Mgr Azuaje: au Venezuela «le gouvernement a perdu le contact avec le peuple»
Griselda Mutual - Cité du Vatican
Au Venezuela, le manque de nourriture, de médicaments et de services a épuisé la population, conduisant plus de quatre millions de personnes à quitter le pays à la recherche d'une solution qui puisse également aider ceux qui restent dans le pays. Les familles divisées, les maladies et la faim ne sont que quelques-unes des souffrances quotidiennes que les Vénézuéliens endurent. La crise est non seulement économique, mais aussi démocratique: de nombreux citoyens se voient privés de leurs droits. Les excès du pouvoir ont été dénoncés par la Haute-Commissaire des Nations Unies pour les Droits de l'Homme dans son rapport du 4 juillet, et auquel les évêques ont fait référence dans leur exhortation pastorale à l'issue de leur Assemblée plénière. Notre collègue de la section hispanophone de ces questions avec le président de la Conférence épiscopale vénézuélienne, Mgr José Luis Azuaje Ayala.
Griselda Mutual : Que peut être la réponse de la communauté internationale à quiconque n'écoute pas le cri du peuple, c'est-à-dire si le gouvernement n'est pas prêt à renoncer au pouvoir ou si l'opposition n'envisage pas d'autres solutions ?
Mgr José Luis Azuaje Ayala : Nous continuons d'insister sur la nécessité d'un changement politique dans le pays, car sans ce changement politique, il n'y aura pas de changements économiques ou sociaux, pas même culturels, qui sont également nécessaires, puisque la division et la démotivation totale du peuple vénézuélien ont été semées.
Nous avons vu comment l'inefficacité du régime en place a fait que la population n'a pas accès aux services de base. Par exemple, à Maracaibo, toutes les six ou cinq heures, les lumières s'éteignent. Il n'y a pas de services d'eau. Le plus grave, c'est que le gouvernement essaie de régler des situations, mais il n'assume pas sa responsabilité de régler les problèmes plus profonds. Le gouvernement n'est resté que dans l'idéologie, et veut semer une culture qui n'est pas la nôtre, comme le choc des idées ou le sentiment de revanche.
Par ailleurs, nous estimons que le gouvernement a pris le pouvoir illégitimement, ce qui a aussi des conséquences juridiques. Nous avons toujours souligné que la solution pour le Venezuela ne se trouve pas seulement dans le domaine économique, mais qu'elle doit se situer avant tout dans le domaine politique, c'est-à-dire, comme l'indique la Constitution, aller aux élections avec un processus électoral assorti de garanties. Ces garanties signifient que le registre électoral doit être mis à jour, afin que nos frères et sœurs à l'étranger - dont plus de 4 millions sont majeurs - puissent voter. Cela doit se faire sous la supervision d'organisations internationales qui supervisent le processus électoral. Cet aspect est fondamental parce qu'ici, on ne fait pas confiance aux institutions, puisqu'elles ont, après tout, pris le parti de l'exécutif national. Nous pensons que pour reconstruire le Venezuela, nous devons respecter les paramètres constitutionnels : cela nous donne la garantie de savoir que nous sommes sur la voie d'un processus démocratique.
Certes, la crise au Venezuela touche toute la région....
Oui, nous sommes toujours en contact avec tous nos frères, surtout avec les conférences épiscopales qui sont dans les pays d'accueil des Vénézuéliens, qui font leur travail. Jusqu'à présent, entre 12% et 14% de la population vénézuélienne est allée dans différents pays, principalement en Amérique du Sud. Cela génère des conflits, parce qu'avoir 500 000, 600 000 personnes dans un petit pays qui n'était pas prêt à accueillir ce contingent de personnes, affecte la vie quotidienne de la population et aussi celle des gouvernements.
Chaque jour, les Vénézuéliens quittent nos frontières, à la fois par les frontières de la Colombie et du Brésil, et maintenant aussi vers les Caraïbes. C'est un problème qui se pose dans toute la région et c'est pourquoi la communauté internationale doit considérer le conflit qu'il engendre, non pas comme un conflit violent mais comme un conflit humain, engendrant des problématiques telles que la violation des droits de l'homme ou l'opportunisme des criminels à abuser des gens pour la traite et l'esclavage. Il y a des mères qui ne savent pas où sont leurs enfants et qui savent qu'ils sont réduits en esclavage.
Cela implique la nécessité d'activer de plus en plus nos organismes de défense des droits de l'homme, tels que Caritas qui est partout, pour tenter de minimiser les dommages humains causés par ces migrations massives et incontrôlées.
Que pensez-vous de l'affirmation de Nicolás Maduro selon laquelle le panorama présenté par la Haute-Commissaire sur la situation des droits de l'homme dans le pays a été déformé ?
Premièrement, qu'ils ont une vision très différente de celle que nous avons. Le gouvernement et les dirigeants sont comme dans une bulle, ils n'ont pas de contact avec les gens, ils ne connaissent pas la population, ce qu'ils connaissent c'est les émissions de télévision, les réseaux. Cela se produit parce qu'il y a ici un gouvernement «écran» et non un gouvernement «de rue». Autrefois, au début du gouvernement de Chávez, il y avait beaucoup de gens «de la rue» qui lui présentaient les plaintes et les préoccupations du peuple. Aujourd'hui, les dirigeants ne savent pas vraiment ce qui se passe, pas même ce qui se déroule à l'intérieur des forces armées, en matière de justice, etc. Il y a aussi de grandes divisions au sein du parti au pouvoir. Donc cela fait dire à Maduro certaines choses.
Nous avons également rencontré la Haute-Commissaire, Michelle Bachelet, et nous savons qu'elle a reçu beaucoup de gens, d'institutions, qu'elle a écouté les victimes, qu'elle a été présente dans certaines organisations qui l'ont exposée aux problèmes du pays. Elle a également rencontré différents organismes gouvernementaux.
Elle a rédigé ce rapport dans lequel elle ratifie qu'il y a des violations des droits de l'homme au Venezuela. Par exemple, le numéro 75 du rapport indique qu'il y a «des motifs raisonnables de croire que des violations graves des droits économiques et sociaux ont été commises». Je pense que c'est la raison pour laquelle nous avons plus de quatre millions d'habitants à l'extérieur du pays. Car s'il y avait une bonne économie ici, si notre monnaie, le bolivar qui ne vaut plus rien, était vraiment une monnaie forte, ils ne seraient pas obligés de partir. En tant que Vénézuéliens, nous n'avons pas la vocation de quitter le pays, nous avons la vocation d'accueillir les gens dans notre pays : le fait qu'il y a plus de 4 millions de Vénézuéliens à l'étranger prouve que quelque chose se passe au Venezuela.
A plusieurs reprises, le Pape a exprimé sa proximité et sa préoccupation au peuple vénézuélien, également par l'intermédiaire du Secrétaire d'Etat - nous rappelons la demande du Cardinal Secrétaire d'Etat, Pietro Parolin, en décembre 2016 concernant la restitution à l'Assemblée nationale du rôle prévu par la Constitution - comment commentez vous les voix, parfois controversées, qui parlent d'«inactivité» ou de l'échec du Saint Siège et le Pape à prendre une position?
Ce qui se passe, c'est qu'au Venezuela, il y a des extrêmes très radicaux. Il y a ceux qui veulent que d'autres résolvent les problèmes que nous devons résoudre. On s'attend à ce qu'un messie vienne, quelqu'un de l'extérieur et qu'avec ses paroles ou ses actions - comme tant d'autres s'attendaient, par exemple, à ce que les États-Unis fassent de l'ingérence militaire - il règle les problèmes. Bien que ce ne soient pas là des façons de faire.
Le moyen est simplement que nous, les Vénézuéliens, avec l'appui de la communauté internationale et de nombreuses autres personnes, trouvions une issue à la crise.
Beaucoup pensent que le Pape doit dire chaque jour non pas ce qu'il a dit, mais ce que les gens veulent qu'il dise, et c'est dans ce contexte que ces voix sont formulées. Il y a une responsabilité du Pape en tant que chef spirituel dans le domaine des chrétiens catholiques, mais aussi en tant que chef de l'État du Vatican par un accord du Saint-Siège avec la République du Venezuela. Par conséquent, la relation doit être très respectueuse, et cette relation respectueuse conduit à dire ce que le Pape a dit, à montrer sa proximité avec le peuple qui souffre.
Dans les rencontres que nous avons eues à Rome avec le Pape, la dernière en mai, il a toujours été attentif à demander comment il va le Venezuela, il nous a dit qu'il prie beaucoup pour le Venezuela, qu'il a une grande préoccupation pour le Venezuela. Cela se fait également à la demande de la Secrétairerie d'État, dont la Section des relations avec les États est toujours en contact avec la Conférence épiscopale vénézuélienne pour obtenir des informations sur le pays et pour faire aussi son travail.
Il n'est pas obligé, par exemple, d'annoncer publiquement chaque jour ce qu'il fait pour un pays donné, mais plutôt qu'il fait son travail. C'est pourquoi nous, évêques et Vénézuéliens, remercions le Saint-Père pour tout ce qu'il fait pour notre pays, ce que je vous assure qu'à l'avenir, dans l'histoire, lorsque toutes les choses que le Saint-Père fait vraiment non seulement pour le Venezuela, mais pour tant de régions, seront mises au jour.
Nous voulons que l'espérance et la confiance soient maintenues dans l'Église qui fait son travail. Dans le numéro 17 de notre exhortation, nous voulions remercier le Pape pour le soutien qu'il apporte à l'Église et au peuple vénézuélien. Cela nous remplit d'espoir chaque fois que le plus haut dirigeant de l'Église catholique est avec nous. Il est toujours proche de nous, et surtout avec une manière très «latino-américaine» de maintenir cette relation, parce qu'en fin de compte, le Pape est originaire de ce continent. Je pense que cette proximité permanente va donner de bons résultats. Nous remercions de tout cœur le Saint-Père et ses collaborateurs qui attendent toujours des informations et des nouvelles de notre pays.
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