RD Congo : les évêques face à la gratuité de l’enseignement de base
Jean-Pierre Bodjoko, SJ* - Cité du Vatican
Les évêques Congolais voudraient voir l’application de la gratuité de l’enseignement de base réussir dans l’ensemble du pays, surtout dans les écoles conventionnées catholiques et se disent prêts à accompagner cette initiative louable qu’ils encouragent par ailleurs. Cependant, pour que tout aille pour le mieux, ils exposent leurs préoccupations qui peuvent aider le Président de la république Félix Tshisekedi et son gouvernement à prendre la mesure de la réalité sur le terrain.
La décision d’appliquer la disposition constitutionnelle de la gratuité de l’enseignement de base avait été prise en mai 2019 par le Président Tshisekedi, et a été saluée par la CENCO, car, a expliqué cette dernière, cette décision est conforme à la doctrine sociale de l’Eglise qui prône l’option préférentielle pour les pauvres.
Comme toute réforme de grande envergure, expliquent les évêques, la mise en œuvre de la gratuité a connu quelques difficultés, même dans certaines écoles conventionnées catholiques. « Malheureusement, cette situation a été politisée, au point qu’une certaine opinion accusait l’Eglise catholique de travailler contre la décision du Chef de l’Etat », regrette la CENCO.
Dans leur message, les évêques rappellent, avant tout, que l’Eglise catholique en République démocratique du Congo gère au moins 40.851 (16,1%) enseignants, dont 566, soit 33%, à l’école primaire qui travaillent sans être payés par l’Etat. « Une situation qui ne peut pas laisser indifférents les pasteurs car ces enseignants sont des parents qui ont aussi beaucoup des charges à leur actif », fait savoir la CENCO.
Baisse sévère de la qualité de l’enseignement
Pour les évêques de la RD Congo, dans le contexte actuel, la mise en pratique de la disposition constitutionnelle de la gratuité de l’enseignement fait face à plusieurs difficultés : le surpeuplement des classes ; l’absence des infrastructures pour accueillir les nombreux enfants que la gratuité a amenés à l’école ; la démotivation des enseignants NU (nouvelles unités), NP (non payés) et les autres mécontents de leur traitement (non-paiement du 2ème et du 3èmepaliers) avec comme conséquence les arrêts récurrents des cours occasionnés par le boycott de l’enseignement et des grèves blanches ; l’insuffisance des frais de fonctionnement des bureaux gestionnaires et des écoles dont une partie est utilisée pour soulager les NU et les NP ; le non-respect du programme généralement non achevé à cause des absences des enseignants ; le délabrement avancé des infrastructures scolaires faute des frais d‘entretien conséquents ; le manque d’imprimés, de matériels didactiques et des manuels scolaires ; le dépeuplement des nouvelles écoles agréées mais non budgétisées pour gonfler les anciennes écoles budgétisées et le manque des frais de déplacement pour les responsables des bureaux gestionnaires.
Toutes ces difficultés, estiment les évêques, concourent inévitablement à la baisse sévère de la qualité de l’enseignement. En outre, estiment la CENCO, ces difficultés démontrent que la gestion de la gratuité souffre d’un déficit de leadership au sein du secteur éducatif, caractérisé par des actions de court terme, l’absence de vision, de planification et de budgétisation dans la durée. « Plusieurs instructions du ministère et du secrétariat général ont visé les effets et non les problèmes de fond et dans certains cas, ils ont eu pour conséquence d’ouvrir des brèches défavorables à la bonne gestion et à la consolidation de la gratuité », font savoir les évêques.
Ces derniers constatent ainsi que, conformément à la décision du Président de la République, dans 98,8/% des écoles primaires gérées par l’Eglise catholique, les parents ne paient rien pour la scolarité de leurs enfants. « Les écoles conventionnées catholiques ne se sont donc pas comportées de manière à saboter la disposition constitutionnelle de la gratuité de l’enseignement de base. Bien au contraire, elles ont essayé de trouver, désespéramment, des solutions locales face aux problèmes non résolus par le ministère de tutelle au point de cautionner certaines injustices pour sauver la politique de la gratuité, notamment la ponction des frais de fonctionnement déjà modiques et le fait de faire travailler les élèves pour l’autofinancement. Encore que les résultats de ces solutions injustes n’en sont pas une. Comment un enseignant peut-il vivre avec 10.000 FC, soit 5 $ mensuellement ? », font savoir les évêques.
Quant au 1,2% des écoles des grandes villes où les parents sont amenés à contribuer, la CENCO dit considérer que c’est une désobéissance qu’il ne faut pas encourager mais qu’il faut aussi gérer avec humanité considérant la condition de ces enseignants et les conséquences de manque d’une solution adéquate.
Prise en charge des enseignants par le trésor public, la seule solution
Pour la CENCO, la solution efficace pour sauver la gratuité de l’enseignement est la prise en charge convenable des enseignants et des écoles par le trésor public, comme promis. A cet effet, pour assurer l’efficacité et la pérennité de la gratuité, les évêques recommandent de revisiter la création des provinces éducationnelles et des bureaux gestionnaires budgétivores de manière à les réduire si possible en tenant compte de la proximité ainsi que de la disponibilité financière ; de rationnaliser la création des écoles et des bureaux gestionnaires ainsi que l’octroi des arrêtés via un processus participatif, transparent et respectueux des normes ; de procéder au paiement de tous les enseignants NU trouvés en poste au moment de l’annonce de la gratuité, de réformer en profondeur le SECOPE pour garantir la traçabilité et la transparence dans la gestion des fonds mis à sa disposition par le Trésor Public pour la paie des enseignants et revoir le contrat avec les institutions financières chargées de la paie des enseignants ; de revoir la rémunération des enseignants en tenant compte du coût de la vie : logement et transport en milieu urbain et prime de brousse pour les enseignants des milieux ruraux, conformément au statut des carrières au sein des services publics. « Le montant du premier palier, à savoir 170$ est devenu insignifiant par rapport au coût de la vie, surtout en ville », expliquent les évêques.
En outre, la CENCO recommande d’’augmenter les frais de fonctionnement des écoles et des bureaux gestionnaires ; de soutenir la gratuité par des financements alternatifs de l’éducation à travers des taxes et des impôts au bénéfice de l’éducation, des apports de financements du secteur privé gérés de manière transparente par des commissions tenues par les parties prenantes et les partenaires éducatifs ; de respecter les procédures en place et activer les mécanismes de contrôles indépendants et l’application des sanctions et de mettre en place un cadre de concertation impliquant les gestionnaires pour évaluer et améliorer dans la mesure du possible la prise de décisions en rapport avec la gratuité de l’enseignement.
Twitter : @JPBodjoko E-mail : jeanpierre.bodjoko@spc.va
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