Devant le mystère de la crèche, demander la grâce de l’émerveillement
Entretien réalisé par Manuella Affejee - Cité du Vatican
Les fidèles du monde entier se préparent; dans quelques heures, les cloches sonneront, le chant du Gloria s’élèvera pour célébrer dans la joie l’annonce de la naissance du Christ. Dans toutes les églises, au début de la messe de minuit, le petit Enfant-Jésus sera porté en procession jusqu’à la crèche, devant laquelle les croyants viendront ensuite prier durant tout ce temps de Noël.
Cette tradition ancienne de la crèche nous invite à contempler le grand mystère de l‘Incarnation du Fils de Dieu, Verbe éternel fait chair et né de la Vierge Marie. C’est ce que nous rappelle le Pape François dans sa lettre apostolique «Admirabile Signum», publié le premier dimanche de l’Avent.
Retour sur les enseignements de cette lettre avec le père Denis Dupont-Fauville, prêtre du diocèse de Paris, docteur en théologie, professeur au Collège des Bernardins, qui travaille à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.
L’on connaît, l’on croit connaître, le sens de la crèche. Alors, pourquoi, selon vous, le Pape a-t-il éprouvé le besoin d’écrire cette lettre, pourquoi maintenant?
On croit connaître alors que l’on ne connaît pas. Il fallait donc que le Pape révèle ou qu’il rappelle tout ce dont la crèche est porteuse. Pourquoi maintenant? Une des raisons c’est que l’on approche du 800ème anniversaire de la crèche. C’est en 1223 que saint François a eu cette idée géniale, un peu comme si l’on préparait, non pas un grand jubilé, mais un grand anniversaire en s’y prenant trois ans à l’avance.
Il y a plein de choses dans cette lettre mais vous personnellement, en la lisant, qu’est-ce qui vous a marqué, quel est le trait saillant de cette lettre que vous souhaiteriez approfondir?
La première chose c’est que l’on voit qu’elle a été écrite par un jésuite. Le Pape n’est plus jésuite, il est Pape, mais il conserve cette spiritualité jésuite. Dans les exercices de Saint Ignace, pour contempler les scènes de l’Évangile, il est conseillé de faire ce que l’on appelle une «application des sens», c’est-à-dire, de composer la scène, la regarder, s’attacher à chaque personnage et puis s’approcher, sentir, écouter, toucher. Le Pape est rompu à cet exercice-là. La crèche est sûrement un des moyens qu’il aura utilisé pour s’approcher de l’Évangile et contempler concrètement Dieu venu parmi nous. La première chose qui m’a frappé c’est donc ce côté ignacien, jésuite, qui cherche à entrer concrètement dans l’Évangile.
L’Évangile n’est pas une série de principes, mais une histoire vraie dont il faut se faire contemporain. La seconde chose sur laquelle le Pape insiste en filigrane tout au long de la lettre, c’est l’aspect de la transmission. Depuis 800 ans, la crèche transmet un mystère fondamental et ancien qui est Dieu fait homme, Jésus né petit enfant dans la crèche. Quand nous approchons de la crèche nous héritons de 800 ans, même 2 000 ans d’histoire. Nous sommes les héritiers d’une tradition, de tout ce que les gens ont fabriqué avec la crèche, ont vécu, ont pensé, ont prié, ont transmis et tout cela vient jusqu’à nous. Cette très longue transmission nous rend toujours à nouveau contemporain du mystère. Un troisième élément m’a marqué: le Pape dit que la crèche nous rapproche d’un mystère unique qui a eu lieu un jour, mais que nous pouvons actualiser en nous en approchant. Il y a beaucoup de manières de nous rendre contemporains de ce mystère.
La crèche, nous dit le Pape François, rappelle plusieurs mystères de la vie de Jésus. Lesquels?
Le premier mystère, c’est que Jésus a vraiment existé. C’est une grande différence par rapport à beaucoup de religions: la religion chrétienne concerne quelqu’un qui a vraiment vécu. Les historiens non chrétiens nous le confirment: tout le monde savait dans l’Antiquité qui était cet homme un peu étrange, un peu hors norme. On a pu le voir, le toucher, l’écouter, le sentir. Il a commencé par être un petit enfant, il a donc été désarmé, sans défense. C’est peut-être les deux premiers mystères: le Verbe s’est fait chair, Dieu s’est fait homme, il a été un homme tangible, visible, audible et puis il est venu sans défense, comme un petit enfant confié à sa mère et à son père.
Ensuite, comme toujours dans la foi, une chose très simple en cache beaucoup d’autres. Ainsi, Jésus est né comme, par hasard, dans un endroit qui s’appelle Bethlehem, c’est-à-dire la maison du pain.
La première fois qu’on entend parler de Lui, c’est donc en référence au pain. De plus, il choisit de naître dans une mangeoire, pour nous faire comprendre qu’il est le pain rompu et donne à manger dès sa naissance. Les hommes ne veulent pas de Lui alors pour les obliger à le recevoir il se fait pain rompu. D’autre part, il appelle d’abord les plus pauvres, les plus ignorés, les plus rejetés, ceux qui passent la nuit dans les champs. Il est venu pour les humbles, pour ceux qui sont seuls, ceux qui ont froid, ceux dont on ne s’occupe pas. Il est aussi venu, et le Pape insiste beaucoup là-dessus à la fin de la lettre, pour ceux qui sont très loin et dont on se dit qu’apparemment ils ont toutes les chances de passer à côté de ce mystère: ce sont les mages. Les mages sont mus par une série d’événements un peu mystérieux mais qu’eux seuls sont en mesure d’interpréter et ils arrivent là où on n’aurait jamais dû les voir. Venus de très loin, ils rencontrent et touchent ce mystère tellement petit, tellement incarné, tellement concret, à côté duquel il est tellement facile de passer. Eux qui sont venus de très loin arrivent droit dessus, ce qui doit nous donner de l’espérance à nous aussi.
Il y a Marie, Joseph, les bergers, les rois mages, le bœuf et l’âne: chacun est à sa place dans cette crèche. Selon vous quelle doit être la place du croyant, la place de chacun de nous qui sommes aussi invités à nous approcher de cette crèche?
La place de chacun est unique, c’est Dieu qui, ultimement, la connaît, mais il y a peut-être deux moyens de s’approcher de la crèche. D’abord, quand on a la chance d’avoir sous les yeux une crèche avec des personnages un peu sympathiques, on peut se demander: duquel est-ce que je me sens le plus proche, auquel est-ce que je peux m’identifier? Ça permet éventuellement de faire un examen de conscience et de se demander: suis-je vraiment si proche de ce type si sympathique ou de cette femme si sympathique ? Une autre manière de rejoindre la crèche c’est de se dire: chacun des personnages a sa place… Quelle serait la mienne? Si j’étais, moi aussi, appelé à m’agenouiller devant l’enfant Jésus, où est-ce que je me mettrais, comment est-ce que je voudrais qu’il me regarde, qu’est-ce que je voudrais Lui dire? J’entre dans la crèche, j’y suis, je me mets sous le regard de l’enfant Jésus et c’est peut-être Lui qui va me donner ma place.
Dans nos sociétés, surtout occidentales, la crèche est parfois synonymes de controverses, de polémiques, voire de divisions. Or, le Pape dans cette lettre nous dit que, justement, la crèche peut-être signe d’unité et qu’elle est surtout signe d’inclusion. Comment?
Elle est d’abord un signe d’unité entre chrétiens qui doivent se réjouir de connaître le mystère de la crèche. Par exemple, même si je suis pas toujours d’accord avec mon voisin de messe, nous avons la chance d’être tous deux face à la crèche et ça fait notre unité. Ensuite, la crèche accueille d’abord les pauvres, ceux qui sont rejetés, ceux qui, apparemment, n’ont pas d’intérêt. Nous qui avons la chance de connaître ce mystère, ça doit nous encourager, nous pousser à nous ouvrir à ceux qui n’ont rien. Ça me rappelle cette fameuse petite histoire, qui n’est pas dans la lettre mais que j’aime bien. Elle décrit ce berger qui a appris après les autres la naissance de l’enfant qu’il faut aller adorer. Il accourt tellement vite qu’il arrive sans rien pendant que tous les autres ont apporté des cadeaux. Il se sent vraiment inutile. Et puis la Vierge Marie est fatiguée, elle cherche du regard quelqu’un pour l’aider mais ils ont tous des cadeaux dans les mains, sauf ce petit berger qui n’a rien. Alors elle lui donne l’enfant Jésus. C’est donc celui qui n’a rien, qui semble sans intérêt, qui est peut-être le plus important aux yeux de Dieu. Il doit donc l’être aussi pour nous.
Cela nous oblige à ne pas rester entre nous et à être ouverts aux personnes a priori les plus difficiles à accueillir. La crèche est aussi signe d’inclusion d’une autre manière, mais qui est peut-être moins irénique, moins facile à assumer. Elle consiste à se demander: avons-nous une chance, avec ce message de tendresse, de dénuement, de paix, d’ouverture, d’attirer vers la crèche ceux qui ont une défiance envers l’Église ou envers les chrétiens? Il faut prier pour ça, car il y a des gens qui s’opposent violemment à la crèche. Le paradoxe, et j’ai des exemples concrets en tête, c’est que quand certaines autorités se mettent à avoir une attitude hostile envers la crèche, les gens se demandent pourquoi. Ils se rapprochent parfois de la crèche en se disant qu’il doit y avoir là-dessous quelque chose de bien intéressant. Il faut donc espérer qu’elle puisse être un signe de rassemblement au-delà des frontières de l’Église.
Cette lettre s’intitule «Admirabile signum», «Le signe admirable». Le Pape parle beaucoup de l’émerveillement, de la stupeur que suscite la crèche. Pensez-vous qu’il faille tout simplement, devant la crèche, demander la grâce de l’émerveillement? Est-ce quelque chose de fondamental dans notre société qui semble avoir totalement perdu le sens de l’émerveillement, de la contemplation?
Oui, sûrement. D’abord, il ne faut pas s’habituer au mystère. Quand on est chrétien, on a tellement l’habitude de voir revenir tous les ans Noël, Pâques, la Trinité et j’en passe qu’on finit par regarder le calendrier défiler sans y prêter attention. En réalité, chacun de ces mystères, à commencer par Noël qui est le premier chronologiquement, est une merveille et devrait à chaque fois nous bouleverser. Il faut donc vraiment demander cette grâce de s’ouvrir, au moins à une petite dimension de cet immense mystère. Et puis, ce que l’expérience montre, c’est que quand on prend le temps de contempler chaque jour le mystère, on accueille le monde auquel on est tellement habitué, notre monde, la vie de tous les jours, du bureau, de la maison, que sais-je. On reçoit une grâce: voir le monde du quotidien avec des yeux neufs.
Et c’est finalement cela être catholique, c’est être toujours dans la nouveauté, être toujours dans l’émerveillement?
Oui, c’est tout accueillir dans l’action de grâce. Catholique signifie littéralement «selon le tout», donc tout accueillir. Sainte Thérèse (de l’Enfant-Jésus) disait «je choisis tout». Comme elle, il faut accepter les choses bonnes et les choses plus pénibles. Dieu ne nous demande pas de trier mais de recevoir tout ce qui est mis à notre disposition pour nous faire grandir et nous en réjouir avec Lui. C’est une attitude vraiment catholique, et la crèche nous en donne un exemple extraordinaire.
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