Le Berceau du Christ, entre Terre sainte et Ville éternelle
Delphine Allaire – À Rome, Italie
«Elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune» (Lc 2,7). 25 décembre, le Divin Enfant est né dans les circonstances que l’on connaît. Ainsi l’Évangile selon saint Luc atteste de l’existence du Saint Berceau, dont l’usure des siècles n’a laissé que des morceaux de bois, aujourd’hui conservés en la basilique Sainte-Marie Majeure de Rome pour une grande partie, et à Bethléem pour une petite.
Du patriarche de Jérusalem à l’évêque de Rome
Ô combien précieux, ces fragments reliquaires de la crèche originelle du Christ ont pris le chemin de la Ville éternelle, probablement au VIIe siècle selon les écrits. Le Pape Théodore Ier -sur le trône de Pierre de 642 à 649-, fils d’un évêque palestinien du même nom, aurait reçu la relique du patriarche de Jérusalem, saint Sophrone (560-638), afin de la protéger de l’invasion musulmane d’alors –le calife Umar, compagnon de Mahomet, est aux portes de la Ville sainte en 638.
À l’arrivée des reliques à Rome, la basilique Sainte-Marie Majeure a déjà deux siècles. Sixte III a ordonné sa construction comme un temple dédié à la Vierge au lendemain du Concile d’Éphèse de 431, lors de la proclamation du dogme de la maternité divine de Marie, (Marie Theotòkos).
La dévotion à Sainte-Marie de la Crèche
Bâtie en suivant les canons architecturaux de Vitruve - firmitas, utilitas, et venustas -autrement dit forte, utile et belle-, la basilique est divisée en trois nefs. Une grotte de la Nativité, semblable à celle de Bethléem, est édifiée dans la basilique primitive où les pièces de bois sont initialement placées. Les nombreux pèlerins qui reviennent de Terre Sainte à Rome, portent en don ces précieux fragments de bois du berceau sacré. Sainte-Marie Majeure devint Santa Maria ad Praesepem, Sainte-Marie de la Crèche. Dès le XIIIe siècle, des sources témoignent de la grande ferveur populaire dont jouit la relique du Saint Berceau. Elle est ensuite déplacée de la grotte de la Nativité à l’autel de la chapelle Sixtine, conçue spécialement à cet effet dans la basilique par Sixte V au XVIe siècle.
De cristal et d’argent
Peu avant 1800, le Sacré Berceau se pare de plus riches atours. Un précieux réceptacle, en forme d’urne ovale de cristal et d’argent partiellement doré, est commandé à l’architecte romain Valadier, figure de proue du néo-classicisme italien au XVIIIe. Cette urne, que l’on peut encore admirer aujourd’hui, comprend des bas-reliefs de la crèche, de l’adoration des mages, de la fuite en Égypte et du dernier repas. Sur le reliquaire trône l’Enfant-Jésus en or, en train de bénir. Deux chérubins joufflus veillent sur les reliques.
Le miracle des flocons de neige
Ce somptueux reliquaire accroît la renommée de Sainte-Marie de la Crèche, déjà l’une des plus anciennes basiliques romaines, la seule qui ait conservé des structures paléochrétiennes, et qui se soit édifiée sur un mont enneigé en plein été.
La légende raconte que la nuit du 4 au 5 août 356, la Vierge apparut en rêve au saint Pape Libère pour demander la construction d'une église en son honneur, dans un lieu qu'elle aurait indiqué. Miracle, aux premières lueurs de l’aube du 5 août, le sommet de la colline de l’Esquilin apparaît immaculé, couvert de neige. Le Pape y trace le périmètre de la nouvelle église, lance le chantier. «Sainte-Marie des Neiges» est inaugurée huit décennies plus tard à cet endroit, autrefois temple dédié à Cybèle la déesse gréco-romaine présentée comme Magna Mater, Mère des dieux.
Chaque année, au cours de la messe solennelle du 5 août et des deuxièmes vêpres, ce miracle de la neige est reproduit dans la basilique et nombreux sont ceux qui s’y pressent pour le contempler. Les flocons sont symbolisés par des pétales de roses blanches qui sont déversés depuis le plafond de l’édifice sur le chœur.
Une basilique majeure et monumentale
Forte de cette gloire acquise et puisqu’elle est la plus grande des vingt-six églises romaines dédiée à Marie, la basilique prend enfin le nom de Sainte-Marie-Majeure. Son clocher polychrome XIVe siècle, de style roman, à 75 mètres de hauteur, est le plus élevé de Rome. Dès l’entrée, l’effet grandiose est saisissant. À gauche, la Porte Sainte, bénie par Jean Paul II le 8 décembre 2001. Au centre le Christ ressuscité, qui apparaît à Marie, représentée comme la Salus Populi Romani. Une basilique embellie au fil des siècles, entièrement restaurée et rénovée au XVIIIe, dont l’extérieur baroque cache un intérieur byzantin, serti de magnifiques mosaïques du Ve siècle, de fresques et marbres à profusion.
Prière à la première crèche de pierre
Mais la splendeur de Sainte-Marie-Majeure demeure indubitablement liée à la Nativité. Dans la grotte éponyme qui se visite cette année seulement les 24 et 25 décembre, se dresse la majestueuse crèche de style gothique sculptée en pierre. Œuvre permanente signée Arnolfo di Cambio en 1288, sculpteur toscan à qui l’on doit le baldaquin d’une autre basilique romaine, Saint-Paul-hors-les-Murs. Les Rois Mages de la Crèche élégamment vêtus et Saint Joseph admirent stupéfaits et respectueux le miracle de l'enfant dans les bras de la Madone, entourés du bœuf et de l'âne. La vénération de cette Crèche très forte avant 1700, saint Gaëtan de Thiene et Saint Ignace de Loyola s’y recueillaient par exemple de longs moments, voire y vécurent des expériences mystiques, s’est aujourd’hui beaucoup amoindrie, remarque le bedeau de la basilique.
Retour dans la ville natale
Le Pape François aujourd’hui entend réveiller cette contemplation, sa Lettre apostolique Admirabile Signum parue en 2019 sur la signification et la valeur de la crèche en témoigne. Autre heureux retour à la case départ souhaité la même année par le Souverain pontife argentin: celui d’un petit morceau de la relique du Sacré Berceau à Bethléem. Après 1 300 ans dans la capitale de la chrétienté, le précieux don a voyagé 3 000 kilomètres pour retrouver sa terre d’origine en Palestine. La partie principale restée à Rome, le Saint Berceau peut désormais être vénéré en ces deux contrées sacrées. Et rappeler le mystère d’un Dieu fait chair.
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