Le retour des chrétiens en Irak, un chemin semé d'obstacles
Marco Guerra - Cité du Vatican
Il y a cinq ans, les communautés chrétiennes étaient chassées de la plaine de Ninive en Irak, les milices de l'État Islamique forçant plus de 120 000 chrétiens à abandonner leurs maisons. Leur retour a commencé lentement à l'automne 2017, après la défaite du califat. Actuellement plus de 46% des familles de cette région sont rentrées chez elles, tandis que les projets de reconstruction des villages menés par l'Aide à l'Eglise en Détresse et financés par les gouvernements occidentaux et les donateurs internationaux continuent.
Des obstacles à la reconstruction
La situation à Mossoul est plus compliquée. Seulement quelques dizaines de chrétiens sont revenus, sur les 15 000 qui avaient quitté la deuxième ville irakienne. À Mossoul, «les travaux de reconstruction n'ont pas encore commencé parce qu'il n'y a toujours pas de gouvernement local stable. Et les ONG internationales, les mêmes associations liées à l'Église, ne peuvent pas démarrer les projets par manque de sécurité, et en raison de fonds de plus en plus réduits», explique à AsiaNews le Père Samir Youssef, curé du diocèse d'Amadiya, qui aidé ces dernières années des milliers de chrétiens, musulmans et Yazidi ayant fui Mossoul et la plaine de Ninive.
Les chrétiens, une richesse pour la société irakienne
Le cardinal Fernando Filoni, préfet de la Congrégation pour l'Évangélisation des Peuples, nonce en Irak et en Jordanie de 2001 à 2006, souligne la nécessité d'offrir de plus grandes garanties aux minorités religieuses qui veulent continuer à vivre en Irak :
Il me semble qu'à l'heure actuelle, l'Irak tente d'abord de parvenir à un règlement politique, puis évidemment aussi à un règlement législatif [...]. Je crois que l'actuel Patriarche chaldéen cherche un moyen de garantir tous les droits, mais ce n'est pas facile étant donné la culture et la mentalité du lieu. Cependant, ce désir de garantir à tous les chrétiens leurs droits, au-delà de ce qui peut être considéré comme tolérance ou comme une concession, est juste. Il est juste que chacun- minorités et majorités évidemment - ait le droit de vivre dans son propre pays, et de voir garanties ses libertés civiles mais aussi religieuses.
Dans votre homélie du 3 août dernier, vous avez dit que vous avez vu la foi et non la haine dans les yeux des chrétiens persécutés en Irak. Cette capacité à reconstruire le tissu social des chrétiens peut-elle être "le sel de cette terre", qui permettra la paix ?
La pacification est l'espoir que nous avons tous. C'est une pacification qui ne concerne pas seulement la situation actuelle, après la conquête puis la défaite au moins territoriale de l'État Islamique; c'est une question qui a toujours concerné les relations entre chrétiens et musulmans, en tout cas majorités et minorités. Les chrétiens ont toujours été considérés - non seulement quand j'étais nonce, mais aussi à de nombreuses autres occasions - comme un élément de modération au sein de la société irakienne, parce qu'ils représentent une alternative, face à ce qui serait autrement une "copie conforme" d'une vision typiquement islamique. Les chrétiens représentent une alternative qui doit être prise en compte avec toutes les autres minorités. Et ce n'est pas une limite de la société irakienne, au contraire, c'est un atout, car cela conduit aussi à défendre les droits de tous. Je peux dire que les chrétiens, outre le fait qu'ils ont été durement persécutés de diverses manières et à différents moments, ont toujours eu une attitude très ouverte au pardon, à la réconciliation, à la bonne coexistence. Ils pratiquent cette réalité depuis des siècles, et c'est pourquoi je n'oublie jamais que les musulmans eux-mêmes disaient parfois aux chrétiens: «Vous êtes notre élément de modération. Ne partez pas». Mais malheureusement, l'exode a été et est toujours là.
Nous commémorons le cinquième anniversaire de l'expulsion des chrétiens de la plaine de Ninive par les troupes de l'État Islamique. Où en sont le retour et la reconstruction ?
Le retour est très lent. S'il n'y a pas de garanties législatives, nationales et internationales pour que leur vie soit digne et libre, il est difficile pour ceux qui sont partis de rentrer chez eux. Les reconstructions sont liées aux engagements de nombreuses organisations chrétiennes, catholiques et internationales à leur égard, mais on sait que la reconstruction pose de nombreux problèmes. Reconstruire: comment? De la même façon? De manière nouvelle? Vous pouvez reconstruire une maison, un bâtiment, une place, mais pouvez-vous reconstruire le tissu humain qui vivait dans cette région il y a quelques années encore? Cela reste le grand problème, le grand défi. Nous ne pouvons pas revenir en arrière, mais il y a certainement quelque chose à récupérer parce qu'en général les chrétiens étaient très attachés à leur terre... tant qu'il y a des conditions - comme je l'ai dit - civiles, internes et internationales.
Le déclin démographique des chrétiens au Moyen-Orient constitue donc un défi pour l'ensemble de la communauté internationale...
Oui, c'est un déclin lié d'abord à l'exode, puis à d'autres facteurs, mais d'abord à l'exode. Nous ne devons jamais l’oublier, ni diminuer notre niveau d'attention. Ce sont des réalités riches sur le plan historique, culturel; beaucoup ne s'en sont rendu compte, malheureusement, qu'après avoir perdu beaucoup de choses. Le pire, c'est d'oublier. J'ai beaucoup aimé l'histoire de l'actuel évêque chaldéen de Mossoul, le père Najeeb, qui a dit: «J'ai sauvé beaucoup de livres précieux, des livres qui n'ont aucune valeur commerciale, mais qui sont d'une immense importance du point de vue historique, culturel et religieux. Donc, je n'ai pas sauvé des livres: j'ai sauvé des gens, j'ai sauvé une culture, j'ai sauvé des communautés». J'aime beaucoup cela, parce que cela signifie que c'est là que nous devons recréer le climat de la vie des gens et qu'il en découle le climat social, civil, architectural, culturel...
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