La Croix Glorieuse, mystère d’anéantissement et de victoire pascale
Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
«Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom» (Ph 2, 8-9): les mots de l’apôtre saint Paul, dans l’hymne aux Philippiens proposé comme lecture de la fête de la Croix glorieuse, traduisent le mouvement que représente la Croix où Jésus fut crucifié. De bas en haut, de l’abaissement dans l’humanité jusqu’à l’élévation dans la gloire des Cieux, où le Crucifié-Ressuscité prend avec Lui ceux qu’Il a sauvés. Par le sacrifice de Jésus-Christ sur la Croix, la rédemption est pleinement accomplie. Paradoxe étonnant, que la raison seule ne peut dépasser, l’instrument du supplice «est devenu source de vie, de pardon, de miséricorde, signe de réconciliation et de paix», expliquait Benoît XVI en 2008. Nul dolorisme ni idolâtrie matérielle dans l’Exaltation de la Sainte Croix, mais action de grâce et invitation à «trouver sous son aile un refuge» (Ps 91), car c’est «sur ce bois que Jésus nous révèle sa souveraine majesté (…). Au milieu de nous se trouve Celui qui nous a aimés jusqu'à donner sa vie pour nous, Celui qui invite tout être humain à s’approcher de lui avec confiance», affirmait encore l'actuel Pape émérite.
La découverte de sainte Hélène
Historiquement, la fête de la Croix glorieuse est liée à la dédicace de la basilique du Saint-Sépulcre, que l’empereur Constantin fit construire à Jérusalem en 335, suite à un voyage que fit sa mère, sainte Hélène, dans la ville sainte, lors duquel elle fut convaincue d'avoir retrouvé sur le Mont Calvaire la vraie croix du Christ. L’édifice recouvre à la fois le Calvaire et le tombeau du Christ, honorant donc à la fois la mort et la Résurrection du Seigneur. La fête rappelle aussi qu’en 630 l’empereur Héraclius reconquit la sainte Croix, prise à Jérusalem comme butin de guerre par les Perses: elle fut solennellement ramenée au Saint-Sépulcre par l’empereur lui-même. Progressivement, la fête fut célébrée dans toute l'Église, et des parcelles de la précieuse relique furent distribuées à travers le monde chrétien.
Mais revenons à la signification de la fête, dont la célébration, aujourd’hui comme aux temps les plus anciens, semble «folie» - pour reprendre le mot de saint Paul vis-à-vis du langage de la Croix – tant la société ne voit dans la souffrance qu’une absurdité, et dans la mort, une terrifiante échéance, à laquelle mieux vaut ne pas penser.
Tourner son regard vers Jésus en Croix
Les Souverains Pontifes exhortent au contraire à se tourner vers la Croix, contribuant par-là à réaliser la promesse formulée par le Christ: «et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes» (Jn 12, 32). «La croix de Jésus doit être pour nous l’attraction: il faut la regarder, parce qu’elle est la force pour continuer à avancer», déclare ainsi le Pape François le 14 septembre 2018. Et le Saint-Père d’inviter à un exercice “pratique” les fidèles présents ce jour-là en la chapelle de la maison Sainte-Marthe, qui peut être le nôtre aujourd’hui: «ce serait beau si à la maison nous prenons tranquillement 5, 10, 15 minutes devant le crucifix, ou celui que nous avons à la maison ou celui du rosaire : le regarder, c’est notre signe de défaite qui provoque les persécutions, qui nous détruit, mais c’est aussi notre signe de victoire parce que c’est là que Dieu a vaincu».
Un an plus tôt, le Pape avait mis en garde contre «deux tentations»: penser au «Christ sans croix», faisant de lui un «maître spirituel», et à «la Croix sans le Christ», en restant «sans espérance».
«Un Christ sans croix … n’est pas le Seigneur », avait alerté François, «c’est un maître, rien de plus». «L’autre tentation, avait-il ajouté, est la croix sans le Christ, l’angoisse de rester en bas, abaissé, avec le poids du péché, sans espérance. C’est une sorte de «masochisme» spirituel. Seulement la croix, mais sans espérance, sans le Christ».
Saint Thomas d’Aquin s’était lui aussi élevé contre cette conception doloriste où la croix devient privée de la perspective de la Résurrection: c’est l’amour du Christ qui sauve le monde, pas sa souffrance en tant que telle, rappelle-t-il dans sa Somme théologique (Tertia pars, questions 47 et 48).
Face à l’Amour, foi et raison se complètent
L’amour infini, «jusqu’au bout» (cf Jn 13, 1) qui constitue la substance du sacrifice du Fils de Dieu sur la Croix est également souligné par saint Jean-Paul II, analysant les mots de saint Paul, dans sa lettre encyclique Fides et Ratio, signée le 14 septembre 1998. «Pour exprimer la nature de la gratuité de l'amour révélé dans la Croix du Christ, l'Apôtre n'a pas peur d'utiliser le langage plus radical que les philosophes employaient dans leurs réflexions sur Dieu. La raison ne peut pas vider le mystère d'amour que la Croix représente, tandis que la Croix peut donner à la raison la réponse ultime qu'elle cherche. Ce n'est pas la sagesse des paroles, mais la Parole de la Sagesse que saint Paul donne comme critère de Vérité et, en même temps, de salut».
Et pour accueillir ce «mystère d’Amour», point d’entrée vers la Vérité, la raison doit se laisser rejoindre par la foi: «La philosophie, qui déjà par elle-même est en mesure de reconnaître le continuel dépassement de l'homme vers la vérité, peut, avec l'aide de la foi, s'ouvrir pour accueillir dans la «folie» de la Croix la critique authentique faite à tous ceux qui croient posséder la vérité, alors qu'ils l'étouffent dans l'impasse de leur système».
Une Croix toujours présente dans la vie des chrétiens
Dès les premiers temps de l’annonce du kérygme, «l'Église a reçu la mission de montrer à tous ce visage aimant de Dieu manifesté en Jésus-Christ», expliquait Benoît XVI. «Saurons-nous comprendre que dans le Crucifié du Golgotha c'est notre dignité d'enfants de Dieu, ternie par le péché, qui nous est rendue ? Tournons nos regards vers le Christ», demandait-il lui aussi. «C'est Lui qui nous rendra libres pour aimer comme il nous aime et pour construire un monde réconcilié. Car, sur cette Croix, Jésus a pris sur lui le poids de toutes les souffrances et des injustices de notre humanité. Il a porté les humiliations et les discriminations, les tortures subies en de nombreuses régions du monde par tant de nos frères et de nos sœurs par amour du Christ».
Fêter la Croix glorieuse est donc faire mémoire d’un sacrifice rédempteur, contempler «un mystère qui se fait martyre pour le salut des hommes», selon les mots du Pape François. Un mystère qu’à la suite du Christ, avec Lui et pour Lui, de nombreux hommes et femmes traversent encore aujourd’hui, mêlant leur sang à celui versé pour «la nouvelle et éternelle alliance». «Jésus Christ, le premier Martyr, [est] le premier qui donne sa vie pour nous. Et à partir de ce mystère de Dieu commence toute l’histoire du martyre chrétien, des premiers siècles jusqu’à nos jours», expliquait le Saint-Père le 14 septembre 2016, lors d’une messe célébrée en mémoire du père Jacques Hamel, assassiné en France le 26 juillet de la même année.
«La croix est le chemin de la terre au ciel», écrivait une autre martyre, sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix (Edith Stein). Décliné selon tant de modalités au fil des jours, le sentier de la croix est ardu mais habité par la présence de Celui qui l’a ouvert pour nous. Et le Seigneur nous donne, comme à son disciple Jean, une mère qui nous aidera à garder dans l'épreuve, telle une flamme au fond du cœur, une paisible espérance: Marie, debout au pied de la Croix.
«Regarde en haut vers la Croix:
Elle étend ses poutres,
Comme quelqu’un qui ouvre ses bras,
Comme s’Il voulait embrasser le monde entier:
Venez vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau…
Du sol, elle s’élève jusqu’au ciel
Et aimerait tous les emporter là-haut.
Embrasse seulement la Croix, ainsi Tu le possèdes,
Lui qui est vérité chemin et vie.
Si Tu portes Ta Croix, elle-même Te porte
Et devient pour Toi béatitude».
(Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, extrait de Signum Crucis 16 novembre 1937)
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