Les carmes de Bangui au service de la population
Xavier Sartre – Bangui, République centrafricaine
Des centaines de palmiers à huile donnent une ombre bienvenue en cette chaude journée de mars. Au fond d’un chemin en terre, passé une barrière rudimentaire, se niche le carmel, son église, ses bâtiments conventuels bâtis autour de cours fleuries. C’est dans ce décor paisible et verdoyant que dix mille personnes ont trouvé refuge pendant des années après 2013 quand le pays était livré aux violences entre anti-balakas et ex-Seleka.
De cette époque si proche, le père Dingbedi, le supérieur du couvent, en garde un souvenir ému. «Quand nous avons accueilli les personnes déplacées, nous avons tiré une relation fraternelle, amicale avec elles. Après leur retour, elles continuent de témoigner de leur reconnaissance à notre égard et elles continuent aussi à venir profiter de ce que nous leur offrons comme travail», confie-t-il.
Aujourd’hui, plus aucune trace ne subsiste de cette ville de tentes gérée par les frères, qui, entre leurs prières et la messe, distribuaient l’aide humanitaire et assuraient le bon fonctionnement de l’ensemble. Ce sont les cris stridents de la presse à briques ou les meuglements des vaches que l’on entend maintenant.
Comme une abbaye médiévale
Loin de ne se consacrer qu’à leur dimension spirituelle, les frères sont très impliqués dans un projet bien matériel. Le couvent dispose donc d’une briqueterie financée par une association française, Un P.A.S avec les Frères Jaccard et la Conférence épiscopale italienne : les briques autobloquantes, sont utilisées pour les constructions sur le site, mais elles sont aussi vendues. Le premier client fut d’ailleurs le Pape François qui les a achetées pour le projet de centre contre la malnutrition de l’hôpital pédiatrique de Bangui, récemment inauguré.
Le couvent du Mont-Carmel de Bangui dispose aussi d’une ferme avec quatre taureaux, trente-sept génisses et une quarantaine de veaux. Les bergers les emmènent deux fois par jour paître dans le domaine pour éviter toute perte d'animal et les ramènent à chaque fois à l'étable pour leur donner des compléments alimentaires. Vaches bororos, reconnaissables à leurs grandes cornes ou vaches venant du Tchad ou du Cameroun, produisent de la viande pour la communauté ou pour la vente. Depuis peu, il y a aussi un poulailler.
Huile de palme
Visionnaires, les premiers frères ont planté des palmiers à huile afin de produire de l'huile de palme. Dans un bâtiment à côté de l'étable, les fruits sont chauffés dans de grandes cuves avant d'être pressés et affinés. Quand le courant ne joue pas des tours, c'est une activité intense qui permet là aussi d'approvisionner le couvent et de vendre une partie de la production.
Au sein des employés, aucune distinction n'est faite entre chrétiens et musulmans. C'était le cas avant «les événements», ce fut le cas pendant la guerre, et c'est toujours le cas. Yaya est un berger peul. Musulman, il travaillait déjà au couvent. Il a dû fuir au Tchad avec sa famille pour éviter d'être massacré par les milices anti-balakas mais depuis la fin des affrontements, il est revenu et a retrouvé sa place. «Nous l'avons accueilli comme auparavant», se rappelle le frère Arlan, qui coordonne toutes les activités agricoles. «Notre communauté, notre couvent accueille tout le monde, et nous cherchons à inculquer cela à tous ceux qui nous fréquentent», poursuit-il.
Un carmel ouvert sur la société
Le couvent, à l'origine, construit sur la commune de Bimbo, en bordure de Bangui, se trouvait presque au milieu de nulle part. Puis la réputation des frères et leurs œuvres ont attiré de plus en plus de monde et la palmeraie est maintenant insérée dans l'agglomération de la capitale. Son ouverture contraste avec les couvents européens, plus centrés sur la vie contemplative. Cette différence, le père Marie-Philippe, carme déchaux de la province d'Avignon-Aquitaine, l'a notée mais elle ne le surprend pas.
Arrivé il y a quelques semaines pour un séjour d'un an afin d'enseigner au grand séminaire de Bangui la théologie spirituelle, il remarque qu'en France la vie des carmes «est plutôt monastique alors qu'ici c'est vraiment ouvert à tous azimuts presque. Ce que je trouve beau, c'est que les carmes ont répondu à une inculturation et une nécessité de s'ouvrir à une réalité culturelle. Il y avait ces besoins urgents, humains. Quand on vient évangéliser, c'est bien de penser à la vie spirituelle, mais penser à ce dont ils ont besoin en tout premier lieu, à une éducation, à la nourriture, ça rentre aussi dans la vocation du carmel», reconnaît-il.
De nouveaux projets
Les frères fourmillent encore de projets. Actuellement, ils font construire, avec leurs briques, une école d'agriculture. Les murs sont montés, le toit posé. Le gros oeuvre est achevé et bientôt l'établissement accueillera ses premiers élèves. Le couvent du Mont-Carmel de Bangui pose ainsi, brique après brique, les bases d'une oeuvre au service de toute la population de la Centrafrique, une œuvre sociale mais aussi et surtout, une œuvre de paix.
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