RD Congo : les rapports sont bons avec le gouvernement, dit Monseigneur Utembi
Jean-Pierre Bodjoko, SJ* - Cité du Vatican
Le 17 janvier 2020, vous étiez à Rome pour participer à un grand évènement : la ratification de l’accord-cadre entre le Saint-Siège et la RDC. Cela fait déjà une année. Quels souvenirs cela vous rappelle-t-il ?
Ça me rappelle de très beaux moments que nous avons passés au Vatican pour la ratification de cet accord-cadre qui lie la RDC au Saint-Siège. Nous avons représenté la CENCO à cette cérémonie. Cette dernière avait été mandatée par le Saint-Siège dans la mise en application de cet accord-cadre en RDC.
La prochaine étape, après cette ratification, était notamment de travailler sur des bases juridiques qui faciliteraient le travail de la CENCO ou de l’Eglise du Congo pour la société. Cette étape a-t-elle déjà été franchie ?
Nous avons des contacts réguliers avec l’Etat congolais, à travers la présidence de la République et le gouvernement central. A cet effet, l’article 19 de l’accord-cadre stipule qu’il y ait des contacts permanents à initier entre les deux parties : la CENCO, mandatée par la Saint-Siège, et le gouvernement ou les institutions de la RDC. Pour assurer ces contacts permanents, il est demandé que la CENCO puisse désigner une personne qui sera le trait d’union entre l’Etat congolais et l’Eglise catholique en RDC. Nous avons ainsi désigné le secrétaire général de la CENCO comme point focal pour communiquer nos desiderata et suggestions à l’Etat congolais, à travers la présidence de la République et le gouvernement central. Des accords spécifiques devront être signés, relatifs à certains secteurs de la vie nationale. Pour ce faire, au niveau de la CENCO, nous avons constitué une commission qui fournira du contenu à ce dossier.
En attendant que ces bases juridiques ne soient mises en place, l’Eglise catholique entretient-elle de bons rapports avec le gouvernement congolais ?
Les rapports sont bons. Et, pour certaines questions d’intérêt commun ou des questions qui nécessitent des clarifications entre les deux parties, nous entretenons des contacts réguliers entre la présidence de la CENCO et la présidence de la République.
Toujours en rapport avec le gouvernement, la CENCO a récemment fait un état des lieux de la mise en œuvre de la gratuité de l’enseignement dans les écoles conventionnées catholiques. Une certaine opinion accuse l’Eglise catholique de travailler contre le gouvernement dans l’application de ce principe de gratuité de l’enseignement, qui est, d’ailleurs, inscrit dans la Constitution ?
Le secteur éducationnel fait partie de la mission que l’Eglise catholique en RDC accomplit déjà. Nous avons signé une convention, qui est toujours en vigueur, et qui lie le gouvernement congolais et l’Eglise catholique dans la gestion des écoles. Sur cette question, il y a évidemment des difficultés, comme dans toute organisation ou dans toute institution, dans le cadre de la collaboration entre les partenaires ou les parties prenantes. Nous, l’Eglise catholique, comme partenaire privilégié de l’Etat congolais dans ce secteur, avons accueilli très favorablement cette décision de la gratuité de l’enseignement au primaire et nous nous sommes investis. Mais, il faut reconnaître que l’application de cette gratuité de l’enseignement connaît quelques écueils, dans la mesure où toutes les dispositions n’ont pas été préalablement prises par le pouvoir organisateur, c’est-à-dire par le gouvernement congolais, pour que la gratuité soit véritablement effective partout. Par exemple, les cas, encore non réglés, de la prise en charge de la rémunération des enseignants, que nous appelons chez nous « les nouvelles unités » (NU) ou les non payés, ceux qui, depuis plusieurs années, ne bénéficiaient pas des salaires de l’Etat congolais. Alors, il fallait bien que le gouvernement puisse se pencher sur ce dossier. D’autre part, la gratuité de l’enseignement a provoqué un dépeuplement des écoles privées, au profit des écoles publiques. Beaucoup d’élèves se sont donc déversés dans les écoles publiques, dont la rémunération des enseignants est prise en charge par l’Etat. Cela a créé une situation inconfortable dans l’accueil de ces enfants, avec le surpeuplement des classes et des difficultés d’encadrement de ces élèves pour une formation optimale. Ces problèmes n’avaient pas été pris en compte en amont et doivent être gérés au fur et à mesure que nous avançons. Mais, dans les écoles où les enseignants sont pris en charge par l’Etat, il ne se pose pas de problème de rémunération, l’Eglise souscrit à la dynamique de la gratuité et ça se passe plutôt bien. Nous avons fait un état des lieux au niveau de nos 47 diocèses et il ressort qu’à 95%, l’Eglise catholique respecte les exigences de la gratuité. Pour le reste des écoles dont les enseignants ne sont pas pris en charge et dont les frais de fonctionnement posent problème, on trouve des solutions locales et à l’amiable, pour que l’enseignement soit, tout de même, assurée dans ces écoles.
Donc l’Eglise catholique en RDC n’est pas contre la gratuité de l’enseignement ?
Exactement. L’Eglise catholique n’est pas contre la gratuité de l’enseignement au primaire. C’est pourquoi, nous nous sommes engagés à accompagner le gouvernement congolais dans cette dynamique. Pour le reste, il y a encore des points à négocier avec l’Etat congolais.
C’est dans ce sens que la CENCO a fait quelques recommandations notamment d’augmenter les frais de fonctionnement, de soutenir la gratuité des financements alternatifs de l’éducation, à travers des taxes et des impôts ?
Exactement, le gouvernement devrait résoudre le problème de la prise en charge des salaires de tous les enseignants, des nouvelles unités et de ceux qui, jusque-là, n’étaient pas payés, même si ils ont une immatriculation. Le gouvernement s’était aussi engagé à améliorer progressivement les salaires des enseignants par palier. La situation salariale des enseignants en ville est différente de celle des enseignants évoluant dans les milieux ruraux. C’est pourquoi, l’application des paliers dans la paie des enseignants est une question d’actualité et urgente. Il faudrait mettre à l’aise les enseignants en ce qui concerne leurs droits au salaire. Trois paliers avaient été retenus pour améliorer les salaires des enseignants. Jusque-là, on est au niveau du premier palier. La troisième recommandation consiste en la prise en charge des frais de fonctionnement des écoles. Jusque-là, le gouvernement donne quelque chose, mais cela ne couvre pas les besoins d’une école pour un bon fonctionnement. La quatrième recommandation s’inscrit dans le cadre de l’amélioration des infrastructures. Du moment où les classes sont surpeuplées dans les écoles publiques, il importe d’agrandir la capacité d’accueil de ces écoles, en construisant d’autres classes ou en créant d’autres écoles. Cela pourra aider à l’application agréable de la gratuité dans nos écoles et dans le pays.
Un mot de conclusion par rapport au premier anniversaire de la ratification de l’accord-cadre entre le Saint-Siège et la RDC ainsi qu’au sujet de la gratuité de l’enseignement dans votre pays ?
A l’occasion du premier anniversaire de l’échange des instruments de ratification de l’accord-cadre de collaboration entre le Saint-Siège et la RDC, la CENCO, que je préside, voudrait exprimer sa gratitude envers le Saint-Père et le président de la RDC qui sont les représentants des deux institutions parties prenantes à cet accord. L’Eglise catholique est honorée de bénéficier de ce cadre de collaboration harmonieuse. Le cadre juridique vient d’être défini et il nous revient à nous, la CENCO et au gouvernement congolais de faire diligence pour préparer les accords spécifiques, relatifs à certains secteurs de la vie nationale et les signer au moment opportun.
En ce qui concerne la gratuité de l’enseignement primaire, l’Eglise catholique est engagée à accompagner les institutions et le gouvernement de notre pays dans cette dynamique dans l’exécution de ce programme. Mais, nous attendons du gouvernement de la RDC de mobiliser tous les moyens à mettre à la disposition des écoles et des gestionnaires pour que cette gratuité ne soit pas un leurre, mais qu’elle devienne une réalité et qu’elle fonctionne dans des conditions efficientes et acceptables par les différentes parties prenantes.
Twitter : @JPBodjoko E-mail : jeanpierre.bodjoko@spc.va
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