Le programme de vie du Pape pour l'Église chilienne
Manuella Affejee- Cité du Vatican
C’est un véritable programme de vie qu’a proposé le Pape au clergé, aux religieux et aux consacrés de l’Église chilienne. Pour ce faire, François s’est basé sur l’Évangile proclamé lors de la liturgie de la Parole, qui relate la pêche miraculeuse et l’apparition de Jésus ressuscité à ses disciples sur le lac de Tibériade (Jn 21, 1-19); un passage que le Pape a partagé en trois moments-clés et symboliques: Pierre/communauté abattue, Pierre/communauté bénéficiaire, et Pierre/communauté transfigurée, expliquant que l’expérience d’apôtre relève toujours d’un double aspect, personnel et communautaire.
Pierre/communauté abattue: affronter la réalité, demander pardon
«La vie presbytérale et consacrée au Chili a traversé et traverse des heures difficiles de turbulences et des défis», a notamment confessé le cardinal Ricardo Ezzati, l’archevêque de Santiago, lors de son discours d’accueil au début de la célébration. Des paroles sur lesquelles le Pape est revenu en les explicitant, assurant «comprendre la douleur qu’ont signifiée les cas d’abus commis sur des mineurs», et suivre «de près ce que l’on fait pour surmonter ce grave et douloureux mal». Douleur également «pour le mal et la souffrance des victimes et de leurs familles, qui ont vu trahie la confiance qu’elles avaient placée dans les ministres de l’Église. Douleur pour la souffrance des communautés ecclésiales, a poursuivi le Pape, et douleur pour vous, frères, qui, en plus de l’épuisement dû à votre dévouement, avez vécu la souffrance qu’engendrent la suspicion et la remise en cause, ayant pu provoquer chez quelques-uns ou plusieurs le doute, la peur et le manque de confiance. Je sais que parfois vous avez essuyé des insultes dans le métro ou en marchant dans la rue, qu’être ‘habillé en prêtre’ dans beaucoup d’endroits se ‘paie cher’ ». De là, l’invitation du Pape à prier Dieu pour obtenir la «lucidité d’appeler la réalité par son nom, le courage de demander pardon, la capacité d’apprendre à écouter ce que le Seigneur est en train de nous dire».
S’agissant des défis à affronter, le Pape a évoqué les changements survenus dans la société chilienne, pointant la naissance de «nouvelles et différentes formes culturelles», et reconnaissant la difficulté, pour l’Église, de s’insérer dans des «nouvelles circonstances». D’où, peut-être la tentation de s’isoler pour défendre des «approches qui finissent par devenir rien de plus que de bons monologues», de pleurer sur les «oignons d’Egypte», comme le firent les hébreux, oubliant que la Terre promise «est devant». Or, affirme François, agir ainsi équivaut à fermer les yeux devant les défis pastoraux, et oublier que «l’Évangile est un chemin de conversion, non seulement pour les autres, mais pour nous aussi». Et le Pape de lancer: «que cela nous plaise ou pas, nous sommes invités à affronter la réalité telle qu’elle se présente à nous».
Pierre bénéficiaire de miséricorde: la conscience d’être des personnes pardonnées
«M’aimes-tu ?», demande Jésus par trois fois à l’apôtre Pierre. À travers cette interrogation d’amour, le Christ veut «sauver Pierre», analyse le Pape. Le sauver du risque de s’effondrer, de l’enfermement, d’une attitude victimaire, de la tristesse, avant de le confirmer dans sa mission, le faisant devenir, définitivement, son apôtre.
C’est le fait d’avoir été traités avec miséricorde qui nous consolide et nous maintient apôtre, avance François. «Nous ne sommes pas ici parce que nous serions meilleurs que les autres, des superhéros (…), mais nous sommes envoyés avec la conscience d’être des hommes et des femmes pardonnés». Pour François, l’Église ne doit cacher ses blessures, car c’est par elles qu’elle peut «comprendre les blessures du monde d’aujourd’hui. Et de les faire siennes, de les porter en elles-mêmes, d’y prêter attention et de chercher à les guérir». Une Église avec ses blessures «place au centre le seul qui peut guérir les blessures et qui a pour nom Jésus-Christ». «La conscience d’être nous-mêmes blessés nous libère du risque d’être autoréférentiels, de se sentir supérieurs», a encore observé le Pape, pour qui les blessures, «ressuscitées en Jésus», aident à «détruire les murs qui enferment dans une attitude élitiste», et à construire des ponts.
«Je vois avec une certaine préoccupation qu’il existe des communautés qui vivent, mues plus par le découragement de ne plus être à l’affiche, par le souci d’occuper les espaces, de paraître et de se montrer, que par celui de se retrousser les manches et de sortir afin de toucher la réalité difficile de notre peuple fidèle», a ajouté le Pape, avant d’insister: le «peuple de Dieu n’attend pas de nous ni nous demande que nous soyons des superhéros, il veut des pasteurs, des consacrés, qui aient de la compassion, qui sachent tendre la main (…) qui aident à sortir de cette obsession de ‘ruminer’ le chagrin (…)»
Pierre transfiguré : une Église appelée à renouveler son «oui» réaliste
À l’instar de l’apôtre Pierre, l’Église est appelée à passer d’une «Église de personnes abattues en proie au chagrin à une Église servante des nombreuses personnes abattues qui se trouvent à nos côtés, capable de se mettre au service de son Seigneur». Un service, précise le Pape, qui ne doit pas s’apparenter à de «l’assistanat ou a du paternalisme, mais à une conversion du cœur». Il ne faudrait pas se contenter de nourrir le pauvre, de vêtir celui qui est nu, prévient le Saint-Père, mais de «considérer que la pauvre, la personne nue, le malade, le prisonnier (…) sont dignes de s’assoir à nos tables, (…) de se sentir en famille». C’est là le signe d’une Église blessée, pardonnée, «devenue prophétique par vocation».
Il s’agit pour l’Église de redevenir prophétique; pas de s’engager en faveur d’un prétendu monde idéal, ou d’une communauté idéale, mais bien «de créer les conditions afin que chaque personne abattue puisse rencontrer Jésus. On n’aime pas les situations ni les communautés idéales, a martelé le Saint-Père sous les applaudissements, on aime les personnes». «Nous voulons renouveler notre oui, mais un oui réaliste, parce qu’il est soutenu par le regard de Jésus», a encore affirmé François, avant de conclure par une prière du cardinal Raul Silva Henriquez, archevêque de Santiago de1961à 1983, grande figure de l’Église chilienne, opposant déclaré au régime d’Augusto Pinochet et ardent défenseur de la justice sociale, commençant par ces mots : «l’Église que j’aime est la sainte Église de chaque jour».
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