Prier les psaumes, «un commencement de lumière» dans l’épreuve de la maladie
Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
«Sauve-moi, mon Dieu: les eaux montent jusqu’à ma gorge!» (Ps 68). Par le cri du psalmiste est exprimée en peu de mots la suffocation du malade à bout de forces, comme pris au piège dans les griffes de la souffrance. Les textes sacrés que sont les psaumes n’ont rien de poèmes éthérés ou mièvres ; ils sont comme une matière vivante, qui, par le réalisme et la précision des mots, inspirés par l’Esprit-Saint, agit dans le cœur de celui qui les prie, le rejoint tel un compagnon de route, pour le conduire vers un horizon où se dessine le visage de Dieu.
À l’heure où le confinement nous ouvre toutes grandes les portes de la prière, il peut être bon de se (re)plonger dans le psautier, que l’on soit malade ou que l’on soit simplement désireux de se faire proche de ceux qui souffrent. La guérison ne dépend pas de soi, mais en demander la grâce va de pair avec l’aveu de ses péchés face au Père miséricordieux. L’espérance de la rédemption perce alors comme un rai de lumière dans l’obscurité du mal: «Les pauvres l’ont vu, ils sont en fête: «Vie et joie, à vous qui cherchez Dieu !» / Car le Seigneur écoute les humbles, Il n’oublie pas les siens emprisonnés !» (Ps 68). Pour nous guider, laissons la parole à frère François Cassingena-Trévedy, moine à l’abbaye bénédictine Saint-Martin de Ligugé, dans la Vienne, en France. Il nous explique d’abord ce que les psaumes disent de la maladie.
C’est frappant quand on lit le psautier de voir dans l’expérience du psalmiste – qui reste toujours anonyme d’ailleurs, on ne sait pas toujours qui c’est, David ou Salomon – que c’est souvent un malade qui parle, avec l’ambiguïté de cette maladie: est-elle physique, est-elle spirituelle ? Elle souvent liée au péché, on voit souvent l’évocation du péché dans un langage de maladie. En tous cas, la maladie est l’une des expériences fondamentales du psautier, d’un point de vue anthropologique et d’un point de vue théologique, spirituel. Le psalmiste décrit la maladie, dans ses membres, dans la fièvre, dans ses os… Ce sont souvent des situations dramatiques. Et dans un même psaume, cela peut arriver qu’on traverse la maladie et qu’on arrive à la guérison, et à l’action de grâces, à l’explosion de la vie, de la joie: il y a des psaumes qui traversent toute cette gamme. En tous cas, comme la persécution, comme l’encerclement par des ennemis – il y a aussi beaucoup d’ennemis dans les psaumes – la maladie est là. La maladie est vraiment assumée par la Parole de Dieu et par le psautier comme un lieu théologique, comme un lieu d’expérience spirituelle, comme un lieu de cris, de demande, un lieu dans lequel l’homme s’exprime face à Dieu.
Est-ce que le psalmiste trouve une réponse à ce cri?
Oui, il la trouve. Déjà, je dirai qu’il trouve une réponse dans son cri lui-même. C’est une dimension générale des psaumes, les psaumes contiennent beaucoup de cris: des cris de joie, de détresse, de révolte, des cris de vengeance… On a les cris les plus fondamentaux de l’humanité. Et aussi des cris de détresse qui viennent de la maladie. Mais déjà, pouvoir crier vers Dieu – «J’ai crié vers toi» - c’est déjà un commencement de lumière. Le cri, l'expression, la parole… La parole osée, la parole proférée, est déjà un commencement de guérison. On guérit par la parole. Et pouvoir crier vers Dieu, c’est déjà s’engager sur un chemin de conversion, de guérison, de lumière.
Pourquoi ces psaumes qui parlent de maladie peuvent-ils aussi être notre cri dans l’épreuve que nous traversons aujourd’hui?
Les psaumes sont des universaux depuis plus de 2000 ans, et par leur simplicité, par leur honnêteté – les psaumes ne sont pas simplement de beaux poèmes bien léchés ou convenables, il y a une vitalité dans les psaumes, une immédiateté – c’est un exutoire. Les psaumes parlent du corps avec un grand réalisme – la fièvre, «qui pénètre les os» - ce n’est pas du tout une religion à l’eau de rose ou lointaine, c’est vraiment le corps qui parle dans les psaumes, et ça, ça fait du bien. Nous pouvons nous engouffrer dans ce «gueuloir» si j’ose dire, pour reprendre une image de Flaubert, dans ce «gueuloir» des psaumes, pour pouvoir dire notre détresse, dire notre maladie, et dire celle des autres, bien sûr, parce que dans la communion des saints, dans la solidarité du Corps du Christ que nous sommes, nous pouvons prier et crier pour les autres, qui n’ont peut-être pas la force, qui n’ont peut-être pas les mots, qui n’ont pas le temps… Mais nous pouvons le faire à leur place, puisque nous sommes les cellules de ce Corps du Christ qui sont solidaires les unes des autres.
Et lorsque la guérison est évoquée, qu’est-ce qui est guéri?
C’est le cœur qui est guéri. Ce qui est restauré, c’est la confiance avec le Seigneur, je sais qu’Il est là – «Je suis avec lui dans son épreuve» comme dit le psaume 90, qui du reste est un des psaumes importants du Carême. «Je suis avec lui dans son épreuve»: il y a une présence de Dieu qui se manifeste, pas seulement après, mais au cœur même de l’épreuve, et Il est là avec nous, il y habite. Et c’est une bonne nouvelle.
Ces psaumes, finalement, nous révèlent un visage de Dieu. Quel est ce visage?
Ce visage de Dieu est celui d’un Dieu souffrant lui-même. Ces psaumes de maladie, de souffrance, sont des psaumes profondément christologiques, qui parlent du Christ. Je pense au psaume 22 par exemple, qui est très utilisé pendant la Semaine Sainte: «Mon Dieu, pourquoi m’as-Tu abandonné ?», c’est une parole que peut dire un malade. Ces psaumes ont été priés par le Christ. Le Christ les a donc lui-même assumés, les a passés sur ses lèvres, et je dirais les a «vérifiés» en lui-même. Et cela, c’est pour nous une force dans cette solidarité que nous avons avec Lui.
J’aimerais vous citer le psaume 102: «Béni le Seigneur, ô mon âme, n’oublie aucun de ses bienfaits ; car il pardonne toutes tes offenses, et te guérit de toute maladie». Cette bénédiction du Seigneur, est-elle possible quand on est malade?
Oui, je pense qu’elle possible, parce que notre foi est paradoxale. L’expérience chrétienne est paradoxale, de mort et de vie, de vie au milieu de la mort, de salut au milieu de la maladie… tout cela traversé dans une expérience pascale. La mort et la vie sont inextricables d’une certaine manière. Ce n’est pas simplement après, mais c’est au milieu même. Et effectivement, «il me guérit de toute maladie», et la maladie la plus grave serait d’être séparé, de s’être séparé du Seigneur et de ne pas Lui tenir la main, la rupture de parole avec Lui. Mais pouvoir Lui parler, et pouvoir parler avec des paroles qu’Il nous a données, cette parole déjà nous guérit.
À ceux qui aujourd’hui cherchent du sens à ce que l’on vit, à ceux qui sont seuls, qui souffrent, quels psaumes conseilleriez-vous pour commencer? Comment s’y prendre?
S’ils ont déjà une familiarité avec le psautier, qu’ils reprennent des psaumes qu’ils aiment. Ou alors qu’ils le parcourent déjà par la récitation de la liturgie des heures, qui est possible pour tous les chrétiens, pas seulement pour les prêtres ou les religieux. Se familiariser avec cette liturgie des heures qui souvent met sur nos lèvres des paroles qui tombent tellement bien ! Après cela, il y aussi, bien sûr, des psaumes qui parlent davantage de maladie: les psaumes 68, 102, 21, 50, 38, le psaume 39, le psaume 87… voilà des lieux importants. Traverser le psautier tout entier comme un lieu d’expérience humaine.
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