Canada: les évêques s’inquiètent d’une extension de l’euthanasie
Cyprien Viet - Cité du Vatican
Dans un texte signé par le président de la conférence épiscopale, Mgr Richard Gagnon, l’archevêque de Winnipeg, l’épiscopat s’alarme d’un glissement juridique qui en viendrait à supprimer le critère de la «mort naturelle raisonnablement prévisible» pour valider un processus d’euthanasie. L’épiscopat appelle au contraire le gouvernement à protéger la vie en investissant dans les soins palliatifs.
La légalisation de l’euthanasie en 2016 avait déjà suscité l’opposition des évêques, mais cette fois le projet de loi dit "C-7 " risque d’abolir certaines des importantes «mesures de sauvegarde» qui subsistaient encore. Concrètement, des personnes qui ne sont pas nécessairement en fin de vie mais qui souffriraient d’une pathologie ou d’un handicap grave et incurable pourraient devenir éligibles à l’aide médicale à mourir.
Les évêques s’alarment de cette évolution en rappelant que de nombreux organismes de défense des droits des personnes handicapées se sont dits «profondément troublés» par l’extension des conditions d'accès à l'euthanasie et au suicide assisté, et ils rappellent que la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées avait exprimé de graves appréhensions quant aux risques que fait courir la loi canadienne. Des médecins et des juristes ont exprimé leur opposition à toute extension de l’euthanasie, et récemment, plus de 50 organismes et leaders religieux, des traditions juive, musulmane et chrétienne, ont publié une lettre ouverte à tous les Canadiens et les Canadiennes pour signifier leur opposition au projet de loi C-7.
Abordant par ailleurs un angle rarement abordé dans le débat public, les évêques appellent le gouvernement à décréter un moratoire sur les euthanasies en prison «en raison de préoccupations graves et fondamentales concernant le consentement, le choix et la dignité, qui s’ajoutent à de graves erreurs, omissions, inexactitudes, retards et mauvaises applications de la loi», s’alarment-ils.
Les soins palliatifs, un impératif social et humain
L’épiscopat dresse en revanche un vibrant plaidoyer en faveur des soins palliatifs, en en tirant cette réflexion de leur expérience pastorale: «les patientes et les patients sont plus susceptibles de demander l’euthanasie ou le suicide assisté lorsque leur douleur n’est pas correctement gérée par des soins palliatifs de bonne qualité, lorsque leur besoin d’aide et de soutien n’est pas suffisamment satisfait, ou lorsqu’ils sont socialement marginalisés. »
Les soins palliatifs sont dont «la seule option respectueuse, complète et éthique qui réponde au problème que le gouvernement tente de résoudre en légalisant l’euthanasie et le suicide assisté». «Lorsqu’il manque un soutien émotionnel, psychologique et spirituel suffisant, les individus ne sont pas vraiment libres de choisir les soins ou options médicaux appropriés et sont donc amenés à n’avoir d’autre alternative que l’échec tragique de l’euthanasie et du suicide assisté. Les soins palliatifs (…) soulagent la douleur, la solitude, la peur, la détresse et le désespoir de manière compatissante grâce au soutien de la famille et de la communauté.»
Et au-delà de cette dimension sociale, l’enjeu se situe aussi à un niveau spirituel: «Ce choix de soins et d’accompagnement respecte la dignité de la personne et reconnaît que la vie humaine a une valeur objective et transcendante. La vie d’une personne humaine n’est ni définie ni limitée par sa maladie ou sa situation dans la vie, car chaque être humain revêt une dignité inhérente de la naissance à la mort naturelle», insistent les évêques.
La pandémie a mis en évidence la fragilité du système de soins
L’épiscopat souligne aussi que la pandémie de Covid-19 «a douloureusement mis au jour le niveau de peur, de détresse et de désespoir chez nos concitoyennes et nos concitoyens hébergés dans des résidences pour personnes âgées et des résidences avec assistance et chez les membres de leur famille». Les Forces armées canadiennes ont signalé des «conditions horribles» dans certains des établissements de soins de longue durée où elles ont été appelées en renfort. Les évêques rappellent que le Premier ministre Justin Trudeau avait lui-même qualifié la situation de «profondément troublante».
«Dans une telle réalité, comment le gouvernement fédéral peut-il, en toute bonne conscience, étendre l’admissibilité à l’euthanasie et au suicide assisté au Canada alors que notre pays est toujours incapable d’offrir des soins de base qui respectent la dignité des personnes âgées et mourantes?», s’interrogent en craignant que cette évolution ne serve des prétexte pour limiter d’autres investissement nécessaires dans le système de santé. «Des Canadiennes et des Canadiens vulnérables s’inquiètent et se plaignent déjà des pressions qu’ils subissent du personnel soignant ou de membres de leur famille pour choisir l’aide médicale à mourir, option plus simple et moins coûteuse, et ce faisant, devenir moins un fardeau pour les autres», s’attristent les évêques.
En s’appuyant sur la récente lettre de la Congrégation pour la doctrine de la Foi, Samaritanus bonus, ils rappellent la position claire de l’Église catholique qui tient pour «gravement injustes les lois qui légalisent l’euthanasie, ou celles qui justifient le suicide et l’aide au suicide par le faux droit de choisir une mort improprement définie comme digne pour le seul fait d’avoir été choisie».
«Dans l’unité et en communion avec le Pape François, les catholiques et toutes les personnes de bonne volonté, nous soutenons et nous défendons fermement et sans équivoque la dignité inhérente à chaque personne humaine ainsi que son droit inaliénable à la vie, que le gouvernement se doit de respecter et de protéger.» L’épiscopat souhaite donc être maintenant intégré dans une consultation avec le monde politique afin de participer à un «discernement sociétal» sincère et honnête.
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