Coronavirus : «il y a une Pâque existentielle à vivre comme une chance spirituelle»
Entretien réalisé par Manuella Affejee- Cité du Vatican
L’Italie toute entière est placée en quarantaine ; cette mesure radicale, mais nécessaire pour contrer la propagation de la pandémie, bouleverse totalement le quotidien des Italiens, priés de rester chez eux, les sorties éventuelles étant assujetties à des motifs professionnels ou sanitaires.
Ces restrictions touchent aussi la vie spirituelle et sacramentelle des fidèles catholiques. Conformément aux directives émises par le gouvernement, la conférence épiscopale a décidé de la suspension des messes publiques et des activités pastorales, cela, au moins jusqu’au 3 avril. Les églises restent néanmoins ouvertes, pour la prière personnelle
Adaptation aux circonstances
En ce temps d’épreuve et de combat spirituel, les croyants ne sont pas pour autant livrés à eux-mêmes. La situation inédite contraint à des adaptations et stimule des initiatives. La conférence épiscopale a ainsi lancé une plateforme digitale avec des vidéos, des petites catéchèses et commentaires d’évangile à disposition ; messes et chapelets peuvent être suivis via les réseaux sociaux ou la télévision, sans parler de nombreuses propositions de neuvaines et de chaine de prière.
Le Saint-Siège n’est pas en reste ; le Pape a décidé de la retransmission en direct de ses messes quotidiennes à Sainte-Marthe. Idem pour les audiences générales hebdomadaires et les angélus dominicaux. «Que l'Esprit-Saint donne aux bergers la capacité pastorale et le discernement nécessaires pour leur fournir des mesures qui ne laisseront pas le fidèle peuple de Dieu seul. Que le peuple de Dieu se sente accompagné par les pasteurs et le réconfort de la Parole de Dieu, des sacrements et de la prière», a-t-il déclaré ce vendredi 13 mars, avant d’entrer dans la célébration de l’Eucharistie.
Le père Louis Chasseriau, du diocèse de la Rochelle est l’un des chapelains de Saint Louis-des-Français, église nationale des Français dans la Ville éternelle. Il témoigne de son quotidien :
Comme chaque prêtre, nous célébrons chaque jour la messe. Mais célébrer la messe sans peuple, c’est quelque chose d’inédit pour moi. Je suis un jeune ordonné, prêtre depuis juin dernier et je n’ai évidemment jamais vécu cette situation. Nous ne sommes pas seuls, puisqu’à Saint Louis-des-Français, nous vivons quand même en communauté de prêtres ; nous célébrons ensemble tout en prenant au sérieux les instructions qui nous sont données, mais donc sans peuple, église fermée.
Les prêtres étudiants de Saint Louis ne peuvent plus aller étudier (les universités sont fermées jusqu’au 3 avril, ndlr) ; vous avez également suspendu vos activités pastorales. Comment adaptez-vous votre ministère aux circonstances ?
C’est vrai que les deux piliers de notre vie romaine, pour la communauté des prêtres-étudiants, sont touchés : comme étudiants nous n’allons plus à l’université, et comme prêtre, nous n’avons plus de vie pastorale. Cela ne change pas le fait que nous prions ensemble ; les prêtres de Saint Louis continuent de se retrouver pour prier les offices de Laudes et vêpres, et donc, célébrer la messe. Et puis dans le domaine des études, même si n’avons plus de cours à l’université, nous continuons à passer nos journées à travailler. Beaucoup d’entre nous avons un mémoire à rendre à la fin de l’année pour valider notre licence canonique. Donc cela nous laisse un peu de temps pour rédiger et on avance de ce point de vue-là, mais travailler sans bibliothèque universitaire disponible, c’est parfois un peu compliqué.
Comment vivre cette épreuve chrétiennement, avec un regard de foi ?
Ce n’est pas simple car cela vient nous bouleverser dans nos habitudes ; mais je pense justement que tout ce qui vient bouleverser nos habitudes du point de vue de la foi est bon, puisque cela nous oblige à nous ré-interroger. Comme prêtre, on s’interroge sur le sens du sacerdoce : qu’est-ce qu’être prêtre dans une situation on l’on ne peut pas célébrer les sacrements pour le peuple auprès de qui on est envoyé? Cela appelle à réfléchir pas mal de choses, on l’a vu sur internet et les réseaux sociaux. Par exemple, quand on a reçu l’instruction de ne plus donner la communion dans la bouche mais dans la main, cela a posé de vraies questions théologiques aux gens. Est-ce que recevoir la communion dans la bouche, même si c’est le corps du Christ, peut me faire du mal ? Là c’est intéressant parce que cela nous amène à réfléchir sur l’incarnation. Le Seigneur se fait présent dans le pain, sa présence est réelle et pourtant, cela n’enlève pas le pain. Autrement dit, les accidents demeurent. On voit du pain, on a la substance du pain, on a le goût du pain et on a aussi tout ce que le pain peut transporter, y compris des microbes, mais cela n’enlève rien à la présence réelle. Et donc tout cela permet de mieux travailler notre appréhension de l’incarnation : Dieu s’est fait homme, cela ne l’a pas empêché de se laisser clouer sur la croix.
Certains dans une perspective historique, n’hésitent pas à faire le parallèle avec la situation des premières communautés chrétiennes. Ici à Rome, le cœur de l’Église universelle, cette comparaison prend quand même tout son sens…
Effectivement, la situation des premiers chrétiens peut être une référence. Si on ne peut plus vivre notre foi de manière habituelle, il ne s’agit pas de mettre un mouchoir sur elle, mais de voir comment on peut vivre les choses, compte tenu des instructions qui nous sont données et de manière responsable. Si la vie sacramentelle est évidemment essentielle pour les chrétiens et si ne pas pouvoir la vivre correctement en cette période est nécessairement une difficulté, c’est aussi l’occasion de redécouvrir la piété populaire, de se réunir pour prier un chapelet ou pour une adoration.
Il ne s’agit pas de dire que l’Eucharistie est remplaçable, mais de voir que notre vie de foi peut se déployer aussi en d’autres lieux et sous d’autres formes. Vous parlez des premiers chrétiens, mais on peut aussi penser aux chrétiens persécutés aujourd’hui en Orient notamment. Cela peut être l’occasion de nous rapprocher d’eux par la prière. Il ne s’agit pas de dire que nous vivons des choses comparables –il ne faut pas dramatiser-, mais tout ce qui nous permet de communier à leurs souffrances est une bonne chose. Il faut qu’il en ressorte quelque chose de bon et je suis persuadé que ce sera le cas.
Le message est donc le suivant : c’est un carême bien particulier qui nous est proposé et il faut le vivre comme tel, c’est-à-dire, comme le temps de la croix, de la passion, avec, quand même en vue, la Résurrection…
Exactement ! Le peuple hébreu a fait l’expérience, pendant l’exil, que là où Dieu semblait le plus absent, Il était en réalité parfaitement présent. C’est toute la complexité de la présence et de la présence de Dieu dans l’Histoire de l’humanité.
Nous chrétiens, catholiques, nous avons fondé notre foi sur le tombeau vide, sur une absence qui est en fait révélatrice d’une vraie présence. Avoir l’occasion de vivre des absences apparentes de Dieu, c’est sans doute pour mieux comprendre la manière dont il est présent dans notre vie ; et là, c’est une occasion très concrète de travailler cette question-là. La joie de Pâques sera d’autant plus belle. Coïncidera-t-elle, concernant le virus, avec notre calendrier chrétien et Pâques qui est prévu le 12 avril, ou sera-t-elle plus tardive ? Peu importe, mais il y a une Pâque existentielle à vivre de manière très claire cette année et il faut saisir cela comme une chance spirituelle.
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