vivre dans les pays dont ils sont citoyens à part entière, et de contribuer à leur construction».
Le Pape a rappelé qu’il se rendra prochainement dans deux pays à majorité musulmane, le Maroc et les Émirats Arabes Unis. «Il s’agira de deux opportunités importantes pour développer davantage le dialogue interreligieux et la connaissance réciproque entre les fidèles des deux religions, lors du 8ème centenaire de la rencontre historique entre saint François d’Assise et le sultan al-Malik al-Kãmil», a-t-il précisé.
Affronter le défi de la migration avec des politiques globales
Concernant la question des migrants, le Pape a invité une nouvelle fois à œuvrer à «leur intégration sociale dans les pays d’accueil», tout en rappelant qu’il faut s’employer «à ce que les personnes ne soient pas contraintes d’abandonner leur propre famille et nation, ou puissent y retourner en sécurité et dans le plein respect de leur dignité et de leurs droits humains. Chaque être humain aspire à une vie meilleure et plus heureuse et ne peut se résoudre au défi de la migration avec la logique de la violence et du rejet, ni avec des solutions partielles.»
Tout en mettant en valeur l’exemple de la Colombie, qui accueille de nombreux Vénézuéliens fuyant leur pays, le Pape s’est déclaré «conscient que les flux migratoires de ces années ont causé méfiance et préoccupation dans la population de nombreux pays, spécialement en Europe et dans l’Amérique du Nord, et cela a poussé différents gouvernements à limiter fortement les flux d’entrée, même s’il s’agit de transit. Je retiens toutefois qu’à une question aussi universelle on ne peut donner des solutions partielles. Les urgences récentes ont montré qu’une réponse commune est nécessaire, réponse concertée par tous les pays, sans barrages et dans le respect de chaque instance légitime, aussi bien des États que des migrants et des réfugiés», a expliqué François.
Tout en exprimant quelques réserves sur la terminologie employée dans ces documents, le Pape a rappelé le soutien du Saint-Siège aux Pactes sur les migrations et les réfugiés récemment signés à Marrakech, «qui seront d’importants points de référence pour l’engagement politique et pour l’action concrète d’organisations internationales, législatives et politiques, comme aussi pour ceux qui sont engagés pour une gestion plus responsable, coordonnée et sûre des situations qui concernent les réfugiés et les migrants à différents titres».
Soutenir les jeunes et les enfants
Évoquant le récent Synode et les JMJ au Panama, où il se rendra dans quelques semaines, le Pape a rappelé que «les jeunes sont l’avenir, et une tâche de la politique est d’ouvrir les routes de l’avenir. Pour cela, il est plus que jamais nécessaire d’investir dans des initiatives qui permettent aux prochaines générations de se construire un avenir, en ayant la possibilité de trouver du travail, de former une famille et de faire grandir des enfants».
Le Pape a dit espérer que le 30ème anniversaire de l’adoption de la Convention sur les droits de l’enfant soit une occasion propice pour «une réflexion sérieuse sur les pas accomplis pour veiller sur le bien de nos petits et sur leur développement social et intellectuel, comme aussi sur leur croissance physique, psychique et spirituelle».
«Dans cette circonstance, je ne peux pas taire une des plaies de notre temps, qui malheureusement a vu comme protagonistes aussi divers membres du clergé, a déclaré le Pape. Les abus contre les mineurs constituent un des crimes les plus vils et les plus néfastes possible. Ils balaient inexorablement le meilleur de ce que la vie humaine réserve à un innocent, en causant des dégâts irréparables pour le reste de l’existence. Le Saint-Siège et l’Église tout entière s’engagent à combattre et à prévenir de tels délits et leur dissimulation, pour établir la vérité des faits dans lesquels sont impliqués des ecclésiastiques et pour rendre justice aux mineurs qui ont subi des violences sexuelles, aggravées par des abus de pouvoir et de conscience», a déclaré le Pape. La rencontre de février aura donc pour objectif de «faire une pleine lumière sur des faits et adoucir les blessures causées par de tels délits».
Promotion des femmes et mutations du travail
Face au drame des abus physiques et psychologiques sur les femmes, «il y a urgence à redécouvrir des formes de relations justes et équilibrées, basées sur le respect et sur la reconnaissance réciproque, dans lesquels chacun puisse exprimer de manière authentique sa propre identité, tandis que la promotion de certaines formes d’indifférenciation risque de dénaturer l’être humain lui-même, homme ou femme», a expliqué le Pape François.
Autre défi d’actualité : les mutations dans le monde du travail. Dans le contexte du «développement technologique qui soustrait des postes de travail» et de «la diminution des garanties économiques et sociales pour les travailleurs», le Pape a exprimé le souhait que l’Organisation Internationale du Travail, qui commémore son centenaire cette année, contribuant à affronter les défis actuels, notamment «la plaie du travail des mineurs et des nouvelles formes d’esclavage, de même qu’une diminution progressive de la valeur des rétributions, spécialement dans les pays développés, et la discrimination persistante des femmes dans le milieu du travail».
Encourager les processus de paix
Reprenant le cri de Paul VI en 1965, «Plus jamais la guerre !», le Pape François est revenu sur les progrès de certains processus de paix en Afrique, notamment au Soudan du Sud, ainsi qu’entre l’Éthiopie et l’Érythrée. Concernant une actualité immédiate, le Pape suit «avec une attention particulière l’évolution de la situation en République Démocratique du Congo, exprimant le souhait que le pays puisse retrouver la réconciliation qui tarde depuis longtemps et entreprendre un chemin décidé vers le développement, mettant fin à l’état persistant d’insécurité qui touche des millions de personnes, parmi lesquelles de nombreux enfants. Dans ce sens, le respect du résultat électoral est un facteur déterminant pour une paix durable». Le Pape a exprimé sa «proximité à ceux qui souffrent à cause de la violence fondamentaliste, spécialement au Mali, au Niger et au Nigeria, ou en raison des tensions internes persistantes au Cameroun, qui sèment souvent la mort, y compris parmi la population civile.»
Mais le Pape a tenu à valoriser le développement encourageant vécu dans certains pays d’Afrique : «Dans l’ensemble, il convient aussi de remarquer que l’Afrique, au-delà de plusieurs événements dramatiques, montre un dynamisme potentiel positif, enraciné dans sa culture ancienne et dans son accueil traditionnel», a souligné François.
Concernant la situation dans la Péninsule coréenne, où des rapprochements inédits se sont opérés ces derniers mois entre le Nord et le Sud, le Saint Siège «regarde favorablement les dialogues et souhaite qu’ils puissent affronter les questions les plus complexes dans une attitude constructive, et conduire à des solutions partagées et durables, en sorte d’assurer un avenir de développement et de coopération pour tout le peuple coréen et pour toute la région», a expliqué François.
Le Pape a également exprimé un souhait de paix et de réconciliation pour le Venezuela, «afin que soient trouvés des moyens institutionnels et pacifiques pour résoudre la crise politique, sociale et économique qui perdure, des moyens qui permettent avant tout d’assister ceux qui sont éprouvés et d’offrir à tout le peuple vénézuélien un horizon d’espérance et de paix».
«Le Saint Siège souhaite aussi que le dialogue entre Israéliens et Palestiniens puisse reprendre, afin qu’il soit possible enfin de parvenir à une entente et de donner une réponse aux légitimes aspirations des deux peuples, garantissant la coexistence de deux États et l’instauration d’une paix longuement attendue et désirée. L’engagement unanime de la Communauté internationale est plus que jamais précieux et nécessaire pour atteindre cet objectif, comme aussi pour favoriser la paix dans toute la région, en particulier au Yémen et en Irak, et pour permettre, en même temps, d’apporter les aides humanitaires nécessaires aux populations qui sont dans le besoin», a expliqué le Souverain pontife.
La lutte contre le trafic des armes et contre la dégradation environnementale
Enfin, toujours en reprenant la doctrine de Paul VI, le Pape a invité à repenser un «destin commun» pour l’humanité en œuvrant pour le désarmement nucléaire mais aussi, plus largement, contre le trafic des armes, alors tant les individus que les États semblent toujours en «recherche de nouvelles armes toujours plus sophistiquées et destructrices», dont l’usage aurait des conséquences dramatiques sur les populations et sur l’environnement, à court, moyen et long terme.
Sur un plan écologique, le Pape «souhaite un engagement plus décidé de la part des États à renforcer la collaboration pour combattre avec urgence le phénomène préoccupant du réchauffement global. La terre est à tous, et les conséquences de son exploitation retombent sur toute la population mondiale, avec des effets plus dramatiques en certaines régions». François a précisé que parmi ces régions figure «l’Amazonie qui sera au centre de la prochaine Assemblée Spéciale du Synode des Évêques, prévue au Vatican au mois d’octobre, laquelle, bien que traitant principalement des chemins d’évangélisation pour le peuple de Dieu, ne manquera pas non plus d’affronter les problématiques environnementales en relation étroite avec les retombées sociales».
En conclusion, évoquant le trentenaire de la chute du mur de Berlin, qui avait mis fin à la guerre froide, le Pape a invité à dépasser «la tentation de construire de nouveaux rideaux de fer» et à ne pas perdre en Europe la conscience des bienfaits, en premier lieu la paix, «apportés par le chemin d’amitié et de rapprochement entre les peuples entrepris depuis l’après-guerre».
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