Sanctuaire Notre-Dame de Santa Cruz, lieu de la messe de béatification, , le 8 décembre 2018 Sanctuaire Notre-Dame de Santa Cruz, lieu de la messe de béatification, , le 8 décembre 2018  

Béatification des martyrs d’Algérie : l’homélie du cardinal Becciù

Le témoignage des bienheureux Pierre Claverie et ses 18 compagnons relu à la lumière de la Parole de Dieu, et la mission des chrétiens en terre algérienne : tels ont été les deux axes principaux de l’homélie prononcée par le cardinal Giovanni Angelo Becciù lors de la messe de béatification célébrée à Oran ce 8 décembre.

Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

Dans son homélie, le cardinal Becciù, préfet de la Congrégation pour la cause des saints, s’est d’abord référé au passage de l’Apocalypse lu comme deuxième lecture (Ap 7, 9-17) : on peut y voir ce que connaissent désormais les bienheureux martyrs d’Algérie, qui, après avoir connu la croix, vivent la béatitude éternelle, la plénitude de vie expérimentée par la Vierge Marie lors de l’Annonciation (cf. évangile, Lc 1, 26-38). Mgr Pierre Claverie et ses compagnons portent aussi sur eux «le sceau salvifique de la Rédemption du Christ» obtenu par l’effusion de leur sang. Ils se sont ainsi identifiés au Seigneur, à la manière du serviteur souffrant décrit dans la première lecture (Is 53, 10-11).

La béatification montre que «l’Église ne désire rien d’autre que servir le peuple algérien, témoignant de son amour envers tous», a assuré le cardinal Becciù. Ses membres doivent continuer de répandre «des semences de paix», «dans une vie de vraie fraternité, dans la persévérance et dans le témoignage du choix radical de Dieu».

Le texte intégral de l’homélie

Chers frères et sœurs !

Le passage de l’Apocalypse (Ap 7, 9-17), proclamé dans la deuxième lecture, nous présente la «foule immense» (v.9) de ceux qui ont déjà atteint le but du salut éternel vers lequel nous sommes tous en route : le royaume de l’espérance, le royaume de ceux qui voient Dieu comme il est. L’Apôtre Jean dans sa vision riche en symboles les voit debout, devant le trône de Dieu, «vêtus de robes blanches», couleur de la lumière divine et de la gloire pascale. Mais la blancheur des robes est obtenue en les plongeant dans le sang rouge du Christ : ces élus ont fait l’expérience de la «grande épreuve ; ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau» (v.14). La splendeur est atteinte à travers le creuset de la souffrance, du don de soi, de la croix. En participant à la passion et à la mort de Jésus, le roi des martyrs, on atteint la lumière : per crucem ad lucem (par la croix jusqu’à la lumière) dit l’antique adage chrétien. De cette façon «ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église» (Col 1, 24) souligne saint Paul.

Ces sauvés serrent dans leurs mains une palme, qui dans l’Ancien Testament est le signe du triomphe et de l’acclamation ; la souffrance, l’engagement rigoureux du témoignage, le renoncement à soi-même ne conduisent pas à la mort mais introduisent dans la gloire ; ils ne produisent pas l’échec mais la vie et le bonheur. La scène de l’Apocalypse montre ensuite le chœur puissant des saints qui chantent d’une voix forte : «Le salut appartient à notre Dieu qui siège sur le trône et à l’Agneau» (Ap 7, 10).

Le texte de l’Apocalypse nous a ainsi retracé le portrait du bienheureux et du saint : il appartient seulement à Dieu, il paraît en tout point de la terre et à toute époque de l’histoire, il vit avec fidélité même dans l’épreuve en parcourant le chemin de la croix, il atteint le but glorieux de l’éternité où il vivra pour toujours dans la joie, dans les chants, dans la gloire, dans cet infini tourbillon de lumière et de paix qu’est Dieu.

Dans la foule immense de ceux qui ont atteint un destin de gloire, l’Église désire appeler aujourd’hui par leur nom 19 nouveaux Bienheureux, tués entre 1994 et 1996 dans des lieux et des temps différents mais dans le même contexte agité. Sur cette terre, ici en Algérie, ils ont annoncé l’amour inconditionnel du Seigneur envers les pauvres et les exclus, en témoignant de leur appartenance au Christ et à l’Église jusqu’au martyre. Il est beau de penser maintenant qu’ils se trouvent parmi ceux qui sont passés à travers «la grande épreuve et qui ont lavé leurs robes et les ont blanchies par le sang de l’Agneau» (v. 14). Provenant de huit Instituts différents, nos frères et nos sœurs vivaient dans ce pays où ils accomplissaient diverses missions ; ils furent forts et persévérants dans leur service de l’Évangile et de la population, malgré le climat menaçant de violence et d’oppression qui les entourait. En lisant leurs biographies on demeure frappés d’apprendre comment tous, bien conscients du risque qu’ils courraient, décidèrent courageusement de rester sur place jusqu’au bout ; en eux s’est développée une forte spiritualité du martyre enracinée dans la perspective de se sacrifier eux-mêmes et d’offrir leur vie pour une société de réconciliation et de paix.

Les Bienheureux Pierre Claverie et ses 18 compagnons et compagnes martyrs portent sur eux le sceau salvifique de la Rédemption du Christ. En inscrivant leurs noms dans le livre des sauvés et des Bienheureux, l’Église désire reconnaître l’exemplarité de leur vie vertueuse, l’héroïsme de la mort de ces extraordinaires artisans de paix et de ces témoins de la fraternité, et en même temps, rendre le suprême hommage à Jésus, Rédempteur de l’homme. Dans le Christ, l’Église désire adorer le Dieu vivant : puisque la gloire de Dieu est l’homme qui reçoit de lui la plénitude de vie.

Cette plénitude de vie, la Vierge Marie – dont nous célébrons aujourd’hui l’Immaculée Conception – en a fait l’expérience de façon incomparable, quand l’Archange Gabriel lui a annoncé qu’elle avait trouvé grâce auprès de Dieu et que par l’action de l’Esprit Saint elle concevrait Jésus, le Fils du Très-Haut. «Réjouis-toi, comblée de grâce : le Seigneur est avec toi» (Lc 1, 28). Nous aussi aujourd’hui, en contemplant ces nouveaux Bienheureux, nous sommes invités à dépasser toute étroitesse d’esprit et à nous réjouir, parce qu’en eux nous voyons resplendir le mystère de l’éternelle sainteté de Dieu ; sainteté qui nous est proposée à travers une nouvelle actualisation de l’Évangile par nos martyrs qui en ont témoigné jusqu’à l’effusion du sang. Nous nous souvenons d’eux comme de fidèles disciples du Christ qui ont aimé la pauvreté, qui ont été sensibles à la souffrance et attentionnés aux personnes abandonnées, qui ont pris part à l’angoisse et à l’affliction de leurs frères. Ces témoins héroïques de l’amour de Jésus sont allés jusqu’à la racine même de l’expérience que l’homme fait de ses propres limites : l’humiliation, les larmes, la persécution.

Ils se sont conformés pleinement au sacrifice du Christ qui, selon le prophète Isaïe, s’est identifié avec le Serviteur souffrant du Seigneur ; lui qui, comme nous l’avons entendu dans la première lecture, s’offrant «en sacrifice de réparation, […] par suite de ses tourments, verra la lumière et justifiera les multitudes» (cf. Is 53, 10b.11). Cela arrive justement par la Croix, puisque dans la mort de Jésus, Dieu s’est définitivement fait proche de l’humanité et l’homme a acquis pleine conscience de sa dignité et de son élévation. Par leur mort en martyrs, les nouveaux Bienheureux eux aussi sont entrés dans la lumière de Dieu, et d’en-haut ils veillent sur les personnes qu’ils ont servies et aimées, priant sans cesse pour tous, même pour ceux qui les ont frappés. Ils continuent ainsi cette mission prophétique de la miséricorde et du pardon, dont ils ont été des témoins au cours de leur vie terrestre. Que leur exemple suscite en tous le désir de promouvoir ce que le Saint-Père François a défini comme «la culture de la miséricorde qui donne naissance à une véritable révolution» (cf. Lettre apostolique Misericordia et misera, n. 20). En accueillant la dynamique du pardon, admirablement vécue par les nouveaux Bienheureux, nous souhaitons que l’Algérie puisse dépasser définitivement cette terrible période de violence et de malheur et nous prions pour cela !

La mort tragique des Bienheureux Pierre Claverie et de ses 18 compagnons et compagnes martyrs est une semence tombée en terre dans des moments difficiles, fécondée par la souffrance qui portera des fruits de réconciliation et de justice. C’est cela notre mission de chrétiens : semer chaque jour les germes de la paix évangélique, pour jouir des fruits de la justice. Par cette Béatification nous voudrions dire à l’Algérie tout entière seulement ceci : l’Église ne désire rien d’autre que servir le peuple algérien, témoignant de son amour envers tous.

En tout point de la terre, les chrétiens sont animés du désir de contribuer concrètement à construire un avenir lumineux d’espérance par la sagesse de la paix, pour édifier une société fondée sur le respect réciproque, sur la collaboration, sur l’amour. Une telle société pourra pleinement se réaliser si chacun s’efforce de développer la pédagogie du pardon, si nécessaire aussi dans ce pays.

La communauté chrétienne dans ce pays répand de petites mais significatives semences de paix. Par cette Béatification, elle peut se sentir confortée dans sa présence en Algérie ; par ces 19 martyrs, que s’affermisse en elle la conviction que sa précieuse présence près de ce peuple est justifiée par le désir d’être lumière et signe de l’amour de Dieu pour la population tout entière.

Le témoignage lumineux de ces Bienheureux constitue un exemple vivant et proche pour tous. Leur vie et leur mort est un appel direct à nous tous chrétiens et en particulier à vous, frères ou sœurs dans la vie religieuse, à être fidèles à tout prix à votre vocation propre, en servant l’Évangile et l’Église dans une vie de vraie fraternité, dans la persévérance et dans le témoignage du choix radical de Dieu.

Je ne peux pas terminer sans exprimer une vive gratitude aux Congrégations religieuses auxquelles nos frères appartenaient comme aussi à leurs familles naturelles qui ont tant souffert de leur perte, mais qui maintenant peuvent se réjouir avec toute l’Église de les savoir Bienheureux dans le ciel. Nous sommes tous réconfortés par la certitude que nos frères et nos sœurs martyrs, par leur sacrifice, par leur intercession constante et par leur protection, feront produire sur cette terre des fruits abondants de bonté et de partage fraternel.

Pour cela nous nous adressons à eux et nous disons : Bienheureux Pierre Claverie et ses 18 compagnons et compagnes martyrs, priez pour nous !

 

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08 décembre 2018, 15:20