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Distribution d'aide du Programme alimentaire mondial (WFP) à des réfugiés soudanais au Tchad en mai 2023. Distribution d'aide du Programme alimentaire mondial (WFP) à des réfugiés soudanais au Tchad en mai 2023.   Les dossiers de Radio Vatican

Le PAM en pleine crise interne, invité à repenser son système d’aide humanitaire

Pilier de l’aide humanitaire internationale, le Programme alimentaire mondial des Nations unies réduit considérablement depuis plusieurs mois ses opérations à travers le monde. Éclairage sur l’organisme onusien, victime de son succès et confronté à une crise de financement sans précédent, avec la consultante humanitaire Lila Ricart.

Alexandra Sirgant - Cité du Vatican 

Le 12 février, le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies annonçait l’interruption de ses programmes humanitaires au Tchad. Pourtant, ce pays d’Afrique centrale, confronté à une cinquième année consécutive de crise alimentaire, accueille quotidiennement des milliers de réfugiés fuyant la guerre au Soudan. Dans l’Est du pays, les camps comptent désormais 1,2 million de réfugiés soudanais.

Le Tchad est loin de faire exception. Les livraisons d’aide humanitaire ont également été drastiquement réduites en Syrie depuis le 1er janvier 2024 ainsi qu’au nord du Yémen en décembre dernier. En République démocratique du Congo, meurtrie par de violents affrontements dans l’Est du pays, l’assistance alimentaire a récemment dû être hiérarchisée pour être attribuée uniquement aux plus touchés, et non plus aux 6 millions de déplacés, pourtant toujours dans le besoin.

Plus de crises, moins de moyens

Au-delà des défis sécuritaires rencontrés sur le terrain, contraignant parfois le PAM à arrêter ses activités, la réduction massive des opérations s’explique en trois temps selon Lila Ricart, consultante humanitaire ayant travaillé cinq ans au PAM. «Il y a tout d’abord la multiplication des crises auxquelles on assiste depuis de nombreuses années, dans leur intensité, leur complexité mais aussi dans la durée» explique-t-elle, en nommant en guise d’exemple l’Ukraine, Gaza ou encore le Soudan. «Nous n’avons pas vu un tel niveau de tensions depuis la Seconde Guerre mondiale». À cela s’ajoute d’autres crises «plus petites mais non moins dévastatrices», telles que le séisme au Maroc et l’effondrement du barrage en Libye en septembre 2023 , ou d’autres encore liées aux changements climatiques, comme les cyclones en Amérique centrale.

Entretien avec Lila Ricart, consultante humanitaire.

Face à cette augmentation des besoins, l’aide humanitaire se réduit de manière «progressive et inexorable» en raison d’une baisse des financements. Selon le Global humanitarian overviewun rapport d’estimation publié annuellement par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires à l'ONU, près de 300 millions de personnes auront besoin d’assistance et de protection humanitaire en 2024. Or, pour venir en aide à 180,5 millions d’entre eux, l’ONU estime que la communauté internationale aura besoin de 46,4 milliards de dollars. Seulement, ce budget, en augmentation tous les ans, a été financé à hauteur de 40% en 2022, 30% en 2023. Pour ce qui est du PAM, l’organisation a observé un déficit de financement de 60% en 2023, le plus important jamais enregistré en 60 ans d’existence.



Une organisation victime de son succès

Le troisième facteur déterminant, poursuit la consultante humanitaire, est la crise interne traversée par «des superstructures de l’aide comme le PAM ou le Comité International de la Croix-Rouge». Victimes de leur succès, «ces organisations sont devenues des références pour répondre aux crises humanitaires», mais leur croissance exponentielle ces dernières années les rendent «moins efficaces» sur le terrain. «Ce n’est pas par manque de volonté» précise celle qui a travaillé en réponse et en préparation aux urgences en Afrique en en Amérique latine, «mais on parle de 22 000 personnes, des budgets énormes, des opérations à travers le monde entier», sans compter les contraintes administratives massives et énergivores au sein de la bureaucratie onusienne.

Désoccidentaliser l’aide humanitaire et repenser le financement mondial

Cette crise interne pousse à s’interroger sur la nature même de l’aide humanitaire, jugée trop occidentale par la consultante. «L’argent vient de gouvernements occidentaux qui ont eux-mêmes des agendas politiques et des opinions publiques à satisfaire», détaille-t-elle. En effet, le Programme alimentaire mondial est majoritairement financé par des bailleurs publics, à savoir les gouvernements, qui allouent des fonds à des opérations précises de l’organisation et non au niveau global, rendant les populations vulnérables aux mécanismes de «tendance». «Il y a deux ans, l’Ukraine a volé la vedette au Venezuela et à l’Afghanistan» constate Lila Ricart.

Pour y faire face, des professionnels du secteur militent pour la mise en place d’un nouveau pacte mondial de financement de l’aide humanitaire. L’ONG Médecins sans frontières a par exemple fait le pari de l’autonomie, avec des ressources provenant à 96% de fonds privés.  Le 17 juillet 2023, une tribune publiée dans le journal français Le Monde par un collectif de spécialistes sur le sujet appelait à fixer un plancher de 50 milliards de dollars par an afin de sauver le système de financement aujourd’hui «à bout de souffle». Une initiative qui rejoint celle proposée par Lila Ricart: «L’idée est de mettre en place des plans pluriannuels pour des crises longues, afin d’éviter la “donor fatigue”» (la fatigue des donateurs). Une lassitude que risque de vivre prochainement l’Ukraine, mais dont souffrent déjà de nombreux pays, comme la RDC, l’Afghanistan, la Syrie, ou encore Haïti. L’ancienne coordinatrice en réponses d’urgence, qui se spécialise aujourd’hui sur la formation des futurs acteurs de l’aide, appelle ainsi à mettre en place «un mécanisme de financement déconnecté» du pays recevant l’aide afin d’éviter ces tendances.

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27 mars 2024, 10:40