Théologie africaine : Quelle Eglise pour un christianisme authentiquement africain ? Universalité dans la diversité. Livre de l’Abbé Bujo
Jean-Pierre Bodjoko, SJ* et Adrien Lentiampa, SJ – Cité du Vatican
Après son livre « La vision africaine du monde. Pour un enseignement social de l’Eglise sans loi naturelle », l’Abbé Bujo, professeur émérite de l’Université de Fribourg en Suisse, originaire de la République Démocratique du Congo, vient de publier Quelle Eglise pour un christianisme authentiquement africain ? Universalité dans la diversité, un ouvrage qui ; comme le titre l’indique, nous plonge dans le christianisme vécu en Afrique dans sa diversité culturelle.
Impact du premier synode pour l’Afrique
Le premier synode pour l’Afrique de 1994 fut un moment important de réflexion sur l’Eglise africaine. C’est donc normal que l’exhortation post-synodale qui en est suivie, Ecclesia in Africa, puisse encore inspirer l’action pastorale et la réflexion théologique. Et nous savons tous que le thème de l’Eglise-famille en constitue le concept clef. Si ce thème est déjà bien présent dans l’ecclésiologie traditionnelle (l’Eglise est le peuple des enfants de Dieu), le synode invitait à penser le christianisme africain à nouveau frais, en insistant sur l’image de famille comme clef de compréhension de ce que doit être l’Eglise en Afrique.
C’est cette idée-force qui sert de fer de lance à ce bel ouvrage du théologien congolais Bénézet Bujo. Ainsi, le premier chapitre s’emploie à fonder théologiquement cette notion d’Eglise-famille de Dieu. Le lecteur apprécie particulièrement l’effort de l’auteur à dissiper tout malentendu autour de cette notion, répondant aussi bien à ceux qui craignaient y trouver des relents de tribalisme derrière l’image de la famille à l’africaine, qu’à ceux qui doutaient d’un fondement biblique de cette image. On admire aussi l’exposé de deux caractéristiques principales de la famille en Afrique subsaharienne, à savoir, le caractère tridimensionnel de la communauté africaine (les vivants, les morts et les encore-pas-nés) et le principe d’engendrement/enfantement mutuel qui en est intimement lié. Le caractère tridimensionnel se fonde sur la compréhension de l’homme africain comme étant « un faisceau de relations ». C’est dire qu’il « devient personne par le biais des autres personnes (visibles) et de tout ce qui l’entoure, mais aussi par l’échange avec le monde invisible, à savoir les morts (ancêtres) et les non-encore-nés » (p. 44). Il convient de souligner que ce principe vaut aussi bien pour la vie individuelle que pour chaque communauté partielle (p. 54). De là découle, le deuxième principe d’engendrement/enfantement mutuel. Car, par « engendrement et enfantement l’on entend le fait que le bien octroyé à une personne ou à une communauté l’épanouit tellement qu’elle se sent comme à nouveau engendrée et enfantée » (p. 54).
C’est l’articulation de ces deux principes qui permet à l’auteur de fonder toute sa pensée dans ce livre. Il s’agit de tirer toutes les implications ecclésiologiques du caractère tridimensionnel de la famille ; ou encore de penser toutes les relations au sein de la communauté en termes d’engendrement/enfantement mutuel. Ce déploiement permet à l’auteur de toucher tous les aspects de la vie de l’Eglise. C’est dire que la conception de l’Eglise-Famille, comprise à l’aune de ses caractéristiques principales, a des conséquences concrètes sur la manière africaine d’appréhender la vie des baptisés, quel que soit l’état de vie (laïc, prêtre, religieux, évêque) : tous sont appelés à s’engendrer et à s’enfanter mutuellement. On signalera particulièrement le chapitre six où l’auteur s’essaye de tirer les conséquences de cette approche de l’Eglise pour le processus de nomination des évêques et leur manière d’exercer le ministère épiscopal.
Mettre en évidence la façon spécifique dont s’articulent l’universalité et la particularité
On l’a compris, il s’agit d’enraciner l’ecclésiologie dans l’anthropologie et la religiosité africaines. Une telle ecclésiologie rappelle que c’est Dieu – qui est lui-même communauté de trois personnes dont l’amour le vecteur d’engendrement et d’enfantement – qui fonde la communauté de l’Eglise : « l’Eglise en tant que Famille vit, elle aussi, de cette communauté », dit l’auteur (p. 79). Et, puisque la famille se conjugue essentiellement de manière tridimensionnelle, l’Eglise se conçoit comme une communauté de vivants, des morts (les saints) et des non-encore-nés (les futurs baptisés), qui trouve son origine et son accomplissement dans le Christ, en qui nous sommes tous fils du Père. De cette manière, « tout l’univers dont Dieu possédait le plan ab initio et toute la communauté tridimensionnelle qui était présente dans la pensée divine depuis toujours trouvent leur apogée dans le Christ, le Proto-non-encore-né devenu l’Ainé d’une multitude de frères dans l’Incarnation, la Mort et la Résurrection » (p. 87).
Dire l’Eglise en Afrique à partir de la famille ne signifie pas se singulariser ou s’isoler de l’Eglise universelle. Comme le dit l’auteur lui-même, « quand nous parlons de l’Eglise Famille dans la perspective africaine, il s’agit moins de proposer une autre façon d’appréhender l’Eglise que de mettre en évidence la façon spécifique dont s’articulent l’universalité et la particularité suivant la rationalité africaine » (p. 177). Ce qui est, selon l’auteur, dans la droite ligne du dernier Concile, notamment des enseignements de Lumen gentium.
D’une lecture agréable, cet ouvrage du théologien Bujo est riche en enseignements. Il vient s’ajouter à la grande bibliographie théologique africaine et répare l’absence d’une monographie exhaustive sur l’ecclésiologie africaine dans la littérature francophone. Il est promis à devenir une référence pour les études ultérieures.
Twitter : @JPBodjoko E-mail : jeanpierre.bodjoko@spc.va
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