RD Congo : le ministre Muyaya tient à reformer le secteur des médias
Service Français-Afrique – Cité du Vatican
Quelle est la situation actuelle du secteur des médias en RDC ?
Comme tous les autres secteurs, le secteur des médias en RDC est en crise, une crise profonde qui date de plusieurs années. Le secteur des médias, en général, est toujours dans une expansion permanente. Aujourd’hui, avec l’avènement des technologies de l’information et de la communication, notre univers est particulièrement en retard du point de vue technique et des textes de l’écosystème qui garantissent l’exercice de la liberté de la presse en RDC.
Dans le cadre des programmes du gouvernement, nous avons l’ambition de faire de la dépénalisation des délits de presse une question prioritaire, car, au 21ème siècle, il ne faut pas que les journalistes soient inquiétés pour des faits mineurs liés à l’exercice de leur métier. Mais, parallèlement, nous réfléchissons à la mise en place, avec les autres acteurs du secteur, d’une structure qui sera chargée du contrôle en amont, parce qu’il ne faudrait pas que la dépénalisation du délit de presse soit perçue comme un blanc-seing qu’on donne aux journalistes. Nous devons aussi élaborer une loi sur le statut du journaliste, afin de le sécuriser. On s’est demandé s’il faudrait mettre en place un ordre des journalistes, comme c’est le cas pour les avocats et les médecins, pour avoir la possibilité d’un tribunal des pairs plus contraignant ou est-ce que nous devons trouver un mécanisme différent. Aujourd’hui, avec le téléphone, vous pouvez filmer et diffuser sur YouTube, mais cela ne fait pas de vous un journaliste, parce qu’une certaine qualification est requise en amont. Toutes ces questions seront au centre des états généraux que nous comptons organiser dans les prochains jours et où nous allons réfléchir à comment reformer et adapter le secteur des médias dans notre pays et être sûr que nous sommes arrimés aux exigences de l’exercice du métier au 21ème siècle.
En dehors de la dépénalisation du délit de presse, quelles sont les autres priorités du secteur ?
Il y a des priorités qui sont liées à l’écosystème, en termes de loi, par rapport à l’exercice du métier de journaliste, mais il y a aussi d’autres questions liées à la viabilité de nos médias. Actuellement, les modèles économiques de nos médias ne sont pas viables. Et, fort malheureusement, beaucoup de nos médias appartiennent à des hommes politiques, à des Eglises et opèrent sous le statut d’ONG. Quand les hommes politiques ne sont plus au pouvoir, ils ne disposent plus de mécanismes de financement. L’assiette publicitaire est également étroite. Aux termes de ces états généraux, nous devons arriver à proposer un modèle économique pour nos médias. Bien évidemment, le gouvernement devrait aussi faire sa part, en apportant les subventions requises pour le secteur des médias qui a un caractère social et une certaine influence sur le comportement des citoyens. En tant que gouvernement, nous avons une responsabilité par rapport à ce fait, et on verra comment rendre plus concrète l’aide à la presse pour permettre aux journalistes et aux entreprises du secteur de bénéficier d’un certain nombre de facilités.
Vous prônez le changement de narratif comme nouveau paradigme. En quoi consiste-t-il ?
Le changement de narratif est simple. La RDC est aujourd’hui présentée comme un pays à problème. Nous avons des problèmes, comme dans tous les autres pays, mais nous sommes aussi un pays solution. Aujourd’hui, face aux principaux problèmes de l’humanité, dont le réchauffement climatique, la transition écologique, les énergies renouvelables, la RDC est en tête de peloton comme pays solution. Aujourd’hui, nous voulons présenter la RDC comme un pays solution et non pas seulement comme un pays où on viole les femmes ou encore où se déroulent les mauvaises choses que l’on dépeint. Nous reconnaissons nos difficultés et nous y travaillons. Nous faisons des progrès. Le tableau que l’on présentait de la RDC, par exemple, sur les violences basées sur le genre n’est plus le même qu’il y a deux ou trois ans.
Donc, vous cherchez à bien vendre l’image de votre pays ?
Nous ne cherchons pas à bien vendre, mais nous cherchons à récupérer l’initiative de la communication de notre pays. Certaines ONG ou officines se sont arrogées le droit de s’exprimer au nom du Congo et peigne le Congo sous sa plus mauvaise robe, parce que, fort malheureusement, cela leur permet d’exister. Nous ne voulons pas aller en guerre contre ces ONG qui travaillent ici chez nous, mais nous voulons juste leur montrer que nous sommes ouverts à la discussion. Elles font leur travail et nous faisons le nôtre, faisons-le dans la transparence. En outre, il faut également voir comment changer de perceptions de crise. Quand le verre est, à la fois, à moitié plein et à moitié vide, vous n’allez pas seulement parler du verre à moitié vide parce que cela correspond à votre agenda. Nous pouvons échanger, confronter nos informations et changer la perception. C’est ainsi que nous envisageons le changement de narratif et nous avons de très belles histoires à raconter, parce que le peuple congolais a fait preuve d’une immense capacité de résilience. Au-delà de tous les problèmes que nous avons, la RDC produit des champions dans tous les domaines.
Les téléspectateurs et auditeurs se plaignent des services de la Radiotélévision Nationale Congolaise (RTNC). Qu’en pensez-vous ?
Moi-même je me plains aussi. Cela veut dire que ce contexte de crise s’est cristallisé dans les médias publics. Ces derniers, malheureusement, ont été conçus par le passé comme un instrument du pouvoir. Heureusement que le président Félix Antoine Tshisekedi est un démocrate. Pendant son parcours, il a connu lui-même des difficultés d’accès aux médias publics, du fait de la volonté des autres, qui étaient au pouvoir avant lui. Aujourd’hui, nous voulons faire les choses différemment et marquer la rupture. Mais, bien au-delà de cette rupture que nous voulons marquer, nous voulons aussi réfléchir sur l’avenir des médias publics. Est-ce que nous devons continuer à avoir ces médias publics où la politique a pris le dessus sur tout ? La politique est le sujet qui nous divise le plus, mais pour de bonnes raisons. Aujourd’hui, à travers nos médias, il y a moyen de commencer à donner un peu plus d’espace à notre culture ou à notre tourisme, qui sont également des secteurs qui contribuent au rayonnement d’un pays, comme ce fut le cas par le passé. En 1974, c’est par le sport que la RDC a fait la une des médias dans beaucoup de pays du monde, grâce au « Combat du siècle ». Bien plus, on a été la première équipe d’Afrique subsaharienne à participer à une phase finale de coupe du monde. Aujourd’hui, nous voulons réécrire une autre histoire et placer les médias publics dans cet objectif. Néanmoins, il y a des défis à relever, en termes de personnel, d’équipement technique et de modernisation. Nous nous sommes engagés sur cette voie et nous allons faire notre part. Nous allons contrôler les effectifs, garantir une formation permanente, rajeunir le personnel, s’assurer de la mise à la retraite de ceux qui y sont éligibles et qu’ils reçoivent ce qui leur est dû pour services rendus. Ce sont des dossiers sur lesquels nous sommes déjà en train de travailler et nous sommes sûrs que nous allons y arriver ou, tout au moins, que nous allons faire notre part.
Vous comptez aussi élargir la participation de tous les partis politiques dans les médias publics ?
C’est tellement évident. Aujourd’hui, Moïse Katumbi, Martin Fayulu, Adolphe Muzito ou tout autre homme politique ont le droit d’être vus dans les médias publics car ce sont des médias qui appartiennent à tout le monde. L’équipe qui dirige actuellement, de manière intérimaire, la télévision nationale le sait. Et nous allons travailler en le consolidant. Il y a sans doute une forme de pesanteur chez les acteurs de l’opposition qui, peut-être n’associent pas les médias publics à leurs activités. C’est question de savoir comment ils interagissent avec les journalistes. De notre côté, du point de vue de la tutelle, il existe une volonté politique de faciliter l’accès aux médias publics à tous les courants et mouvements politiques de notre pays.
Le journaliste Congolais peut-il espérer un jour vivre de son travail ?
C’est une question qui recoupe la précédente concernant la viabilité économique de nos médias. Ces derniers sont en crise et le métier est également en crise. Malheureusement, lorsque vous n’êtes pas un bon journaliste, on n’a pas besoin d’une enquête de l’inspection générale des finances. On le voit au résultat de votre travail. Nous allons réfléchir sur le modèle économique des médias, notamment la question des subventions et des revenus publicitaires. Il faudrait des normes dans ce domaine, afin de permettre aux journalistes d’avoir un travail et de vivre de ce travail. Il faut inscrire la crise des médias dans le contexte global de la crise que traverse tout le pays. Combien de Congolais achètent des journaux ? Combien d’institutions gouvernementales sont abonnées ? Comment les médias se financent ? Autant de questions qui doivent faire l’objet d’une réflexion et nous allons y apporter des solutions et faire notre part.
Comment voudriez-vous que l’on se souvienne de votre passage comme ministre de la communication et des médias et porte-parole du gouvernement, quand vous ne serez plus aux affaires ?
La star, c’est la RDC et non le ministre. Nous voulons juste apporter cette touche de nouveauté dans la manière de communiquer. Le Premier ministre lui-même a donné le ton, dans le cadre des 100 jours. Vous avez vu aussi que nous avons pris le relais, en tant que ministres et membres du gouvernement. Nous avons cet exercice presqu’hebdomadaire ou bihebdomadaire avec les membres du gouvernement qui viennent, chacun, expliquer ce qu’ils font. Ce que les Congolais peuvent garder de nous comme ministre de la communication et des médias est que nous allons d’abord réussir à transformer les médias publics, car c’est un point essentiel pour lequel nous allons donner toute notre énergie. Je viens du domaine, je connais les défis et il faut bien que le pays tire profit de notre expertise. En termes de pratique, de communication, d’accessibilité et de transparence, nous allons nous assurer que cela ne soit pas seulement un discours mais une réalité bien vécue.
Peut-être que vous avez des choses à faire connaître concernant les médias de votre pays et des choses qui ne sont pas ressorties de mes questions ! Ce sera le mot de la fin.
Il y a des questions liées aux défis du gouvernement. On n’a pas abordé les questions de l’état de siège. La question de la sécurité est cruciale pour le gouvernement parce que cela fait 25 ans que le cancer de l’insécurité s’est répandu dans le pays. Des groupes terroristes opèrent à l’Est du pays. Le Président de la République a décidé d’instaurer l’état de siège parce que nous voulons apporter une thérapie de choc à cette question. Nous y travaillons et nous nous sommes rendus deux ou trois fois dans la ville de Beni. Le Président de la République s’y était installé, le Premier ministre y était aussi. Dans le cadre des efforts qui doivent être faits pour mettre fin à cette insécurité, nous méritons un appui un peu plus soutenu de la communauté internationale. Si vous souhaitez avoir du cobalt et qu’on protège mieux notre environnement, on a besoin d’un appui stratégique afin de permettre à notre armée de se rééquiper, de se réformer, et d’être en mesure de mettre fin à cette situation. Nous sommes optimistes et nous allons y arriver.
Sur le plan économique, après une dizaine d’année, nous avons repris le programme avec notre partenaire traditionnel, le Fonds monétaire international (FMI). Nous allons bénéficier de 1,5 milliard Usd. Ce n’est pas assez par rapport aux besoins du pays, mais c’est un indice d’une bonne gestion des chiffres et qui donne une crédibilité au gouvernement au niveau international, ce qui va nous permettre d’avoir accès à d’autres types de fonds pour financer nos projets de développement. Nous allons améliorer la qualité de la dépense, porter une attention particulière aux crédits accordés à l’investissement, faire un focus sur les 145 territoires et nous espérons que, d’ici deux ans, nous allons donner une nouvelle perspective à la RDC.
Nous sommes engagés à organiser les élections dans les délais attendus. Néanmoins, nous ne sommes pas les seuls acteurs dans ce processus. Malheureusement, pour le moment, les acteurs qui doivent désigner les dirigeants du bureau de la commission électorale nationale indépendante (CENI) sont encore dans des discussions qui prennent du temps. Dès qu’ils auront fini leur part, nous ferons également notre part, en tant que gouvernement, parce que nous aurons un interlocuteur à la tête de la CENI avec lequel nous allons discuter, planifier et organiser les élections qui vont consolider notre processus démocratique.
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