60 ans après, le rêve de l’unité africaine confronté à plusieurs défis
Jacques Ngol, SJ avec Christian Kombe, SJ – Cité du Vatican
Autour des années 1950 – 1960, beaucoup de pays africains devenaient indépendants, sortant d’un système colonial d’exploitation et d’oppression. Mais pour le prêtre congolais Emmanuel Bueya, ces indépendances célébrées avec faste ne sont encore que nominales, «ils ne sont pas encore indépendants de manière plus concrète», souligne le jésuite, professeur associé à l’Université Loyola du Congo. C'est dans ce contexte, explique-t-il, que naquit l'Organisation de l'unité africaine avec pour objectif principal de l’union et la coopération de jeunes États pour faire face aux nombreux défis qui pesaient sur eux.
Être unis pour être forts
L’Organisation de l’unité africaine apparait ainsi comme le premier projet politique commun que les États africains auront concrétisé pour favoriser leur union et solidarité ainsi que leur opposition collective au colonialisme. Pendant quatre décennies, si l’OUA aura réussi à galvaniser les énergies vers une libération totale de l’Afrique du joug colonial, l’organisation continentale n’a pas cependant réalisé le rêve de l’intégration, butant souvent face à la polarisation du continent entre les deux blocs, et échouant à résoudre bien des conflits dont le continent a été le théâtre.
Au cours des décennies, l'Organisation de l'unité africaine a donné naissance à l'union africaine (UA) au bilan également mitigé, souligne le père Bueya. Ce changement a certes apporté «des aspects nouveaux comme le souci de planifier», exprimé dans l’agenda 2063, un ensemble d’objectifs à poursuivre pour transformer l'Afrique en une puissance mondiale du futur. Mais sur le plan concret, estime le prêtre congolais, il n’y a pas d’évolution décisive dans la promotion de l’intégration continentale et sur le plan sécuritaire.
Intégration et sécurité
Selon le père Bueya, quelques progrès ont été réalisés cependant au niveau régional, évoquant les organisations régionales et sous-régionales qui s’efforcent de réaliser l’intégration économique et de lutter ensemble contre les défis sécuritaires. Mais là aussi, les structures mises en place ne réussissent toujours pas à réaliser leur mission, estime le jésuite congolais, citant l’exemple de l’inefficience de la force régionale de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) dans son pays, la République démocratique du Congo, en proie aux violences.
Plus globalement, le père Bueya souligne l’inefficacité de l’organisation continentale à œuvrer à la résolution des «conflits, stopper la guerre», qualifiant son engagement sur ce plan de «fiasco». C’est pourquoi, affirme-t-il, «il ne s'agit pas seulement de célébrer les 60 ans, mais plutôt de réfléchir sur les stratégies qu'il faut entreprendre pour pouvoir être plus efficaces et plus efficients». Face à tous ces défis, déclare-t-il, «l'Afrique a encore un long chemin à parcourir», car l’on se rend compte que «rien n'a encore commencé».
Les obstacles à la réalisation du rêve africain
«Je ne vais pas chercher les obstacles institutionnels, les obstacles d'ordre culturel», confie le prêtre congolais qui pointe du doigt «l'Africain lui-même» comme premier obstacle à l’évolution de cette organisation continentale. Les pesanteurs externes et internes comme le néocolonialisme, les conflits ethniques, sont vraies, estime le jésuite congolais. Mais il met surtout l’accent sur «une certaine incapacité à réaliser ce que nous faisons comme propositions, les projets que nous essayons de bâtir». En réalité, pour penser l'Union africaine, le développement africain, affirme-t-il, il faut «commencer à prendre conscience non pas des richesses du sol et du sous-sol, mais du potentiel humain de l'Afrique, se concentrer sur la capacité que les Africains peuvent avoir lorsqu'ils se mettent ensemble, unissent les intelligences et les forces pour développer leur continent».
L’Afrique doit prendre son destin en main
«Nous ne sommes pas des mendiants assis sur des richesses que des multinationales viendront exploiter en faisant de nous des citoyens de seconde zone, nous sommes des créateurs de notre propre destin», affirme le philosophe congolais, qui invite à revisiter le projet panafricain des «États-Unis d'Afrique», ce qui pourrait renforcer le lien étroit entre les pays. Pour Emmanuel Bueya, entre le bloc de Casablanca, qui prônait une sorte de fédération panafricaine, et le groupe de Monronvia qui lui préférait une association de nations souveraines, le choix est clair. Car, estime-t-il, cette dernière «n’est que la prolongation du néocolonialisme qui prône le principes politiques qui disent: diviser pour mieux régner»; ce qui a donné lieu à la division entre «Afrique francophone, lusophone, et anglophone». Dans ce sens, poursuit-il, si «l'Afrique veut se développer, les Africains doivent se mettre ensemble et créer un État fédéral africain puissant», qui correspondrait par ailleurs à la «perspective même de la politique globale mondiale». Pour parvenir à cela, conclut le jésuite, il faut des «leaders assez visionnaires qui voient le continent africains, non pas seulement selon l’agenda de 2063, en faisant des projections quelque peu fantaisistes, mais plutôt des gens qui ont une grande volonté pour éduquer la population à cette vision plus large».
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