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Un pêcheur en bord de mer à Alger, dans le quartier de Bab el-Oued, le 29 juin 2020 Un pêcheur en bord de mer à Alger, dans le quartier de Bab el-Oued, le 29 juin 2020 

Covid-19: la protection de la vie a primé l’économie, selon Mgr Desfarges

Archevêque d’Alger et président de la Conférence épiscopale régionale d’Afrique du Nord, Mgr Paul Desfarges analyse la situation de l’Algérie et de l’Église locale au cours de la pandémie de coronavirus.

L’Osservatore Romano

Avec la fin du confinement, l'Algérie est désormais projetée dans l'après-pandémie. Début juin déjà, le pays est entré dans une phase de déconfinement progressif qui a coïncidé avec une plus grande liberté de circulation et la reprise d’activités économiques, notamment pour les agences de voyage, les coiffeurs, les artisans, les confiseurs, les restaurateurs et les chauffeurs de taxi. Les mosquées et les églises sont cependant toujours fermées. À ce jour, le bilan de la pandémie de Covid-19 comptabilise plus de 14 000 infections, environ 9 000 guérisons et plus de 900 décès. Un changement de mentalité est également notable. «Le cours frénétique de la vie a pris une pause, a permis une mise au point, en remettant l'essentiel au centre», explique l'archevêque d'Alger, Mgr Paul Desfarges, également président de la Conférence épiscopale régionale d'Afrique du Nord.

Monseigneur, quelle est la situation en Algérie?

La situation sanitaire semble bien maîtrisée. Les chiffres quotidiens concernant les personnes infectées par le coronavirus, les décès et les guérisons sont encourageants. D'après les informations fournies, les patients atteints de Covid-19 sont traités avec de l'hydroxychloroquine et des traitements prophylactiques pour éviter des situations qui auraient pu être difficiles à gérer. Comme ailleurs, le pays avait été soumis au confinement et maintenant certaines activités économiques semblent reprendre progressivement. À l'exception de la ville de Blida, il n'y a pas eu de verrouillage total. Selon les centres habités, le confinement s'apparentait plutôt à un couvre-feu de 17 ou 19 heures à 7 heures du matin. Aujourd'hui, nous vivons avec les restrictions de mouvement et de rassemblement imposées par cette situation. Les transports publics sont au point mort et de nombreux magasins sont encore fermés, mais l'approvisionnement en denrées alimentaires n'a jamais fait défaut. Il a toujours été possible de sortir en voiture et de se promener pour faire des courses ou accomplir des tâches administratives.

Les églises et les lieux saints sont fermés. Comment la communauté chrétienne vit-elle ces restrictions?

Je rends grâce pour la créativité pastorale qui nous a permis de vivre ce moment de fermeture des lieux de culte non pas comme un moment d'isolement, mais comme un temps qui nous permet d'expérimenter une réelle proximité avec l'Église. Le désir de se réunir pour célébrer tous ensemble est grand. Il y a un réel manque d'être ensemble et notre sentiment d'appartenance ecclésiale s'est accru. Je peux parler d'un approfondissement spirituel: le sentiment intérieur d'une appartenance commune à la même humanité fragile et unie. L'être humain dans sa souffrance, dans sa générosité, dans son don de soi, s'est finalement révélé à tous comme ce qui nous unit et fait de nous des frères. Une belle expérience de proximité, de compassion pour tous, de fraternité universelle. Les médias et les réseaux sociaux ont peu à peu révélé toute leur utilité et leur fécondité. Des journées de formation en ligne ont été organisées avec succès, une retraite de huit jours avant Pâques et une autre de trois jours pour la Pentecôte, toujours via Internet. Certains prêtres ont proposé des méditations quotidiennes et des moments d'adoration. Pour rejoindre les étudiants, certains aumôniers ont fait la promotion de rencontres sur Facebook, WhatsApp, Instagram et des temps d’adoration sur Zoom. Pendant le mois de mai, tous les samedis, nous avons pu prier le chapelet ensemble via Zoom, même au-delà des frontières du diocèse. La chaîne de télévision KTO et le portail Vatican News ont aidé de nombreuses personnes, communautés et familles. Le Pape François a joué son rôle de curé du monde avec la messe du matin à Sainte-Marthe et d'autres cérémonies dans le monde entier. La catéchèse s'est poursuivie au sein des familles pour préparer la première communion que nous espérons toujours organiser. L'expérience de la communion spirituelle a accru la soif spirituelle. Nombreux sont ceux qui ont prié davantage seuls ou en communauté, en famille, en communion avec l'Église universelle.

Comment la relation avec Dieu et la prière a-t-elle changé?

Il est difficile de le dire de manière précise et générale car les réalités sont très différentes selon les personnes et les situations. Cependant, on peut parler d'une forme d'intensification, d'une plus grande authenticité et probablement de sobriété. L'incertitude de la situation, qui s'est progressivement étendue, a déstabilisé les gens et les a poussés à creuser plus profondément, dans leur foi, mais aussi dans leurs relations, percevant mieux ce qui est plus solide et plus concret en ces temps incertains. Telle une conséquence d'une certaine privation dans les relations, il y a donc une relation plus intense avec Dieu et la prière.

Comment l'Église locale se fait-elle proche des personnes dans le besoin?

Le besoin urgent d'aider les plus seuls et les plus pauvres s'est immédiatement fait sentir. Le Ramadan en particulier a touché de nombreuses familles algériennes, non seulement en raison de l'absence de fêtes et de soirées familiales, mais aussi par manque d'argent. L'État algérien a joué son rôle. Dans notre Église, nous avons pu participer à la solidarité avec diverses aides. Bien sûr, c'est difficile à dire, mais nous avons compris que de nombreuses familles avaient faim, en particulier nos frères et sœurs migrants. Caritas, les conférences de Saint Vincent de Paul et l'association Rencontre et Développement ont pu distribuer plus d'un millier de paniers de nourriture aux personnes et aux familles. En ce qui concerne les migrants, nous sommes en contact avec les ONG internationales, avec l’OIM, l’UNHCR et Médecins du Monde. Les aumôniers ne pouvaient pas rendre visite à nos frères et sœurs en prison, mais il y avait un téléphone que les détenus pouvaient utiliser une fois toutes les deux semaines. Actuellement, Caritas a également lancé une belle entreprise de fabrication de masques.

La pandémie et l'isolement ont-elles modifié les relations sociales et comment?

Nous n'avons pas constaté une augmentation du repli sur soi, au contraire. Il me semble que grâce au téléphone, à WhatsApp, à Skype ou à d'autres moyens, une réelle attention s'est développée envers les autres et les personnes âgées. Je parle des liens au sein de la communauté chrétienne, mais aussi des relations avec nos voisins et amis dans toute la société algérienne. Il y a également eu une plus grande tension au sein des groupes de personnes confinées ensemble, ce qui est inévitable. Le cours frénétique de la vie a pris une pause, a permis de faire le point, a remis l'essentiel en ordre. Bientôt, nous pourrons en voir les fruits dans notre vie quotidienne renouvelée.

La pandémie nous aidera-t-elle à remettre les personnes au centre ou retrouverons-nous la normalité qui existait avant la crise sanitaire?

Ce qui a commencé peut se poursuivre et s'approfondir, dans le sens, par exemple, d'une plus grande proximité avec nos proches et d'un plus grand sentiment de solidarité mondiale. La prise de conscience de la nécessité d'une transition écologique, économique et sociale a été importante ici et là, mais pas partout. En tout cas, pour la première fois depuis longtemps, la protection de la vie humaine a pris le pas sur l'économie, avec parfois quelques excès de protection.

Dans l'hebdomadaire diocésain "Rencontres", vous écrivez que la grave crise que nous vivons réveille les questions inévitables: par exemple, où est Dieu, que fait Dieu? Quelle réponse donner?

Je n'ai pas de réponse. Mais je sais que dans chaque situation, même la plus tragique, il est possible de choisir d'aimer. Maintenant, Dieu là est à la fois quand nous aimons et quand nous nous aimons. Nos dix-neuf frères et sœurs martyrs d'Algérie, témoins du plus grand amour, béatifiés le 8 décembre 2018, nous ont montré la voie. J'ai récemment écrit que Dieu ne veut pas le mal, Dieu n'envoie pas d'épreuves pour jouer avec nos libertés ou pour nous punir. Les épreuves surviennent selon les lois de la nature, à cause des erreurs humaines et parfois à cause des échecs et des méchancetés humaines. Mais Dieu n'est jamais absent des conséquences de tout cela. Il tourne tout à notre avantage. Son désir d'amour, son seul et unique but, est une volonté salvatrice. Il est à l'œuvre dans les cœurs et les consciences pour nous adapter et nous accorder à sa gloire, c'est-à-dire au poids de son amour. Notre Dieu est un Dieu en nous, dans sa création et dans ses créatures.

Quelles sont les perspectives pour l'Algérie après la pandémie?

Comme d'autres pays, l'Algérie devra probablement traverser une situation économique et sociale difficile. J'ai foi en la solidarité familiale, sociale et étatique. Mais aurons-nous appris à consommer moins? Ou d'une autre manière? Les êtres humains et les personnes les plus fragiles continueront-ils à attirer l'essentiel de notre attention et à mobiliser nos efforts? Notre maison commune se souviendra que cette maison est la nôtre, celle de chacun, et qu'elle doit s'organiser pour promouvoir une amélioration de la santé de chacun. La santé de l'être humain et la santé de la création vont de pair. Les défis sont devant nous. Dans le pays, j'ai perçu une plus grande conscience de ces défis et un désir d'aller de l'avant.

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04 juillet 2020, 12:23