Décès du père Juan Carlos Scannone, figure de la “théologie du peuple”
Debora Donnini – Cité du Vatican
Considéré comme l’un des pères de la “théologie du peuple”, un courant de pensée différent de la théologie de la libération, Juan Carlos Scannone avait été le professeur de Jorge Mario Bergoglio au Séminaire diocésain puis au Collège jésuite à Buenos Aires, et il cultivait depuis plusieurs décennies une longue amitié avec le Pape. La Province argentino-uruguayenne a fait part de son décès. Cet intellectuel qui avait enseigné dans plusieurs universités avait aussi vécu à Rome durant deux années, après l’élection du Pape François, afin d’y collaborer pour La Civiltà Cattolica. Interrogé par la section italienne de Vatican News, le père Antonio Spadaro, directeur de la revue historique des jésuites, revient sur ses souvenirs du père Scannone :
«C’était une personne une personne très agréable, simple, mais ce qui m’a toujours frappé c’est le fait que cet intellectuel, philosophe, théologien, avec une grande expérience, qui a longtemps vécu en Amérique latine mais s’est formé en Allemagne et a enseigné à la Grégorienne, ait réussi à “s’inculturer”, malgré son âge déjà avancé. Je voyais que ses articles était comme adressés à un public latino-américain. Alors nous avons discuté longtemps, nous parlions de son activité, et je me suis rendu compte que lui, ensuite, a “appris” à “dire” son message à un peuple et à une culture européenne, qui est proche mais en même temps différente de celle à laquelle il avait l’habitude de s’adresser. Donc, c’était un intellectuel capable de s'identifier, de comprendre l'autre.
Quel était le lien, au niveau de l'amitié, entre le Pape et le Père Scannone ?
Ils se connaissaient très bien et depuis très longtemps. C'était une personne avec qui il y avait alors une rencontre, puis une discussion, un débat aussi au niveau intellectuel, mais qui était basé sur une connaissance plus spontanée, je dirais très jeune pour le Pape. Il me semble que ce sont deux figures qui se sont approchées l'une de l'autre en comprenant le génie de l'autre ; puis le Pape a suivi son chemin, qui est très original, mais toujours avec ce dialogue ouvert aussi avec le Père Scannone qui, après tout, à la fin de sa vie, a vu comment certains éléments de sa pensée étaient alors transmis aussi dans la réflexion du pontificat, comme on peut le reconnaître dans Evangelii gaudium.
De quelle façon ?
Nous savons que la spiritualité populaire est un thème très fort chez le Pape François, mais en réalité c'est un thème qui a une racine lointaine, qui n'a rien à voir avec un certain paupérisme théologique mais qui souligne la richesse que Dieu nous a donnée. Paul VI en a parlé avec une grande clarté, puis Aparecida a parlé explicitement de spiritualité populaire et il y a un contenu de base très important, c'est peut-être le centre de pensée propre à la théologie du peuple, c'est la théologie réalisée par le père Scannone, et c'est que la foi est toujours exprimée culturellement : l'enfant apprend de ses parents, enseignants, catéchistes, le milieu ? La foi est donc une grâce divine mais aussi un "acte humain", pour parler de façon culturelle des personnes, pour apprendre et exprimer la foi. Il n'est jamais neutre, abstrait. Ainsi, voir le peuple comme sujet de sa propre culture et sujet de théologie, c'est un point fondamental de la théologie du peuple.
Le père Scannone était en effet un représentant central de la "théologie du peuple", avec l'option préférentielle pour les pauvres et la grande attention à la foi du peuple. Selon vous, comment le pape François a-t-il développé cela au fil des ans ?
L'élément fondamental est précisément la définition de la culture. On peut aussi le voir, par exemple, dans le récent voyage en Thaïlande et au Japon, où il a souligné de manière très forte l'importance de l'inculturation. La culture populaire possède donc - et c'est aussi l'un des contenus forts d'Evangelii gaudium - une fonction ecclésiologique aussi bien que sociologique, et il existe déjà ici une profonde différence entre la théologie du peuple et celle de la libération.
Par conséquent, la force qui émerge d'Evangelii gaudium et qui vient de la théologie du peuple est le fait que l'Esprit Saint féconde les cultures des peuples avec la puissance transformatrice de l'Évangile : l'Évangile, donc, transforme les cultures. Et comme nous pouvons le voir dans l'histoire de l'Église, le christianisme ne répond pas à un modèle culturel unique, mais fait revivre le visage des nombreuses cultures et peuples dans lesquels il est enraciné. Dans Evangelii gaudium, François mentionne explicitement les sujets collectifs actifs, tels qu'il les définit, en référence aux peuples. Par conséquent, les peuples dans lesquels l'Évangile a été inculturé sont des sujets collectifs actifs, des opérateurs de l'évangélisation. Et cette forte référence à la culture du peuple vient précisément de la réflexion que le père Scannone a également partagée.»
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