Une thèse sur Mgr Christophe Munzihirwa, modèle de la liberté intérieure
Camille Mukoso, SJ – Cité du Vatican
L’on dit souvent que les ‘thésards’ sont des étudiants passionnés par leur domaine d’études, ainsi que par la recherche scientifique. Cette affirmation n’est pas moins vraie, car un travail de recherche vise non seulement à approfondir une thématique, mais également apporter une réponse concrète à un problème donné. Le Père jésuite Rigobert Kyungu a voulu, quant à lui, proposer la vie et le témoignage de Mgr Christophe Munzihirwa pour contribuer à la mission de sa famille religieuse dans la sanctification des peuples de Dieu. Sa thèse est un véritable itinéraire intérieur dans lequel la spiritualité ignatienne d’origine occidentale et la culture africaine se conjuguent pour démontrer une seule évidence : « Il n’est pas impossible pour un Africain d’intérioriser la spiritualité ignatienne tout en s’en appropriant ».
Une thèse en réponse aux préférences apostoliques universelles
Défendu à l’Université Pontificale Grégorienne à Rome, ce travail de titan, dont la rigueur et la qualité du style témoignent d’une recherche fouillée, est le reflet du premier des 4 préférences apostoliques de la Compagnie de Jésus : « Promouvoir le discernement et les Exercices spirituels. Aider les gens à trouver Jésus-Christ et à le suivre ». Ainsi donc, pour le Père Kyungu, il ne fait l’ombre d’aucun doute que la figure de Mgr Munzihirwa est d’une importance capitale non seulement pour l’Eglise, mais également pour la société africaine et notre monde contemporain.
Témoignage de vie dans un contexte pour le moins difficile
La pertinence de cette affirmation se vérifie, selon notre auteur, au moyen de 6 orientations différentes qui constituent les chapitres de son travail. Le premier chapitre, signale-t-il, offre un panorama de la région de Grands-Lacs d’Afrique, partant des généralités à la situation particulière de l’Eglise de Bukavu, en République démocratique du Congo où Mgr Munzihirwa fut pasteur. Le Père jésuite fait remarquer que l’histoire du prélat se déroule dans cette zone tristement célèbre, composée du Burundi, de l’Ouganda, du Rwanda et la République démocratique du Congo (ex- Zaïre). Au fait, cette mise au point permet de pointer du doigt le contexte dans lequel s’inscrit le témoignage de vie du Serviteur de Dieu congolais : la dictature de Mobutu, charriant dans les années 1990 une crise sociopolitique sans précédent ; le génocide rwandais en 1994 et l’entrée de l’AFDL, une rébellion guidée par un certain Laurent-Désiré Kabila jusqu’au renversement du régime Mobutu. C’est donc en pleine rébellion que Mgr Munzihirwa sera assassiné, le 29 octobre 1996, alors qu’il combattait, en première ligne, avec les armes de la non-violence évangélique.
Dieu écrit droit avec des lignes courbes
Ce premier chapitre, renchérit le prêtre Jésuite, constitue une mise en train en sens qu’il se trouve au seuil d’une biographie abondante s’étalant sur les trois prochains chapitres. A en croire l’auteur, une telle expansion est nécessaire, car elle complète les biographies jusqu’ici présentées et contribuent au processus de béatification, déjà en cours, du Serviteur de Dieu Mgr Christophe Munzihirwa. Le Père Kyungu dépeint minutieusement la période couvrant l’enfance de l’archevêque de Bukavu jusqu’à son ordination épiscopale, précisant par exemple son désir de devenir jésuite qui le conduit à une péripétie riche en couleur. La vie du Serviteur de Dieu congolais s’écrit tout droit, mais avec des lignes courbes. Car, il sera, d’abord, ordonné prêtre le 17 août 1958 des mains de Mgr Louis Van Stenne -et non de Mgr Richard Cleire comme on l’a souvent ressassé -, puis il entrera au Noviciat de la Compagnie de Jésus à Djuma, en septembre 1963 alors qu’il avait 37 ans. Autre mérite de ce travail de recherche, fait remarquer le jésuite congolais, est de s’être appesanti sur une partie souvent oubliée, sinon évoquée à la sauvette, couvrant 8 années de son ministère épiscopale à Kasongo alors qu’il n’a fait que deux à Bukavu.
Un cas de martyre qui mérite béatification et canonisation
Cette précision n’est pas l’unique. Le Père Kyungu en fait d’autres encore et davantage sur des infimes détails. En tout cas, c’est ce qui ressort, par exemple, de la description du moment ultime : 17h55’, descendu de sa voiture, croix en main, répondant sereinement aux questions de ses bourreaux et après un coup de téléphone, c’est sur la nuque qu’il recevra une balle d’où coulera le sang Mgr Munzihirwa pour arroser désormais la semence des chrétiens, pour paraphraser Tertullien. Notre travail, explique son auteur, « interprète cet assassinat comme un vrai cas de martyre qui mérite une béatification et une canonisation ».
Entièrement Africain et Jésuite
Le cinquième chapitre, poursuivit le Père Kyungu, traite de l’enracinement culturel de Mgr Munzihirwa présenté, cette fois-ci, comme un vrai Africain et un authentique jésuite. Cette partie analytique met en exergue la question de l’inculturation en regard de l’usage des proverbes dans les écrits du Serviteur de Dieu congolais. L’auteur note notamment que, sauf à quelques exceptions près, les écrits de Mgr Munzihirwa contiennent des proverbes tirés de la culture Shi à laquelle il appartenait ; ils sont mis en relation avec sa foi chrétienne. Au total, 55 proverbes sont interprétés dans la thèse doctorale. Tradition culturelle africaine et foi chrétienne sont donc au rendez-vous. Le mélange de ces deux éléments, indique le nouveau docteur en théologie spirituelle, prouve à suffisance que Mgr Munzihirwa était un homme sage, discret, mais aussi ferme et sûr de ses convictions culturelles et religieuses.
Discernement spirituel et liberté intérieure
Le sixième et dernier chapitre analyse la manière dont Mgr Munzihirwa a vécu l’expérience du discernement spirituelle et la liberté intérieure, à la lumière de la spiritualité ignatienne. Notre auteur y montre que la vie de Mgr Munzihirwa a été marquée par des choix qui témoignent d’un recours constant à l’exercice du discernement spirituel ignatien, jusqu’au choix ultime de sa vie, celle d’accepter de mourir comme martyr. C’est à la lumière de ce long parcours que l’auteur trace un portait spirituel du Serviteur de Dieu affirmant que sa spiritualité est basée sur la prière et l’Eucharistie, la dévotion mariale, l’engagement pour la paix et la justice, la pauvreté évangélique, la croix du Christ, le discernement spirituel, la liberté intérieure, l’inculturation et le sens de l’Eglise.
Dénoncer, renoncer et annoncer
A en croire le Père Kyungu, le profil spirituel de Mgr Munzihirwa laisse paraître le visage d’une personne qui a su dénoncer le mal, renoncer à soi-même et annoncer l’Evangile. C’est dans cette perspective que la conclusion du travail, signale-t-il, met en regard le magistère du Pape François et la figure de Mgr Munzihirwa dont les grands traits ont été évoqués ci-hauts. L’on retrouve chez le Saint-Père, note notre auteur, une exploitation permanente des thèmes chers à Mgr Munzihirwa, notamment l’importance du discernement spirituel, l’amour préférentiel pour les pauvres et l’inculturation.
Perspectives d’avenir
A ceux qui voudraient donc continuer d’exploiter la figure du Serviteur de Dieu Mgr Christophe Munzihirwa, le Père Kyungu suggère de glaner quelques fruits sur le vaste terrain de l’ecclésiologie. Il s’agit, selon lui, de chercher à comprendre l’Eglise et sa mission selon l’approche de Mgr Christophe Munzihirwa. Le prêtre jésuite invite également tous les jeunes désireux d’entreprendre une recherche scientifique digne de ce nom, dans quelque domaine que ce soit, à savoir ce que l’on veut et désire. Il faut, renchérit-il, trouver des stratégies pour atteindre ses buts, demander conseil, se faire aider et écouter d’autres expériences.
Vivre le ciel sur terre
Mgr Christophe Munzihirwa nous interpelle tous, conclut le ‘désormais docteur en théologie spirituelle’. Sommes-nous capables de refuser la corruption, de défendre les pauvres, de nous détacher de l’argent, de l’amour de soi et du tribalisme ? Autant de questions et de défis que ce Serviteur de Dieu nous lance aujourd’hui. A chaque chrétien d’y répondre. Quoi qu’il en soit, le portrait de Mgr Christophe Munzihirwa ici présenté, s’il est bien compris, nous fait comprendre qu’il est possible de vivre sur terre la vie céleste.
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