L’Église gréco-catholique de Roumanie, une communauté ressuscitée
Cyprien Viet - Bucarest
Le point d’orgue du voyage du Pape François en Roumanie sera demain matin la béatification de sept évêques gréco-catholiques martyrs du communisme. Le Pape se déplacera pour l’occasion à Blaj, une petite ville de Transylvanie qui abrite le siège de l’Église gréco-catholique. Il participera à la Divine liturgie avec le cardinal Lucian Muresan, 88 ans, archevêque majeur d’Alba Julia et donc chef de cette Église unie à Rome depuis plus de trois siècles et qui a finalement survécu à sa mort planifiée par Staline.
Ces sept évêques, qui n’ont pas été directement exécutés mais qui sont morts entre 1950 et 1970 en raison de leurs conditions de détention avaient fait les frais de la répression menée par l’appareil d’État communiste, soumis à la pression de Moscou qui avait décidé de liquider cette Église suspectée, via la communion avec Rome, d’un lien trop fort avec l’Occident.
La loi dite «d’unification» promulguée par les autorités communistes devait les contraindre les gréco-catholiques à se fondre dans l’Église orthodoxe que leurs ancêtres avaient quitté en 1700, et à couper tout lien avec Rome. Par pragmatisme, certains fidèles ont rejoint l’Église orthodoxe, peut-être même sans s’en rendre compte en raison de la similarité des rites, mais tous les évêques et une grande partie des prêtres et moines ont refusé d’obéir à cette injonction.
La béatification des sept évêques est donc un signe de Résurrection pour cette Église, comme nous l’explique Mgr Claudiu Pop, évêque de Curie de l’archevêché majeur gréco-catholique.
Le père Gabriel Buboi est le recteur du Collège pontifical roumain à Rome, appelé le Collège « Pio Romeno » car il avait été fondé par le Pape Pie XI en 1935, nous explique ce que représente cette venue du Pape François à Blaj et cette béatification des martyrs pour l’Église gréco-catholique, qui poursuit sa reconstruction après les décennies douloureuses de l’époque communiste.
Qui étaient ces évêques martyrs ?
Ces sept évêques n’ont pas été directement assassinés, mais tous ont fait l’objet de mauvais traitements qui ont dégradé leur santé et, pour cinq d’entre eux, les ont mené à une mort précoce. Voici un résumé du parcours de chacun d’entre eux, dans l’ordre chronologique de leurs décès respectifs.
Vasile Aftenie (1899-1950)
Évêque auxiliaire de Blaj pour le Vicariat de Bucarest. Consacré évêque en juin 1940, il refusa la loi d’unification en 1948 et fut arrêté. A partir de mai 1949, il fut durant dix mois l’objet d’interrogatoires violents, sans rien concéder quant à son adhésion à la fois catholique. En mars 1950, il s’effondra dans sa cellule, atteint d’une paralysie partielle. Il mourut 45 jours plus tard.
Valeriu Traian Frentiu (1875-1952)
Évêque de Lugoj, d’Oradea et administrateur apostolique de Blaj. Doyen du groupe, évêque depuis 1912, il fut arrêté en 1948 à l’âge de 73 ans. Gravement malade, il s’éteindra en prison en 1952.
Ioan Suciu (1907-1953)
Évêque auxiliaire d’Oradea, administrateur apostolique de Blaj. Ordonné évêque en 1940 à seulement 33 ans, il fut un dynamique évangélisateur de la jeunesse, multipliant les parties de football, et montrant aussi une grande proximité avec la communauté Rom. Fougueusement opposé à la dictature du Parti communiste, il fut arrêté en 1948 et fut soumis à des conditions de détention particulièrement dures. Il mourut de faim en 1953, entouré par les autres évêques dans leur cellule de la prison de Sighet. On sait qu’il fut enterré au cimetière des pauvres mais sa tombe n’a jamais pu être identifiée.
Tit Liviu Chinezu (1904-1955)
Évêque auxiliaire de Blaj. Son cas est particulier puisqu’il n’était que prêtre lors de son arrestation, mais fut ordonné évêque en cachette dans le camp de prisonniers du monastère orthodoxe de Caldarusani. Il ne put jamais exercer son ministère, mais partagea le chemin de Croix de ses frères évêques. Quelques heures avant sa mort, il reçut le sacrement de la réconciliation des mains de Mgr Boros et Mgr Todea, deux évêques qui réussirent à entrer dans sa cellule en effectuant leur travail de balayeurs.
Ioan Balan (1880-1959)
Évêque de Lugoj. Ce brillant canoniste, membre de la commission vaticane pour la rédaction du droit canonique des Églises orientales, avait été ordonné évêque en 1936. Il fut détenu à partir de 1948, et fut ensuite placé à l’isolement au monastère orthodoxe de Ciorogarla, près de Bucarest, où il s’éteindra en 1959.
Alexandru Rusu (1884-1963)
Évêque de Maramures. Ordonné évêque en 1931, il fut alternativement placé en prison et à l’isolement dans des monastères orthodoxes. Considéré comme le plus “dangereux” des évêques, il fut le seul à être condamné par un tribunal et s’éteindra en 1963 à la prison de Gherla.
Cardinal Iuliu Hossu (1885-1970)
Évêque de Cluj-Gherla. Ordonné évêque en 1917, il fut chargé le 1er décembre 1918 de lire la Déclaration d’union de la Transylvanie à la Roumanie, lors de la Grande Assemblée Nationale d’Alba Iulia. A partir de 1948, il fut mis en détention, alternant des périodes en prison et en monastère. Vers la fin de sa vie, dans un contexte de relative libéralisation du régime de Ceaucescu, quelques visites lui furent accordées. Il fut créé cardinal in pectore en 1969. Cette décision de Paul VI, qu’il avait en réalité refusé car il craignait d’être contraint à l’exil, ne fut révélée que trois ans après sa mort, en 1973.
Dans l’un de ses derniers écrits, rédigés à la façon d’un testament, le cardinal Hossu avait rédigé ces mots qui prennent un relief particulier aujourd’hui, alors que les sept évêques de l’Église gréco-catholique de Roumanie vivent leur ministère dans une filiation assumée avec ces sept martyrs :«Reçois, Seigneur, le sacrifice qui t’a été offert par Tes serviteurs que Tu as fortifiés et éclairés, et place-le aux fondations de notre Église qui renait dans les douleurs de la grande épreuve ; fais, Seigneur, qu’une abondante récolte naisse de la semence enfouie par Tes serviteurs dans le sillon profond qu’ils tracèrent, aidés par Toi, afin que Ta gloire soit proclamée dans la renaissance de notre Église.»
L’Église gréco-catholique a retrouvé sa liberté en 1990, 20 ans après la mort du cardinal Hossu, et elle poursuit actuellement sa reconstruction, avec la participation active de nombreux témoins directs de ces années de Chemin de Croix. L’espérance pascale l’a emporté sur le projet de mort souhaité par Staline et ses complices en Roumanie.
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