Instruction sur la conversion pastorale des paroisses: regards croisés
Propos recueillis par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
Ce document, divisé en onze chapitres, ne contient pas de nouvelle législation, mais il propose des outils pour mieux appliquer la législation actuelle. L’objectif est de promouvoir une pastorale de proximité et de coopération entre les paroisses, à une période où celles-ci courent le risque devenir des structures bureaucratiques repliées sur elles-mêmes. Dans le sillage du Pape François, la Congrégation pour le Clergé encourage les paroisses à choisir une orientation missionnaire, et à être attentives à ce que chaque baptisé y trouve sa place spécifique.
Cette instruction «arrive au bon moment»
Marie Chrétien, coordinatrice de la pastorale pour le diocèse de Québec depuis 2008 (Canada)
Faisant partie d’un comité de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec sur le renouveau des paroisses et les nouveaux ministères, Marie estime que ce document «arrive au bon moment car depuis quelques années nous sommes en réflexion dans le cadre d’un processus de transformation en vue d’un renouveau missionnaire de la paroisse», et aujourd’hui, il s’agit de l’étape «où nous regardons avec les prêtres, les diacres et les agents de pastorale une transformation possible du partage de la charge pastorale». Ce texte confirme deux aspects de leur démarche: d’une part, la nécessité «penser à un renouvellement de la paroisse» car elle est aujourd’hui «un peu sclérosée» et manque de dynamisme missionnaire; d’autre part, «les structures auxquelles on réfléchit doivent être pensées pour le renouveau missionnaire et non pas pour la survie de l’entité paroissiale». À Québec, le défi principal est de repenser la répartition de la charge pastorale dans un contexte de «pénurie au niveau des ressources presbytérales». Le développement «d’équipes de laïcs coordonnées par un prêtre ou un diacre» est envisagé. Un discernement est en cours, dans un esprit de «synodalité». Marie se réjouit d’ailleurs que l’instruction encourage les baptisés à s’impliquer de manière «pleinement responsable» et non pas comme simples «soutiens des prêtres». Les laïcs doivent désormais être «envoyés en mission en étant formés, soutenus par les prêtres, les diacres et les agents de pastorale», estime la coordinatrice de la pastorale.
Si elle aurait souhaité trouver davantage de développements sur la notion de «renouveau missionnaire», Marie assure qu’elle travaillera le document dès l’automne avec les paroisses, «parce qu’il s’inscrit dans la lignée des travaux que nous avons commencé il y a deux ans». «On veut prendre la route avec le texte puis aller visiter les gens et le travailler avec eux», résume-t-elle.
La paroisse «doit rester un lieu source»
Bernard Litzler, journaliste et directeur de Cath-Info, diacre permanent à Lausanne (Suisse)
Notant que l’instruction suscite des réactions dans les diocèses, Bernard voit dans ce texte «une démarche de dialogue avec les paroisses», sur fond de «diversité des situations pastorales très grande». «Ce qui traverse ce document, c’est le souffle de la mission», remarque-t-il. «Le pain de la Parole et le Pain de la table sont les aliments du Peuple de Dieu, et dans ce sens-là, la paroisse reste un élément fondamental», «un lieu source», à l’heure où «nous avons besoin de pôles d’évangélisation», souligne le diacre lausannois, qui témoigne: «nous sommes dans un contexte urbain marqué, avec une sécularisation assez forte, (…) mais la réponse que veut continuer à donner aujourd’hui l’Église catholique à toutes les questions existentielles – que la crise du coronavirus a révélées – peut se trouver dans la paroisse, comme lieu où l’on peut se retrouver, se sentir bien, rencontrer des croyants et rencontrer le Christ». Au sein de sa paroisse – Notre-Dame de Lausanne, «la vitalité est encore forte» sur le plan pastoral et sacramentel (jusqu’à 8 messes le week-end). «Ce qui pêche, c’est la jeunesse», reconnait Bernard, toutefois témoin d’«une vraie volonté de redynamiser la pastorale locale, y compris dans le sens d’une proximité avec les plus pauvres». «Je me sens plutôt privilégié, mais je me rends bien compte que d’autres confrères diacres, dans des réalités moins urbaines, plus dispersés, ont plus de difficultés à vivre ce genre de situation», ajoute-t-il.
«Je ne crois pas qu’on ait un souci de retour aux églises pleines – comme on peut les voir en Pologne – mais dans ce document, on sent le souci de préciser que la paroisse n’est pas dépassée», analyse le journaliste suisse. «Le territoire paroissial n’est pas discrédité, mais la paroisse doit se réinventer». C’est pourquoi cette instruction, «qui a le mérite d’une certaine clarté», offre un cadre où sont précisés les rôles assumés par les ministres ordonnés et les laïcs. «L’Église a raison de s’interroger sur le rôle de la paroisse», une réalité au poids plus ou moins prégnant selon les pays, conclut Bernard.
Une transformation à opérer avec créativité et discernement
Père Gérard Le Stang, curé de la paroisse nouvelle de Notre-Dame du Folgoët, dans le diocèse de Quimper (France)
La conversion pastorale de la communauté paroissiale est également un sujet essentiel en France, où le paysage religieux a connu de nombreux bouleversements durant les décennies écoulées. «Nous sommes dans une période où l’on réfléchit beaucoup à ces questions-là», souligne d’emblée le père Gérard, et il s’agit d’entrer dans la dynamique «missionnaire» de cette transformation, impulsée par les derniers Papes, en particulier François. Ce qui «n’est pas encore gagné: beaucoup de gens sont convaincus, mais le tissu paroissial général demande de faire encore tout un chemin pour ce mieux percevoir cette dimension missionnaire de la vie de la paroisse».
L’instruction, note-t-il, offre d’importants éléments pour un discernement «adapté, souple et respectueux de personnes» lorsqu’il faut choisir de réorganiser la structure paroissiale. Des outils nécessaires. «Il y a des aspects de quadrature du cercle dans la conjoncture actuelle», explique le prêtre, car «d’un côté on veut préserver la proximité», «de l’autre, on voit […] qu’il faut regrouper».
Le père Gérard a fait l’expérience d’une telle démarche. Dans le diocèse de Quimper, où la première restructuration paroissiale a eu lieu en 1995, l’évêque a décidé il y a deux ans «de transformer chaque doyenné en paroisse, donc il n’y a plus que vingt paroisses dans le diocèse». «L’évêque a pris une décision assez forte, en réduisant drastiquement le nombre des paroisses et des ensembles paroissiaux», déclare le prêtre, «cela fait des unités très grandes, avec un fonctionnement qu’il faut trouver, mais elles sont aussi trop petites parfois, car les assemblées sont moins nombreuses, vieillissantes, il y a moins de ressources». «Ce choix permet de stimuler des regroupements et des mutualisations dans la vie pastorale», estime-t-il.
Les défis actuels rencontrés par les paroisses obligent à «réfléchir à la manière d’être présent sur un territoire». Est-ce à dire que la “géographie” paroissiale sera profondément différente d’aujourd’hui d’ici quelques années? «Je pense que d’un certain côté rien ne changera dans la mesure où ce sera toujours la communauté chrétienne qui sera signe de Jésus dans un territoire important, mais tout changera dans la mesure où l’Église accepte de ne plus couvrir tout un territoire et consent à rassembler ses forces pour être un vrai lieu de ressourcement pour tout le monde», analyse le père Gérard.
Avec ce document, le prêtre se dit stimulé pour «travailler les sources que sont les Papes récents, le Concile Vatican II, le droit, l’Écriture», «car ce texte puise aux sources» afin de «créer du neuf aujourd’hui». Une question, selon lui, doit également être abordée: «quelle vision avons-nous de nos vies paroissiales à moyen, long-terme?». «On y travaille déjà en France, où l’Église est très créative, mais il faut continuer de creuser», recommande le père Gérard, «sachant que l’on entre dans une période longue de reconstruction d’un tissu chrétien dans la société».
Écouter la voix «du peuple des pauvres et des petits»
Père Philippe Nzoimbengene, sj, père spirituel des étudiants jésuites à Lubumbashi (RDC)
Ce document résonne particulièrement en terre congolaise, car «les laïcs aimeraient être davantage associés au service pastoral, mais les normes ne sont pas si claires dans leur esprit, et parfois aussi de notre part, le clergé», explique le père Philippe. Dans son pays, le jésuite remarque par ailleurs «une allergie à tout ce qui semble un peu hiérarchique» dans les paroisses, donc «il y a une catéchèse à mener pour faire comprendre la spécificité du clergé, du sacerdoce ministériel». Le prêtre salue qu’un appel à la transparence des ressources financières soit également inclus dans l’instruction.
Concernant l’aspect financier et missionnaire, le père Philippe remarque que de plus en plus de paroisses «davantage nanties» prennent en charge «des paroisses de la périphérie qui ont moins de revenus, et cette conscience est assez vive dans des communautés paroissiales» de certaines villes de RDC. «Il y a un bel élan missionnaire qui permettrait de créer des synergies avec d’autres paroisses, sans parler des différents jumelages avec des paroisses d’ailleurs», souligne le jésuite.
Dans ce vaste pays, en dehors des centres urbains, les territoires des paroisses sont parfois très étendus, et le manque de prêtres se fait sentir: une situation qui rappelle celle de l’Amazonie. L’Eucharistie ne peut donc être célébrée aussi régulièrement qu’en ville. Or «au Congo, manquer d’Eucharistie, c’est pénible, on peut manquer de tout, sauf d’Eucharistie». Pour ces communautés, il est difficile «de se “contenter” de la célébration de la Parole». Pour beaucoup, la pandémie de coronavirus et ses conséquences sur la vie sacramentelle ont été douloureuses, témoigne le père Philippe.
Le peu de prêtres et le «manque de moyens à leur disposition pour se déplacer» sont donc «un problème sérieux» pour l’Église congolaise. Face à cela, «le document ne clôt rien, donne des directives, des orientations, et encourage une certaine créativité, dans la fidélité à la Tradition», analyse le jésuite, qui invite à continuer la réflexion: «que faut-il faire quand une communauté manque d’Eucharistie pendant des mois?». Les Églises pentecôtistes «profitent beaucoup de cette situation» s’alarme le prêtre. «C’est vrai qu’il y a des agents pastoraux, des laïcs», mais les fidèles se sentent «comme des chrétiens de seconde zone car il n’y a pas de prêtres, pas d’Eucharistie». Certes, il faut «un enseignement, une préparation, pour comprendre les enjeux» actuels, mais dans la pratique, cette population catholique de zones isolées «se sent un peu lésée».
Le père Philippe formule enfin trois vœux: «que le plus de prêtres possible en Afrique puissent lire le document et le discuter», «que l’Esprit nous aide à approfondir toutes ces questions», «et que les fidèles le lisent et réagissent aussi». «Leur sensibilité ajoutera beaucoup», estime-t-il, en particulier celle du «peuple des pauvres et des petits».
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