Entre pandémie et réfugiés, les défis des chrétiens de Turquie
Antonella Palermo - Cité du Vatican
Le nombre de victimes du coronavirus en Turquie -où il y a des retards dans la livraison du vaccin anticovid chinois, Sinovac- a désormais dépassé le seuil des 20 000 morts. Parmi eux, le franciscain Mgr Rubén Tierrablanca Gonzàles, ancien vicaire apostolique d’Istanbul et président de la conférence épiscopale de Turquie, décédé du coronavirus à l'âge de 68 ans, le 22 décembre dernier. Sa foi simple et l'exemple de sa charité tournée vers les plus nécessiteux représentent un grand héritage humain et spirituel pour les catholiques de Turquie, et pour les missionnaires peu nombreux, qui travaillent dans ce pays d’Asie mineure pour soutenir une Église minoritaire mais fervente.
Dans un entretien à Radio Vatican-Vatican News, Mgr Lorenzo Piretto -tout juste nommé par le Pape au rang d’administrateur apostolique du Vicariat apostolique d'Istanbul et de l'Exarchat pour les fidèles de rite byzantin résidant en Turquie- évoque une population qui doit encore compter avec les dégâts causés par le tremblement de terre qui a secoué la mer Égée fin octobre dernier, et qui connaît chaque jour une situation humanitaire très lourde en raison des les milliers de personnes qui se sont réfugiées sur son sol, fuyant les guerres. Ces jours de Noël, cependant, se sont avérés selon lui pleins d'espérance et de foi.
Le nouvel administrateur apostolique témoigne donc d’un pays qui souffre mais qui veut résister avec espérance, aussi grâce aussi au dialogue interreligieux promu par les chrétiens.
Entretien avec Mgr Piretto
R. - J'ai un très beau souvenir du père Ruben. Une personne sage, équilibrée, toujours prête au dialogue. Il n'a jamais été impatient, toujours coopératif. Aimable, il écoutait tout le monde, avec un véritable esprit franciscain. Je le tenais en haute estime. C'était un grand don de Dieu de l'avoir comme Vicaire apostolique.
Unum in Cristo était sa devise épiscopale. Sur le front de l'œcuménisme et du dialogue interreligieux, quels sont les fruits de votre ministère et comment comptez-vous procéder dans cette direction?
R. - Sa ligne a toujours été très ouverte avec tout le monde. Je ne pense pas rester longtemps ici, à vrai dire, j'ai 78 ans. Il avait cependant des relations amicales avec tous les représentants des autres Églises, comme par exemple, avec le Grand Rabbin de Turquie ou avec les protestants. Sa proximité avec les derviches (ndlr, ascètes soufies), les mystiques soufis, était très marquée. Je ferai tout pour combler ce vide. J'ai passé trente ans à Istanbul et je sais que ce dialogue est très important, surtout sur le plan personnel, avec les dirigeants d'autres religions.
Comment vivez-vous cette période de Noël ravagée par la pandémie?
R. - D'autres belles ressources sont en train d'être redécouvertes. Les personnes qui ne pouvaient pas aller à l'église ont suivi les messes diffusées à la télévision ou en streaming d'une manière qui m'a fort étonné. Parmi elles, de nombreuses personnes qui n'étaient jamais allées à l'église auparavant. Rappelons que le terrible tremblement de terre a rendu la cathédrale de Saint Polycarpe inutilisable. Grâce à Dieu, l'église franciscaine où officiait Mgr Rubén, était à notre disposition et nous y avons tenu toutes les célébrations. Nous avons essayé de survivre de cette manière. Mais, là, l'aspect négatif a apporté un aspect positif. De nombreuses personnes sont revenues à l'Église et à la Parole de Dieu.
Comment la pandémie affecte-t-elle la situation sanitaire et la fragilité économique et sociale du pays?
R. - La situation est très délicate. Les catholiques ont tous très peur. Ils respectent toutes les normes imposées par les autorités. Ils essaient d'aller de l'avant. Les règles sont très sévères, en particulier pour les personnes âgées. À Izmir, nous avons la protection spéciale de saint Polycarpe, que nous invoquons toujours contre la faim, les tremblements de terre et contre la peste.
À ce jour, quelle est la situation du point de vue de l'aide à la population et de la reconstruction après le tremblement de terre?
R. - Les zones les plus touchées ont été immédiatement aidées par les municipalités. Notre Caritas a travaillé dur. La municipalité a proposé des appartements vides. Certaines familles sont même allées vivre à l'hôtel Hilton. Ici en Turquie, les gens sont très solidaires et c'est un exemple que nous donnent nos frères musulmans.
Quels souhaits exprimeriez-vous pour 2021, pour la Turquie et la présence chrétienne dans le pays?
R. - Que le Bon Dieu nous fasse comprendre comment ces événements négatifs peuvent ouvrir notre cœur pour voir les besoins des autres. Le décès de Mgr Ruben a certainement causé un grand choc, mais nous espérons que Dieu pourra donner une nouvelle force à notre Église. C'est lui qui guide les quelques forces que l’on a. Je dois dire que j'ai toujours trouvé des gens de bonne volonté et généreux pour son Royaume. Nous sommes certains que le Seigneur ne nous abandonne pas. Mon souhait est que les hommes apprennent, à partir de ce qui s'est passé, à regarder avec des yeux de bonté les frères qui sont autour d'eux, comme le sont pour nous les nombreux réfugiés, les pauvres qui vivent encore aujourd'hui dans la détresse. Caritas fait ce qu'elle peut pour les aider, toujours de manière indirecte ; n'étant pas reconnus au niveau juridique, nous risquerions d'être jugés comme des personnes qui veulent convertir. Il faut comprendre que nous ne sommes mus que par l'enseignement de l'Évangile qui est l'amour pour tous, indistinctement.
Quel est le style de présence des dominicains?
R. - Mon expérience me dit qu'en tant que dominicains, nous devrions également pratiquer le dialogue culturel. Lorsque nous voyons avec la sincérité du cœur, tout devient plus clair. Alors tout est différent et nous nous sentons comme frères et sœurs. Nous avons donc un point de référence unique, Ephèse, la maison de Notre-Dame. Les musulmans s'y rendent également pour prier. Ils l'appellent "mère".
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