Construire des relations avec tous, la contribution essentielle des Focolari
Adriana Masotti – Cité du Vatican
Le mouvement des Focolari tient, depuis le 24 janvier dernier, son Assemblée générale, la troisième depuis le décès en 2008 de Chiara Lubich, fondatrice du mouvement. Elle devait se tenir en septembre dernier, mais a été reportée en raison de la pandémie. À cause de la crise sanitaire, elle se tient d’ailleurs actuellement de manière quasi intégralement virtuelle : 362 délégués y représentent les cultures, générations, vocations ou appartenances ecclésiastique ou de foi présentes au sein du mouvement, aussi appelé "Œuvre de Marie". Ils éliront leur nouvelle présidente lors d’un vote en ligne, le 31 janvier prochain. Le co-président sera, lui, désigné le 1er février et, trois jours plus tard, seront élus les conseillers de la présidente. Au-delà de ces élections, l’Assemblée permettra de définir les lignes directrices et les actions à mener pour les six prochaines années.
Un pacte d’écoute et d’accueil réciproque
Pendant les longs mois de préparation de l’Assemblée, lors de diverses consultations à tous les niveaux, les membres du mouvement ont fait une première sélection des candidats à la gouvernance de l’Œuvre, ils ont déterminé des thèmes à traiter lors de leur rencontre, de la place de la prière et de leur engagement à grandir dans l’unité. L’Assemblée a d’ailleurs d’emblée souligné ce dernier point: la volonté pleine et mutuelle d’accueillir l’autre et de valoriser ses pensées pour permettre à l’Esprit Saint de faire son chemin.
S’en est suivie un partage qui montre bien comment la spiritualité collective de Chiara Lubich peut être vécue par tous et dans tous les contextes: depuis les Philippines, Vicky et Vic qui sont mariés, racontent comment ils ont fait face et surmonté l'infection à la Covid-19; le bouddhiste thaïlandais Somjit a expliqué comment il cherche à vivre le don de soi selon les enseignements du Bouddha; depuis l’Espagne, Jordi qui est agnostique décrit son implication dans la coordination, avec son épouse chrétienne, de plusieurs groupes de dialogue; enfin, Rassim, un musulman d'Algérie, affirme qu’il a trouvé dans le Coran l'encouragement à se sentir disponible pour un amour mutuel inconditionnel.
Maria Voce: présider c’est d’abord servir
Plus de 2 millions de personnes adhèrent actuellement au mouvement dans 182 pays du monde. La présidente sortante, l’Italienne Maria Voce qui est également une avocate diplômée en théologie et en droit canon, revient au micro de Vatican News sur son expérience de 12 années à la tête du mouvement.
R. – Naturellement, ce fut une expérience que je qualifierais de difficile au début parce que c’était l’inconnu et que j’avait tout à découvrir, mais c’est une expérience qui m’a fait tant et tant de dons. Ce fut très beau et très enrichissant, vraiment. J’ai pu connaître de nombreuses réalités qui m’étaient jusqu’alors inconnues. J’ai pu connaître de manière plus approfondie encore le charisme de Chiara (Lubich) à travers le monde, lors de mes voyages, grâce aux contacts que j’ai pu établir avec tant de gens. J’ai découvert différentes cultures et les défis que la famille de Chiara vit dans le monde entier. Tout cela a ouvert mon âme sur le monde et donc je me sens vraiment beaucoup plus riche après ces années pour tout l’amour que j’ai essayé de donner à cette famille et pour tout l’amour que j’ai reçu en abondance de personnes qui m’étaient auparavant inconnues. Elles sont devenues une partie de moi, mes frères et sœurs dans le monde entier. Je suis ainsi très reconnaissante à Dieu pour cette expérience.
La vie du Mouvement a probablement toujours été marquée par des joies et des douleurs, des conquêtes et peut-être quelques échecs, des limites et des opportunités. Comment décrire la réalité du mouvement aujourd’hui ?
R. – Je choisirai l’image de l’arbre, un arbre qui a peut-être perdu quelques fleurs et ses feuilles comme en automne mais qui maintient intact ses racines très solides et ces racines sont capables de faire couler la sève et la chaleur nécessaire à nourrir ses graines désormais plantées dans le monde entier, sur tous les continents. Il a donc la possibilité de continuer à les nourrir et de les faire germer, comme c’est d’ailleurs déjà le cas dans tant de parties du monde. En ce moment, nous nous le représentons peut-être en hiver, mais c'est en hiver que les graines mûrissent sous la terre et fleurissent ensuite au printemps, et il me semble que c'est un arbre qui prépare le nouveau printemps de l'Œuvre.
Après la mort de Chiara Lubich, vous avez été la première à se voir remettre la tâche de guider le Mouvement, en passant de la fidélité aux origines à l'écoute de l'Esprit Saint. Il y a quelques jours, l'année marquant le centenaire de la naissance de Chiara Lubich s'est achevée. Personne ne pouvait prévoir que le monde serait alors submergé par la pandémie. Comment avez-vous vécu cette situation?
R. - Nous avons été surpris par cette pandémie qui a balayé le monde et qui nous a obligés à renoncer à beaucoup de choses. Je dois cependant dire que le début des festivités marquant cet anniversaire a été merveilleux. L’année a commencé avec les célébrations prévues à Trente, avec l'ouverture d’une exposition, la visite du président de la République italienne qui a eu des paroles manifestant une grande compréhension du charisme de Chiara Lubich et du mouvement des Focolari. Lors de ces célébrations, une centaine d'évêques ont montré leur considération pour la personnalité de notre fondatrice, etc. Il y a donc eu ce début très fort, puis une pause, mais sans nous arrêter.
Au cours de l’année, nous avons découvert les nombreuses possibilités que les moyens modernes de communication offraient pour continuer à faire connaître Chiara Lubich. Et l'année s'est terminée avec une fiction diffusée sur Raiuno (première chaîne publique de la télévision) narrant les débuts du Mouvement à Trente. Plus de 5 millions de téléspectateurs l’ont vue rien qu'en Italie. Cette année de célébration s’est achevée lorsque nous avons fêté le 101e anniversaire de la naissance de Chiara Lubich, le 22 janvier dernier. L’année est finie mais pas la possibilité de rencontrer cette femme, de nous laisser nourrir par son charisme et par son message poussant le monde à vivre la fraternité. Une grande opportunité manœuvrée par un "chef d’orchestre" beaucoup plus puissant que les nôtres.
On note des convergences entre le Pape François et le mouvement des Focolari, de l’accueil au dialogue, en passant par la nécessité de construire un monde différent, plus fraternel. Quelle peut-être la contribution du mouvement qui est attaché au dialogue avec les autres confessions et avec les non-croyants, à cet appel à la fraternité du Saint-Père?
R.- Je considère que c'est essentiel, et cela a toujours été essentiel pour Chiara Lubich dès le début. Grâce au charisme de l'unité reçu de l'Esprit Saint, dès le début, elle a vraiment senti qu'elle devait approcher chaque personne avec un esprit de fraternité et c'est ce qu'elle a toujours fait, avec des catholiques tout d'abord - des évêques qui l'interrogeaient aux pauvres de Trente, mais aussi avec des personnes d'autres Églises, d'autres religions ou sans religion. Dans chacun d'eux, Chiara Lubich a rencontré des frères et des sœurs et les a traités comme tels. Voilà ce que Chiara nous a appris et voilà ce qui reste ancré dans le Mouvement, et c'est une force extraordinaire.
Nous l'avons vu aussi pendant ces journées de préparation à l'Assemblée. Nous avons vu en première ligne des membres du mouvement, et des personnes de différentes Églises et religions, sans credo religieux explicite, mais de bonne volonté, qui se sont attachées avant tout à témoigner de cette force d'amour capable de créer des relations à tous les niveaux, qui est capable de surmonter les conflits, qui est capable de vous faire vous retrouver ensemble avec des personnes d'autres religions -des religions qui jusqu'à hier étaient peut-être ennemies. Ces personnes se sont retrouvées pour parler ensemble, prier et chercher côte à côté le sens de la vie, le sens de la pandémie, à réaliser des actions de solidarité pour les autres.
Nous l'avons perçu dans leurs paroles de sagesse, dans leur attention à ce que le mouvement prépare, dans leur participation active à la préparation de l'assemblée avec leurs suggestions, avec leur vie, car ils ont été évidemment inspirés par le même Esprit Saint qui agit au-delà des frontières, au-delà de toutes les barrières. J'ai donc l'impression que c'est la contribution que le Pape ressent et sur laquelle il peut compter, mais pas seulement le Pape, toute l'Église et toute l'humanité, parce que nous sentons qu'il y a un besoin extrême de cette fraternité et que le Mouvement a une grâce spéciale pour la construire précisément à cause du charisme d'unité qui vient de notre fondatrice.
Vous avez récemment affirmé qu'un tournant était nécessaire pour le Mouvement, celui de la compréhension que Dieu n'est pas seulement Amour, mais aussi Trinité...
R. - Absolument, Dieu est Trinité, cela signifie que Dieu en lui-même est relation. Cela signifie donc que tous ceux qui cherchent Dieu doivent construire des relations afin de le trouver, et je ne crois pas qu'il y ait quelqu'un qui ne cherche pas Dieu: il cherchera la vérité, Dieu est aussi la vérité, il cherchera la beauté, mais Dieu est aussi la beauté, il cherchera la bonté dans le monde, mais Dieu est aussi la bonté… Dieu est tout ce que tout être humain peut chercher et trouver s'il construit des relations, et je crois que tout le monde en est capable, parce que tout le monde est créé à l'image de Dieu et donc à l'image de Dieu Trinité.
Conformément à ses statuts, l'Œuvre de Marie aura toujours une femme comme présidente. Je crois que le mouvement est l'une des rares réalités où le fait d'être une femme est, pour ainsi dire, un avantage. Est-ce aussi un signe pour la société civile et pour l'Église?
R . - Je dois dire que je suis perplexe devant ce mot "avantage" car à vrai dire, être à la tête d'un mouvement comme le nôtre signifie être le premier à servir, le premier à multiplier les actes d'amour, le premier à accepter tout défi et à le surmonter avec l'aide de Dieu et avec l'aide de nos frères. Donc, dans un certain sens, cela peut être un avantage d'être considéré comme capable d'être élu, mais il ne me semble pas que nous le vivions dans cet esprit. Il ne me semble pas que les focolarines qui sont les seules à pouvoir "aspirer" à cette fonction, vivent les choses de cette façon, mais plutôt dans un esprit d'amour et de service à l'Œuvre de Chiara Lubich, avec l'amour celle-ci l'a aimée, guidée et servie.
Mais, je pense certainement que c'est aussi un témoignage d’égalité, de cette profonde fraternité, de cette égale dignité, qui va au-delà des différences sexuelles, que Dieu a mis au monde lorsqu'il a créé l'homme à son image et l'a créé homme et femme. Si unis dans cette complémentarité qui doit respecter la diversité et donc faire émerger l'autre dans sa capacité à donner, qui sera certes différente parce que Dieu a fait deux êtres différents, mais faite pour être ensemble et constituer ensemble l'humanité à son image et à sa ressemblance.
En ce sens, je pense que c'est un signe de progrès et c'est quelque chose qui émerge de plus en plus tant dans l'Église que dans la société, mais je pense que ce n'est rien d'autre que la manifestation de plus en plus claire de ce qu'est le profil marial de l'Église, ce profil qui dit de Marie qu'elle est femme, mère, mais aussi reine, également fondatrice avec son Fils de l'Église sur le Calvaire, co-rédemptrice de l'humanité, principe d'unité pour tous. En ce sens, donc, je pense que oui, c'est un privilège dont le Mouvement peut se vanter et qu'il peut offrir à l'Église et au monde comme exemple et comme précurseur, d'une certaine manière.
Que souhaitez-vous enfin pour l’Oeuvre de Marie dans le futur?
R. - Comme le fit Chiara, je souhaite à l'Œuvre la plus grande fidélité à l'Évangile, c'est-à-dire une fidélité qui puisse atteindre l'héroïsme, car c'est une fidélité à vivre l'Évangile concrètement…. la fidélité à "unité", cette parole de l'Evangile que Dieu a voulu prononcer en envoyant ce charisme. Elle doit être totale, capable de vivre les relations comme elles sont vécues dans la Trinité, de témoigner au monde que Dieu existe, que par l'Œuvre, elle peut encore amener la fraternité plus loin dans l'Église et dans le monde pour contribuer à réaliser cette prière de Jésus: «Que tous soient un».
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