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Des manifestants dans les rues de Port-au-Prince, le 18 novembre 2020 Des manifestants dans les rues de Port-au-Prince, le 18 novembre 2020 

L'Église d’Haïti ne cède pas au découragement malgré l'«anarchie politique»

Mgr Launay Saturné, archevêque de Cap-Haïtien et président de la Conférence épiscopale haïtienne, témoigne à propos du marasme politique et social que traverse son pays. Il décrit l’implication de l’Église sur le terrain, dans de multiples domaines, afin de promouvoir la paix et le développement.

Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

Les années passent et le quotidien de la population haïtienne ne connaît aucune embellie. Ces derniers mois, le climat sécuritaire s’est même envenimé, le pays ayant enregistré une recrudescence de la criminalité et des enlèvements contre rançon, notamment à Port-au-Prince. Dans la capitale comme en d’autres villes, des manifestations ont eu lieu pour dénoncer l’insécurité croissante et l’incurie des dirigeants. Le départ du président Jovenel Moïse, contesté depuis février 2019 par une partie de la population, continue d’être réclamé.

À la tourmente politique se mêle une grave crise économique. La pandémie de Covid-19 ajoute une ombre à ce tableau déjà sombre, en fragilisant un système de santé précaire.

Le 13 novembre dernier, à l’occasion d’un congrès de la commission nationale Justice et Paix, le cardinal Chibly Langlois a fait part de son inquiétude. L’évêque des Cayes s’est élevé contre la violence et contre la faiblesse de l’appareil judiciaire.

Un cri d’alarme que lance également Mgr Launay Saturné, archevêque de Cap-Haïtien et président de la Conférence épiscopale haïtienne.

Entretien avec Mgr Launay Saturné

«La situation d’Haïti est vraiment sombre et tragique. Le pays s’enfonce chaque jour davantage dans la misère. Le pays fait face à la violence aveugle des gangs et des bandits armés qui opèrent en toute impunité. Chaque jour on enregistre des actes d’assassinat, de kidnapping, de rançonnement, de viol… Des gangs et des bandits sèment le chaos, la terreur, la mort, le désarroi et le désespoir. C’est un pays qui est vraiment menacé, car il y a la fragilisation des institutions de l’État, la déstabilisation du leadership de l’État, et les dirigeants sont en quête d’une légitimisation, mais ils sont incapables de stabiliser la situation. Cela crée une politique populiste – ils cherchent à faire plaisir au peuple – mais jamais au profit du peuple. En Haïti, c’est donc un contexte d’anarchie politique, ou bien une politique de l’anarchie, que nous vivons aujourd’hui.

Cette situation sécuritaire est bien sûr liée à la situation politique. L’épiscopat haïtien fait régulièrement entendre sa voix à ce sujet. Vous sentez-vous entendus? Comment ne pas céder au découragement?

La Conférence épiscopale haïtienne continue de jouer son rôle de sentinelle, en faisant des mises en garde, en rappelant l’urgence d’une transformation en profondeur des mentalités, des structures, de la manière de gouverner et de faire de la politique. L’Église d’Haïti ne se laisse pas emporter par le découragement. Elle rappelle sans cesse aux dirigeants que le bien-être des habitants – matériel, économique, social, moral et spirituel – doit être leur souci constant et unique. Elle rappelle sans cesse que le pays ne changera pas tant que les cœurs ne changeront pas. Et pour que cette transformation arrive, il faut accueillir Dieu dans notre vie. L’Église soutient l’espérance du peuple par sa mission prophétique et par ses interventions dans le domaine de la charité.

En quoi consistent ces interventions?

La Caritas fait un très bon travail que ce soit avant la pandémie et pendant la pandémie. La Caritas accompagne les gens, par exemple dans la promotion de l’économie solidaire. La Caritas accompagne aussi dans le domaine de l’agriculture. L’Église accompagne aussi les gens dans le domaine de l’éducation: nous essayons d’encadrer les jeunes pour leur donner une formation intégrale afin qu’ils puissent devenir demain acteurs de leur existence, et qu’ils puissent aussi donner un service de qualité à leur famille, au sein de l’Église et de la société.

L’Église accompagne dans le domaine de la santé, dans des centres hospitaliers, dans des dispensaires, des centres médicaux. Il y a des religieux et des religieuses qui font un travail de qualité. Étant donné que l’État est faible, l’Église relaie les institutions étatiques, surtout dans les coins les plus reculés. La proximité de l’Église n’est pas seulement une proximité auprès des fidèles catholiques, mais c’est une proximité envers tous les hommes et les femmes, et surtout envers les plus petits et les plus pauvres.

L’Église catholique elle-même est menacée, puisque récemment, un prêtre missionnaire a été enlevé en Haïti. Comment l’Église peut-elle poursuivre sa mission malgré cette insécurité?

Quand ce genre de situation arrive, nous sommes invités à garder notre espérance, parce qu’il n’y pas de mission sans souffrance, il n’y a pas de mission sans croix. Mais quand la croix arrive, à cause de l’impunité, d’une situation d’anarchie où les bandits font loi, nous sommes obligés de lutter, de dénoncer ce genre de situation, parce que si les hommes d’Église, les hommes de Dieu, ne sont pas épargnés, alors personne n’est épargné dans le pays. Un pays qui n’a pas la paix ne peut pas connaître de développement. Mais le grand problème est la faiblesse des institutions. Tant que les institutions sont faibles, nous ne pouvons pas fonctionner dans ce pays.

Vous parlez du fait que la paix n’est pas possible sans développement: c’est l’une des idées que l’on trouve dans l’encyclique du Pape François Fratelli tutti, qui par ailleurs invite à vivre la fraternité, exhorte au respect des droits humains, prône la culture du dialogue. Comment accueillez-vous ce message du Pape au regard de la situation dans votre pays?

Nous accueillons le message du Pape favorablement et l’Église en Haïti est en train de faire des efforts pour vulgariser la pensée du Pape exprimée dans ce document. Donc l’Église invite les familles à prendre leurs responsabilités pour que les familles soient déjà une communauté d’amour, une communauté fraternelle. L’Église invite les différentes communautés chrétiennes, les paroisses, les écoles, les centres de formation, les universités, à faire la promotion de cette valeur pour que la fraternité devienne une réalité dans le pays, parce que lorsque des frères, des sœurs, vivent cette situation – des frères d’une même nation-, nous sommes très loin de l’idéal de cette fraternité. Heureusement, nous sommes encouragés par l’encyclique du Pape François Fratelli tutti.    

Votre message, Monseigneur, va être entendu dans des terres francophones, au Canada, en France, en Afrique: des pays qui sont loin d’Haïti… Qu’avez-vous à dire à ces auditeurs qui vous écoutent?

Je demande à tous de conserver leur foi en Dieu le Père, Dieu le Fils, Dieu le Saint Esprit, et de rester dans l’Église catholique. Là où nous sommes, en Haïti, du fait que nous faisons partie de l’Église, nous ne nous sentons jamais seuls. Nous nous sentons portés par la solidarité spirituelle, affective, effective, de l’Église. Cette situation invite à une prise de conscience collective. Tous les acteurs sont invités à s’engager au redressement de la situation socio-politique du pays, et l’Église, notre Église, continue de s’impliquer dans le combat. L’Église doit poursuivre sa mission malgré tout – malgré les problèmes, les difficultés –, une Église de l’espérance qui travaille pour des lendemains meilleurs en Haïti.»

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25 novembre 2020, 15:34