R.D. CONGO : 18èmes Journées Philosophiques Canisius
Donatien Nyembo, SJ (avec Avelino Chico, SJ) - Cité du Vatican
Trois panneaux étaient prévus au programme, à savoir : les questions migratoires au niveau international ; les questions migratoires face à l’éthique ; les questions migratoires face au droit.
Bien avant, le professeur Willy Moka-Mubelo, Doyen de la Faculté, s’est évertué, dans son discours d’ouverture, à expliquer les objectifs poursuivis par ce banquet scientifique. Il n’est nullement question de se conformer uniquement à une tradition stérile, mais surtout de réfléchir, de manière rigoureuse et systématique, sur un problème épineux de notre société afin de proposer des voies de sensibilisation aux « impacts positifs et négatifs » de la migration et suggérer des solutions adéquates aux causes profondes de cette présente « crise migratoire, qui est une crise des valeurs aux multiples facettes ».
La Faculté de Philosophie Saint Pierre Canisius veut, selon les mots du Professeur Moka, « opposer une fin de non-recevoir à la montée ambiante de la ‘mondialisation de l’indifférence’, qui nous a ôté la capacité de pleurer et nous a fait oublier l’expérience du ‘souffrir avec’, comme l’affirmait le Saint-Père François lors de sa visite pastorale à Lampedusa, en Italie, le 08 juillet 2013 ».
Questions migratoires au niveau international
Le professeur Pierre Tshinanga a abordé la question des migrations internationales et ses conséquences. Il a, en premier lieu, attiré l’attention sur l’usage du mot « migration » au pluriel et mis en lumière certains faits souvent occultés. Par la suite, il a catégorisé, les différentes causes de la migration internationale (les causes politiques, économiques, naturelles, éducationnelles, psychologiques, touristiques, sanitaires, etc). Une mauvaise perception de ces causes de la migration provoquerait, selon lui, une série d’aliénations catastrophiques.
Abordant la même question, le professeur Pamphile Mabiala a focalisé son attention sur « la nomadologie et la construction de la paix dans la région des Grands Lacs ». Cette intervention a soulevé une interrogation majeure: « Pourquoi les peuples des pays des Grands Lacs qui, jadis, se côtoyaient, collaboraient et vivaient en paix , se méfient les uns des autres jusqu’à se haïr et s’entretuer malgré les conventions, traités et mécanismes de concertation régionale entre Etats ? »
Pour le professeur Jules Kipupu, la question migratoire ne saurait être posée hors du champs de l’éthique. Pour démontrer la pertinence de cette proposition, il s’est appuyé sur la pensée d’Emmanuel Kant et celle d’Emmanuel Lévinas. Il a ainsi utilisé les trois formes de droit (le droit civil, le droit des gens et le droit cosmopolitique), contenues dans le Projet de Paix perpétuelle de Kant, et en particulier le droit cosmopolitique grâce à son « noyau juridique » qu’est le droit à l’hospitalité. Faisant remarquer que l’on devait se garder de prendre le migrant pour un objet de marchandage politique, le professeur Kipupu a élargi l’horizon de sa réflexion avec Lévinas en recourant notamment au concept de « demeure », comme lieu d’accueil de l’autre et de recueillement de soi.
Questions migratoires face à l’éthique
Le deuxième jour a dirigé les regards vers les questions migratoires face à l’éthique.
« Migration, discours politique et instabilité », la question a été abordée par le Chef des Travaux Christian Moleka de l’Université de Kinshasa. Il a commencé par un repérage des concepts de « migration » et de « discours politique ». Ensuite, prenant pour cas d’étude l’univers politique français, il a analysé des liens qui existent entre le discours politique et la question de migration.
En vue de résoudre de manière radicale la crise migratoire actuelle, le professeur Paulin Manwelo, pour sa part, propose l’argument rawlsien. En effet, il est d’avis que la solution idoine à la crise migratoire ne réside ni dans l’hospitalité universelle à la kantienne, ni dans le protectionnisme à la manière des politiques nationales de droite, ni dans l’expulsion massive des réfugiés et des migrants, ni dans des œuvres de charité ou de philanthropie ; mais, dans l’avènement de la justice et dans la promotion des institutions justes.
Le professeur Ghislain Tshikendwa a, quant à lui, passer au peigne fin les différentes mesures barrières contre la pandémie de Covid-19, spécialement la mesure-phare, l’impératif « restez chez-vous ». Il voudrait en faire un mot d’ordre propice à la renaissance, en exhortant les Africains à construire nos « chez nous » ou nos habitats et à inventer de nouvelles formes de solidarité pour qu’enfin l’Afrique cesse d’être un continent de migrants indésirables.
La professeure Angélique Sita a souligné que les migrations sont aujourd’hui un enjeu planétaire auquel l’on ne saurait se dérober. Elle indique que vivre ensemble aujourd’hui est un défi mondial qu’il faut savoir relever, grâce à la promotion des normes et valeurs mobilisatrices d’amour, de communion et de solidarité, malgré les obstacles qui s’y opposent.
Questions migratoires face au droit
Le troisième et le dernier jour de ces journées philosophiques a élevé les yeux sur le dernier panneau, à savoir les questions migratoires face au droit. En mode visioconférence depuis le Canada, le professeur Paulin Mulatris a brossé le contexte historique de conquête et d’occupation des terres du Canada et de fondation de l’Etat du Canada pour mettre en lumière le rôle déterminant que l’Afrique, singulièrement la R.D. Congo, y a joué, à côté d’autres acteurs. Il a, ensuite, indiqué les trois catégories auxquelles appartiennent les migrants noirs au Canada avant de relever quelques défis et enjeux qui expliqueraient l’émigration au Canada, et auxquels sont confrontés le Canada, et en particulier les migrants. C’est par exemple le racisme, la discrimination, le positionnement social.
Le Professeur Mabasi sur « les migrations comme défi des relations internationales » fait recourt au Projet de paix perpétuelle du philosophe de Königsberg, singulièrement au droit cosmopolitique et à la notion d’hospitalité, évoqués précédemment par les professeurs Jules Kipupu et Paulin Manwelo.
« L’expulsion des migrants Congolais de l’Angola : l’intégration africaine remise en question », c’est le sujet développé par le professeur Pierre Lututala qui a proposé la création d’une intégration africaine dont l’objectif serait entre autres la facilitation du libre mouvement des biens et des personnes et la mobilité des capitaux et des facteurs de production.
La mémoire des traites négrières
Pour finir, le professeur Mpay Kembolya a rappelé « la plus grande en termes de flux migratoire à sens unique et la plus longue migration internationale forcée de l’histoire universelle humaine jusqu’à ce jour, la catastrophe inhumaine et innommable, ô ciel, de notre annihilation anthropologique, à savoir les traites trans-saharienne, trans-indienne, trans-atlantique de nous autres Nègres où des milliers de nos ancêtres ont péri ». Il l’a fait en convoquant des paroles de la chanson Redemption song de Bob Marley.
De fait, conclut le doyen honoraire de la faculté de Philosophie Saint Pierre Canisius, « il y a eu un terme à la catastrophe. Car, la volonté de survie et l’appel de la liberté, à l’instar de Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines et leurs compagnons héroïques de la révolution haïtienne de 1804, ont été plus forts, inexorables et indomptables que le tragique de la vaste traversée sans retour. Oui, nous voici, Dieu merci, enfin libres, vivants, et chez nous. »
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