En Algérie, les catholiques vivent le Triduum pascal dans une confiance renouvelée
Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
Mgr Jean-Paul Vesco, dominicain français, a été nommé évêque d’Oran par Benoît XVI le 1er décembre 2012. C'est dans cette ville algérienne ouverte sur la Méditerranée que s’est déroulée le 8 décembre dernier la béatification des 19 martyrs d’Algérie – dont Mgr Pierre Claverie, en son temps évêque de ce même diocèse, et les moines de Tibhirine. Oran, à l’instar des autres grandes villes du pays, est le théâtre de manifestations pacifiques de la population algérienne, laquelle réclame une nouvelle ère politique depuis la démission, le 2 avril, du président Abdelaziz Bouteflika après 20 ans de pouvoir. Mgr Vesco donne d’abord son regard sur ces évènements politiques qui marquent un tournant de l’histoire du pays.
L’Église catholique en Algérie suit évidemment avec espérance ces grandes manifestations pacifiques. L’Église se veut être une partie de la société civile algérienne, et elle est heureuse de voir une société qui prend son destin en main. En revanche, nous ne participons pas aux marches, parce que notre façon de participer c’est de prier pour l’Algérie, de prier pour ses habitants et ses dirigeants. Dès lors qu’il s’agit d’options politiques, les choix appartiennent aux Algériens eux-mêmes, et l’Église catholique fait à la fois partie de la société civile, de l’histoire de l’Algérie indépendante, mais elle est tout de même considérée comme largement étrangère à la société. Donc il y a une forme de respect, de discrétion face à un peuple qui est confronté à son destin et à son avenir politique. Nous, nous sommes de tout cœur [avec ce peuple], pleins d’espérance, parce que c’est tout de même très beau de voir ces mouvements depuis des semaines. Mais jusqu’où tout cela pourra aller, nous n’en savons rien. Mais c’est déjà beau. En soit, c’est déjà un évènement, ce qui s’est déjà passé… qu’un peuple se réveille, se mette en marche, c’est déjà plein d’espérance.
Vous portez donc un retard plutôt confiant en ce qui concerne l’avenir de la société algérienne, est-ce aussi le cas vis-à-vis de l’Église algérienne?
On me demande souvent si l’on n’est pas inquiets pour l’avenir de l’Église avec ce qui se passe. Ce que l’Église essaie de vivre dans ce pays, c’est de faire du bien à ce pays. Ma conviction profonde, c’est que tout ce qui sortira de bon pour l’Algérie sera bon pour notre Église. Et je suis sûr qu’il sortira du bon, donc c’est pour cela que je suis très en paix avec ce qui est en train de se vivre, et pas du tout inquiet d’une certaine manière, même si je sais bien sûr qu’il y aura sans doute des moments difficiles. Mais fondamentalement, ce qui sera bon pour l’Algérie sera bon pour notre Église.
Dans ce contexte, de quelle manière allez-vous vivre le Triduum Pascal?
Comme chaque année, même si c’est chaque année un évènement! La vie de l’Algérie n’est pas changée aujourd’hui, c’est même ça qui est assez frappant. Rien ne se voit de Pâques dans la vie de l’Algérie, c’est ça qui est parfois déroutant et qui est beau aussi. D’une certaine manière, la petite minorité chrétienne, la toute petite poignée de chrétiens fait exister Pâques dans ce pays. La Messe Chrismale réunira peut-être cent personnes.
Pour moi, la Messe Chrismale en Algérie est vraiment un moment extrêmement important. Pendant des années, il y avait encore moins de monde. Mon prédécesseur a consacré chaque année le Saint-Chrême pour les baptêmes et les confirmations, et il n’y avait pas de baptême ni de confirmation. Mais on l’a quand même fait, année après année, en grande dignité, en grande simplicité. Je vais le refaire, et nous avons des baptêmes et des confirmations. Ce qui est beau, c’est que ça n’a rien à voir avec une Messe Chrismale dans une cathédrale de je ne sais quel pays en Europe, et pourtant c’est le même Mystère. Dans la Messe Chrismale se dit à la fois la singularité de notre situation d’Église et aussi notre participation à l’Église universelle, qui est là et qui se maintient.
En tant qu’évêque du diocèse, allez-vous passer un moment plus particulier avec les prêtres, avec le presbyterium?
Le jour de la Messe Chrismale est une journée du presbyterium. Nous avons une quinzaine de prêtres dans le diocèse et une quarantaine de religieux et religieuses. Nous reviendrons évidemment sur ce temps des béatifications qui a été un temps très particulier. Chacun viendra avec un texte de Pierre Claverie, ou pour ceux qui l’ont connu, une histoire. Nous reviendrons aussi sur ces moments si particuliers: la célébration des béatifications le 8 décembre à Oran, la rencontre d’Abu Dhabi au mois de février, la signature de la Déclaration commune sur la fraternité universelle entre le Pape François et le Grand Imam de l’université d’Al-Azhar, et la visite du Pape au Maroc. Il y a là quatre évènements en très peu de temps qui disent quelque chose non seulement de la mission de notre Église particulière en monde musulman, mais aussi un autre rapport de l’Église au monde, avec les croyants d’autres religions, dont l’Islam, mais pas seulement. Cela nous renvoie d’une façon très particulière à notre façon d’annoncer l’Évangile ici, au milieu de nos frères et sœurs de l’Islam.
Vous remarquez que ces quatre temps forts accompagnent aussi ces fidèles?
Bien sûr. Il y a les permanents de l’Église - prêtres, religieux, religieuses - qui sont touchés d’une façon particulière; il y a beaucoup d’étudiants, des étudiants subsahariens, et nous travaillons ensemble la Déclaration commune sur la fraternité humaine, nous l’avons travaillée ensemble dans les paroisses; il y a toutes les personnes qui sont en migration: leur lien à l’Église et à tout ça est bien différent, parce qu’elles ont d’autres questions, qui touchent à leur survie même ; il y a les chrétiens de ce pays. Les fidèles de notre diocèse et de notre pays sont touchés par ces évènements dans la mesure où nous-mêmes, nous en sommes touchés. Ce Triduum sera marqué par ces évènements, et ma parole dans chacune des paroisses.
Ce bonheur pour moi des jours saints, de la Semaine Sainte, c’est que c’est la semaine de l’année où j’ai l’impression d’être évêque à plein-temps. Évêque, je le suis à plein-temps jour et nuit, toute l’année, mais pris par tellement de tâches… alors que là, c’est le temps où je visite chacune des communautés paroissiales du diocèse. Ma parole sera prise par tout ce qui a été vécu.
Un autre exemple: comment faire le lavement des pieds sans avoir en tête l’image du Pape François qui s’agenouille et qui baise les pieds des responsables du Soudan du Sud en guerre? On a sous les yeux une image absolue de ce que signifie le Lavement des pieds par le Christ à ses disciples.
Tout cela nourrit notre Triduum ici en Algérie. Et beaucoup de nos amis musulmans savent que c’est pour nous une semaine importante et nous souhaitent bonne fête, ce n’est pas rien. Ils savent qu’il se passe quelque chose d’important pour nous et donc d’une certaine manière, c’est important pour eux aussi. Et ça c’est beau.
Donc cette coexistence avec la communauté musulmane [pendant la Semaine Sainte] se passe plutôt bien?
On mesure peut-être d’une façon plus forte la chance d’être chrétien. Ça n’enlève rien à la richesse des religions, et notamment de l’Islam, ça n’enlève rien au mystère de la différence religieuse, mais c’est sûr que plus que jamais, je suis bouleversé d’être chrétien.
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