La commémoration et les souvenirs des défunts dans les traditions africaines
Entretien réalisé par Stanislas Kambashi,SJ
«Le 2 novembre est une date mémorable qui signifie l’énigme caché de la condition humaine». Pour les chrétiens, ceux qui croient en la Résurrection du Christ, cette date a trois significations: elle est l’expression de l’attente de la résurrection des morts et de la vie à venir; elle est le témoignage d’une relation de foi, d’espérance et de charité, un acte vertueux. Enfin, le 2 novembre signifie l’aspiration d’éternité au cœur de l’homme.
«Dans l’Eglise Catholique, il s’agit d’un acte théologal: foi, espérance et charité, d’une annonce et d’une attente. Dans les traditions africaines, il s’agit des souvenirs périodiques». Ce sont des éléments de réponses qu’a apportés le pretre et anthropologue béninois au sujet du lien entre la commémoration des fidèles défunts dans l’Eglise catholique et la célébration des défunts dans certaines cultures d’Afrique. Pour illustrer son propos, il a donné les exemples des cultes chez les Adja Fon, les Peulh et les Vodous du Bénin.
Le père Brice Ouinsou, prêtre de l’Archidiocèse de Cotonou, Docteur en Anthropologie Théologique (Université de Latran - Rome), Docteur en Droit, Spécialité Droit de l’Homme et de la Démocratie de la Chaire Unesco, Enseignant chercheur, Professeur à l’Institut Jean-Paul II, Section Afrique. Il est également Chapelain de l’Oratoire du Cardinal Bernardin Gantin pour la Spiritualité et la Synodalité.
Il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans le cœur des chrétiens. Le 2 novembre est une date mémorable qui signifie l’énigme caché de la condition humaine. Pour les chrétiens, c’est-à-dire pour ceux qui croient en la Résurrection du Christ, cette date a trois significations : d’abord, elle est l’expression d’une attente : attente de la résurrection des morts et de la vie à venir. Ensuite, elle est le témoignage d’une relation de foi, d’espérance et de charité, un acte vertueux. Enfin, le 2 novembre signifie l’aspiration d’éternité au cœur de l’homme. C’est l’expression d’une religion, d’une spiritualité, qui est en même temps, une annonce de la victoire de la vie sur la mort: la mort n’a pas le dernier mot.
Dans beaucoup de traditions africaines, il existe aussi une manière de célébrer ou de vénérer ceux qui nous ont précédé dans l’au-delà. Peut-on faire un lien entre la célébration des fidèles défunts dans l’Eglise et dans les cultures d’Afrique?
Puisque la mort est une réalité humaine incontournable, il est donc possible de faire des regroupements pour trouver la valeur des choses sans poser des jugements de valeur. Il faut bien cadrer la comparaison. Dans l’Eglise Catholique, il s’agit d’un acte théologal: foi, espérance et charité, d’une annonce et d’une attente. Dans les traditions africaines, il s’agit des souvenirs périodiques.
Pouvez-vous donner des exemples de la vénération des défunts dans l’une des cultures du Bénin, des Vodous?
On peut faire la comparaison à trois niveaux: au niveau du culte, au niveau de la destinée et au niveau du défunt. Nous nous situons par exemple sur deux aires culturelles: chez les Adja Fon du sud Bénin et chez les Peulh - traduction française du mot Wolof, du Sahel. Chez les Adja Fon, le culte est médian, alors que chez les peulh, il est immédiat. D’un côté comme de l’autre il ne s’agit pas d’une vénération mais plutôt d’une imploration au seuil de la porte des enfers. Au niveau de la personne dans les deux cultures, le défunt est toujours membre de la communauté il est tellement humain que la mort ne lui a arraché que le corps. On lui donne des corps en substitution. On exalte le mort, dans le mouvement des foulards chez les peulh, on lui donne des révérences dans le panthéon, des Assin, chez les Adja avec des ustensiles, des pagnes, des boissons, de l’argent, des choses pour la vie dans l’au-delà. Dans un espace dominé par le Vodous, ce qui est aujourd’hui dépassé, on est allé jusqu'à enterrer le défunt avec des vivants qui lui sont très cher pour continuer la vie dans l’au-delà. Au niveau de la destinée, aucune tradition ne dit historiquement l’aboutissement du défunt. Malgré les divergences, une convergence culturelle réside dans l’imaginaire collective de la réincarnation.
A la rencontre de la foi chrétienne. Il y a une convergence au niveau de l’aspiration et de la gestion solidaire. La divergence est au niveau des rapports entre le corps et l’âme et l’esprit. La spiritualité et l’immortalité de l’âme font la différence. Ce qui donne sens à l’expérience chrétienne, c’est la Résurrection des morts. Il faut alors tout un travail au niveau de la rédemption du corps en dialogue avec les traditions africaines.
Quel est le sens des libations ? C’est un rite dans lequel on se tourne vers les ancêtres. Que comprendre de ce rite et de quel côté le placer ?
Les libations sont des rituels religieux à valeur initiatique. Il faut noter immédiatement que les libations endogènes ne sont pas neutres. Elles constituent soit des votations, des panégyriques ou des incantations adressées aux ancêtres par le biais de la terre. Le fil rouge des libations est la parole à double tranchant. On verse de l’eau à la terre ou on verse de l’alcool pour éviter un mal comme pour implorer une protection ou une vengeance. Il faut placer le rite au niveau de la gestion des médiations entre la terre et les ancêtres, la vie dans l’au-delà et la vie ici-bas. La médiation de la terre et des boissons, peut constituer une piste de comparaison rituelle. Il y a une divergence radicale avec la foi chrétienne. Au niveau de la Parole, au niveau des gestes et au niveau du défunt.
Vous êtes anthropologue; en anthropologie, quelle peut être la conception de l’homme après la mort, d’un point de vue religieux, culturel et scientifique ?
En réalité, le 2 novembre est un appel à retrouver la situation anthropologique de la vie après la mort. Au point de vue religieux, (par religion nous entendons relecture dans la réalité) la conception de l’homme après la mort, est celle de la destruction du corps qui nécessite des efforts pour la reconstruction dans l’au-delà. L’âme est séparée en une vie qui rassemble et qui anime les relations dans le souvenir des vivants.
Au point de vue culturel, (par culture, j’entends la prise en charge sous diverses modes de l’existence), la conception de l’homme après la mort, est perçue dans le mode de la gestion des corps. La conception est variable. Pour d’autres, elle est figée dans le passé, pour d’autres, elle est éthérée dans les aires, dans les choses, dans le vent, pour d’autres elle est réincarné dans le souffle des naissances. Pour d’autres, il n’y a pas question de vie de l’homme après la mort. Mais il y a une constante dans le génie culturel: il reste une quête fondamentale, il s’agit d’une conception présumée dans l’imaginaire humain.
Au point de vue scientifique, pour l’anthropologue, la science est synonyme de savoir empirique. Il faut aujourd’hui un renouveau de l’anthropologie pour comprendre que le savoir empirique n’est pas séparé du savoir théorique, contemplatif. Dans cette vue d’ensemble, empirique et théorique, la conception de l’homme après la mort est celle d’un lien, une relation d’échange qui harmonise par purification, vérification et transmission. La conception de l’homme après la mort est donc commutative, exemplaire et significatif. Les vertus humaines sont au centre de cette conception scientifique qui sauvegarde la conscience collective et l’histoire particulière. Dans ce sens, la spiritualité et l’immortalité de l’âme convergent dans le sens du corps nouveau. Le corps transmis dans une perspective nouvelle et communautaire: C’est ce que les sciences théologiques appellent Imago trinitatis ou la Communio personnarum.
Finalement, le 2 novembre est l’annonce de la vie nouvelle, en attente d’être célébrée et partagée par l’humanité entière.
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