Mgr Bazié: le chrétien est invité à être visage de la miséricorde de Dieu
Entretien réalisé par Françoise Niamien - Cité du Vatican
Une semaine après Pâques l’Église célèbre ce 16 avril le dimanche de la Divine Miséricorde. C'est le saint Pape Jean-Paul II qui décida sa célébration en l'associant à sainte Faustine Kowalska le 30 avril 2000, jour de la canonisation de la religieuse polonaise.
La religieuse vit le Christ lui apparaître à de nombreuses reprises. L'essentiel du message qu'elle dit avoir reçu concerne la miséricorde de Dieu pour l'humanité. «Je désire que le premier dimanche après Pâques soit le dimanche de la miséricorde…toute âme qui se confessera et communiera recevra le pardon complet de ses fautes et la remise de leur punition; en ce jour sont ouvertes toutes les sources divines par lesquelles s’écoulent les grâces» (Petit journal n°299, n°699).
Mgr Bazié Yikyi Alexandre est évêque auxiliaire de Koudougou, au Burkina Faso. Il est également président de la Commission Justice et Paix et de la Commission de Théologie de la Conférence Épiscopale Burkina-Niger. Dans cet entretien, il revient sur des aspects de la Miséricorde de Dieu, en particulier dans un contexte de crise sécuritaire comme celui des pays du Sahel.
Comment comprendre la miséricorde de Dieu pour l’Homme?
Affirmer que Dieu est miséricordieux équivaut à dire qu’il est parfait. La perfection de Dieu comme caractéristique de son identité profonde est au sens biblique l’expression de sa miséricorde, de son amour, de son pardon. Dieu est le Parfait, le Saint parce qu’il est le Miséricordieux.
Cette miséricorde s’inscrit dans la dynamique du salut. La dynamique interne de l’être divin se dit comme miséricorde comme compassion, dans un cœur qui partage la misère des miséreux.
Depuis sa faute originelle et par son péché personnel, l’Homme est capable de s’éloigner de Dieu et même de s’opposer à lui: c’est cela principalement sa misère. Dieu est le miséricordieux; il est ce cœur qui est en communion de souffrance avec le pécheur, le souffrant, le miséreux qu’il veut sauver. Cette miséricorde de Dieu pour l’Homme s’exerce comme accueil, pardon, restauration, salut accordés avec un cœur de mère. Les entrailles maternelles de Dieu vibrent du désir d’aimer, de pardonner, de sauver l’Homme.
La miséricorde est l’expression de l’identité même de Dieu. Le Pape François nous dit que le nom de Dieu est Miséricorde. Dieu est miséricorde! Cette Miséricorde est l’équivalent du mot Amour dont il est «le vrai visage», comme le souligne encore le Saint-Père.
Quand Saint Jean nous dit que «Dieu est Amour», il se réfère à sa Miséricorde qui en est le vrai visage, la vraie manifestation. L’Eglise a pour mission à son tour d’être le reflet, le visage et l’instrument de cette miséricorde de Dieu pour l’Homme.
A quoi nous invite la miséricorde de Dieu?
Le chrétien est appelé à être visage de la miséricorde, ce visage qu’il est par configuration au Christ, dans le baptême. Par le baptême, l’homme est plongé dans la mort et résurrection du Christ, cet événement qui est par excellence la manifestation de la Miséricorde de Dieu pour l’homme.
En unissant intimement le chrétien au Christ, le baptême fait du chrétien un «visage de la miséricorde de Dieu» et il est aussi appelé à donner, comme le Christ, un visage à cette miséricorde divine par ses actions, sa solidarité avec ses frères et sœurs et par toute sa vie. Le chrétien est le témoin privilégié de la Miséricorde de Dieu.
Quand Jésus dit à ses disciples: «soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait» (Mt5,48), il les invite à aimer et à être miséricordieux comme Dieu lui-même est miséricordieux (Misericordes sicut Pater).
L’invitation à être parfait vient après l’exhortation à aimer ses ennemis (Mt 5,44), à faire du bien à ceux qui nous haïssent, à être fils du Père qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants (Mt 5, 45), qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. Être parfait dans ce contexte ainsi défini signifie donc aimer comme Dieu aime, c’est-à-dire de manière miséricordieuse.
Qu’apporte la miséricorde de Dieu à la vie du chrétien?
La parabole du fils prodigue peut nous éclairer à ce sujet, récit qu’on appelle volontiers aussi “Parabole du Père miséricordieux.” Dans ce récit, le père accueille le fils prodigue comme un fils, comme son fils, malgré l’éloignement volontaire de celui-ci. Le père se comporte envers lui comme un père, il l’accueille avec un cœur de père compatissant, bienveillant, miséricordieux. Il ne lui reproche pas son péché mais l’accueille gratuitement. Il ne le condamne pas; il se réjouit de le voir revenir à lui.
La réaction de l’enfant prodigue accueilli comme fils nous dit tout ce que la miséricorde du père lui apporte : il reçoit l’Esprit de repentance et de regret de son péché. «Je ne mérite plus d’être appelé ton fils, traite-moi comme un de tes ouvriers» (Lc15, 19) . C'est le retour au père, la réconciliation avec lui; l’accueil de la miséricorde du père, c’est-à-dire de sa compassion. «Mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé» (Lc 15,24). C'est aussi la réintégration dans la vie et dans la famille du père, dans la vie d’enfants de Dieu; puisqu’ici la parabole renvoie à l’attitude paternelle de Dieu manifestée en Jésus-Christ.
C'est enfin le recouvrement de la dignité de fils, de la dignité humaine tout simplement. A cela s’ajoute le Salut et bonheur: joie, dignité et vie retrouvées. Voilà ce que la miséricorde apporte à la vie de l’Homme: la proximité de Dieu, la réconciliation avec lui, la dignité de fils et de fille de Dieu, la joie, la vie et le salut.
Que pourrait signifier la miséricorde de Dieu aujourd’hui dans le monde en proie à la violence, particulièrement pour les chrétiens des pays du Sahel comme le Burkina Faso, le Mali et le Niger qui ne cessent de subir des attaques terroristes faisant des milliers de morts et des millions de déplacés?
La miséricorde, comme dynamique salvatrice et vivifiante, qui sauve et redonne la Vie, pourrait être comprise comme un appel à la conversion, à la repentance, à la connaissance et à la reconnaissance de son péché et au renouvellement de sa vie.
Aujourd’hui, notre monde est confronté à la violence. Et nous qui provenons des pays du Sahel en savons quelque chose. Je suis burkinabé. Aussi, tout comme au Mali, au Niger, nous déplorons ces nombreuses attaques terroristes qui ne cessent d’occasionner des milliers de morts et des millions déplacés et de réfugiés.
Disons tout d’abord qu’il ne faut pas penser la miséricorde de Dieu comme une action de Dieu sans l’Homme: «Dieu ne nous sauve pas sans nous», disaient nos pères des premiers siècles de l’Eglise. Cette célèbre affirmation de Saint Augustin est bien connue: «Dieu qui nous a créés sans nous ne veut pas nous sauver sans nous». La Miséricorde de Dieu se manifeste pleinement dans toute personne qui accueille cette Miséricorde avec joie.
Les sahéliens, en touchant le fond du trou: violences, attaques terroristes, milliers de morts, millions de déplacés, comprennent toute l’ampleur de ce qu’ils ont perdu: la fraternité, la patrie et la paternité communes, le bien commun, le vivre-ensemble, la cohésion sociale, la paix et la vie.
Les sahéliens ont perdu tout cela et la miséricorde de Dieu dans ce contexte peut se comprendre comme une manifestation de l’amour de Dieu, de sa bienveillance envers tous, malgré tout. Cet amour et cette bienveillance de Dieu peuvent et doivent même se manifester à travers les œuvres de miséricorde de l’Eglise: recherche des causes des conflits et de leur impact, solidarité, accueil des réfugiés, des personnes déplacées internes, des victimes, renforcement de la résilience et volonté de désamorcer la crise en œuvrant pour un renouvellement des cœurs et un retour à la paix.
Comment les victimes du terrorisme peuvent «être visage de la miséricorde de Dieu»?
La Commission Justice et Paix du Burkina Faso avait organisé un forum national sur la pastorale et la sécurité. Au cours de ce forum nous avions entendu des témoignages très touchants et édifiants. Nous avions entendu celui d’un père dont toute la famille a été massacrée par les terroristes. Chrétien, ce père de famille a affirmé «ils ont pris toute ma famille mais ils ne prendront jamais ma foi».
Dans de telles situations on n’a pas de réponses apprises. Chacun, face aux évènements et dans sa foi, a des réponses adaptées à sa personne. Des catéchistes ont été tués pour la simple raison qu’ils ont refusé d’enlever la croix qu’ils portaient à leurs cous.
Il n'y a que Dieu qui puisse nous aider à être miséricordieux. Dieu est présent en sa création par son Esprit. Lui seul sait susciter la compassion dans les cœurs de ceux qui souffrent. C’est aussi là que nous voyons l’importance de la prière.
Les évêques n’ont cessé d'inviter à la prière, la prière pour la conversion personnelle, mais également pour la conversion des terroristes et de tous ceux qui sèment la désolation dans les cœurs. En outre nous devons soutenir par nos prières toutes ces personnes qui dans la souffrance perdent espoir, parce que Dieu n’abandonne jamais ses enfants qui souffrent.
La miséricorde de Dieu peut-elle exclure la justice?
Les situations de misère sont souvent provoquées par l’injustice. Alors, si elle veut prendre en compte le bien intégral de l’homme, la Miséricorde de Dieu ne peut pas exclure la justice. La justice est aussi un instrument de la miséricorde. C’est par l’instauration de la justice et l’égalité des droits humains pour tous que l’Homme retrouve la dignité d’enfant de Dieu! C’est en bâtissant un monde de justice, d’égalité et d’intégrité que l’Homme bénéficie de la Miséricorde de Dieu qui veut le restaurer dans sa dignité de fils de Dieu tel qu’il l’a créé au commencement du monde.
Par ailleurs, on peut dire également que la Miséricorde de Dieu est une condition de réalisation d’une véritable justice, car elle permet à la justice d’être équitable, d’être vraiment juste dans la mesure où elle recherche le bien intégral de l’homme sur cette terre et même son salut dans l’éternité promise. La meilleure justice est toujours du côté de la miséricorde.
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