Mgr Benjamin Ndiaye, archevêque de Dakar/Sénégal (Ph. : JP Bodjoko, SJ/Vaticannews) Mgr Benjamin Ndiaye, archevêque de Dakar/Sénégal (Ph. : JP Bodjoko, SJ/Vaticannews) 

Monseigneur Ndiaye : « la clé de la nouvelle encyclique du Pape est la parabole du bon samaritain »

Mgr Benjamin Ndiaye, archevêque de Dakar, au Sénégal, analyse le contenu de « Fratelli Tutti », la nouvelle encyclique du Pape François, publiée le dimanche 4 octobre 2020. Entretien.

Jean-Pierre Bodjoko, SJ* – Cité du Vatican

Le 3 octobre dernier, le Pape a signé sa nouvelle encyclique « Frateli Tutti » (Tous frères), sur la fraternité humaine. Cette encyclique a été rendue publique le dimanche 4 octobre 2020. Comment avez-vous accueilli la publication de cette encyclique ?

Je ne suis pas surpris que le Pape nous invite à la fraternité. Il nous avait déjà donné un signal, lors de son élection, en choisissant le nom de François d’assise. Ensuite, il n’y a pas si longtemps, il a signé un document conjoint sur la fraternité humaine, avec les membres de l’université Al-Azhar. On voit bien, d’ailleurs, qu’il se réfère, au début de cette belle encyclique, à la visite de Saint François d’assise au sultan d’Egypte. Quand on connaît bien la personnalité du Pape, on n’est pas du tout étonné. Il est vraiment dans la trajectoire du choix qu’il a fait : la simplicité et la fraternité. De ce point de vue, Saint François d’assise est un modèle extraordinaire pour nous. Je salue donc la publication de cette encyclique. Hier, dans un quotidien du Sénégal, ici à Dakar, j’ai lu la réponse d’un musulman, qui s’appelle Bakary Samb, et qui parlait d’une réponse africaine et musulmane à l’encyclique du Pape François qui invite à une fraternité sans frontières. C’est pour dire qu’un tel document peut avoir un écho dans des communautés comme les nôtres, où nous sommes une minorité chrétienne en terre musulmane.

Justement dans cette encyclique, le Pape donne une place prépondérante au dialogue et à l’amitié sociale. C’est un aspect important dans un pays tel que le vôtre, où vous êtes obligés de dialoguer avec les musulmans ?

Effectivement, ça vient donner du baume au cœur d’avoir su d’abord qu’il y a eu ce document co-signé par le Pape et l’Imam d’Al-Ahzar. Et puis cela vient confirmer l’assise de notre dialogue inter-religieux au Sénégal. De ce point de vue également, l’impact de cette encyclique est important pour nous. Néanmoins, j’avoue que je me serais attendu à un développement sur la fraternité chrétienne. Mais, puisque le Pape veut ratisser large, il n’a pas voulu trop rentrer dans les particularités, même si la clé de son encyclique demeure la parabole du bon samaritain qui déborde les frontières de la race, de l’ethnie et du mépris social, pour aller au secours de quelqu’un qui est dans une situation de nécessité. C’est à cela que le Pape nous invite, à avoir un regard sur les besoins de ma sœur et de mon frère, parce que nous sommes frères et sœurs en humanité. Comme disait un évêque que j’ai rencontré en France, « Nous sommes compagnons d’humanité ». J’ai été aussi très heureux de voir que cette icône du bon samaritain avait déjà inspiré au Pape Benoît 16, sa belle encyclique « Deus Caritas Est ». Et on retrouve finalement le chemin de Dieu, qui passe par le chemin de l’autre, le chemin du frère que je dois aimer. Cela dit, je me serai peut-être attendu à quelques propos sur la fraternité chrétienne, sur le Christ qui est l’aîné d’une multitude de frères, sur le fait que le Christ dit que vous êtes tous frères, etc.  Mais, le fait d’avoir voulu avoir un spectre plus large a fait que le Pape n’est pas trop rentré dans la spécificité chrétienne. De ce point de vue, son encyclique est plus universelle et plus ouverte, avec une grande attention sociale accordée aux situations. Je salue aussi cela avec beaucoup d’intérêt. C’est une encyclique qui nous fera beaucoup de bien.

Beaucoup de bien également dans la tolérance quand on doit dialoguer avec l’autre…

Le mot « tolérance » est un peu passé de mode. Dans le jargon local d’ici, par exemple, on n’aime pas ce mot, car c’est comme si, c’est faute d’autres choses que l’on tolère que l’autre soit ce qu’il est. Non, on ne tolère pas. On accepte et on accueille l’autre dans sa différence, parce que c’est ça qui fait notre richesse. Donc, le Pape nous invite vraiment à la paix fraternelle. Dans le nouveau testament, j’aime beaucoup le mot « Philadelphia » qui signifie l’amour fraternel. Et cet amour vient de ce que nous avons tous la même origine, nous descendons tous du même créateur, qui nous a faits frères et sœurs en humanité. Pour cela, on fait plus que se tolérer, on s’accueille mutuellement, dans l’estime, la réciprocité et l’entraide dans l’amour.

Un mot de la fin ?

Quelqu’un m’a rapporté qu’il y a eu des réactions du genre : le Pape aurait dû dire « Tous frères et sœurs ». Cette expression figure dans l’encyclique d’ailleurs. C’est vrai qu’on aurait pu dire cela pour être dans un langage vraiment inclusif. Mais, ce serait pinailler sur l’esprit même de l’encyclique qui veut justement qu’on se respecte puisque l’on est frères et sœurs en humanité. Je salue vraiment la publication de cette encyclique et je remercie beaucoup le Pape, qui nous offre, encore là, un texte prophétique et qui a toute sa valeur aujourd’hui, dans un contexte de pandémie, qui nous a montré notre fragilité et notre vulnérabilité et qui dit, d’autant plus, la nécessité d’être solidaires. On ne se sauvera pas tout seul. On est dans le même bateau, comme le dit le Pape. Et donc ce qui arrive dans ce navire arrive à tout le monde. C’est donc une raison de plus de nous entraider.

*Twitter : @JPBodjoko E-mail : jeanpierre.bodjoko@spc.va

Mgr Benjamin Ndiaye au micro de Jean-Pierre Bodjoko, SJ

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06 octobre 2020, 23:29