Les moines de Tibhirine, un souvenir vivant 25 ans après leur enlèvement
Ce 26 mars marque le 25e anniversaire de l'enlèvement des sept moines de Tibhirine, en Algérie, dont l'assassinat fut annoncé deux mois plus tard, le 21 mai 1996.
Leur béatification en 2018, avec 12 autres religieux chrétiens martyrs de la guerre civile algérienne, a remis en lumière la force de leur engagement auprès de la population locale. Né en Algérie quelques jours après l'indépendance en 1962, le journaliste François Vayne, actuel responsable de la communication de l'Ordre du Saint-Sépulcre, s'est fréquemment rendu à Tibhirine durant son enfance et son adolescence. Il témoigne de son souvenir personnel de ces moines et de la fécondité actuelle du don de leur vie pour l'Eglise d'Algérie.
Je fais partie d’une famille qui était en Algérie depuis six générations, et donc c’est vraiment notre pays, et tous mes ancêtres sont enterrés en Algérie. On est restés après l’indépendance, dont j’y ai grandi jusqu’à l’âge de 17 ans, et pour nous Tibhirine c’était l’oasis où l’on aimait se retrouver, c’était vraiment le cœur battant du diocèse au niveau spirituel.
Donc je me rappelle surtout de Christian (de Chergé, ndr) qui nous ouvrait le portail avec ses sandales de peau, avec ses pieds nus, y compris en plein hiver, ça m’a beaucoup marqué. Et puis la file de malades qui était sur la gauche, et qui étaient accueillis par le Frère Luc, le médecin, et ça m’a toujours fait penser à Jésus qui est toujours là pour nous guérir, nous soigner, nous accompagner, nous soutenir. Et je sais qu’ils intercèdent beaucoup pour nous tous, en particulier depuis leur béatification, mais avant aussi. Et j’ai des témoignages de musulmans notamment, qui ont reçu des grâces de la part des bienheureux martyrs de Tibhirine.
Leur enlèvement et leur élimination ont évidemment été une tragédie épouvantable pour la petite Église d’Algérie, mais finalement on a vu plus de 20 ans après, lors de la béatification à Oran, que ces moines mais aussi les autres religieux martyrs d’Algérie avaient une fécondité immense, qu’ils avaient permis aux chrétiens de bénéficier d’une amitié, d’un respect, d’une reconnaissance, d’un amour même, de la part d’une grande partie de la population algérienne musulmane. Est-ce finalement cela, le chemin chrétien? Comme le Christ lui-même, d’un échec apparent, tirer une victoire plus grande et presque inespérée?
Oui, ce qui est très beau dans leur message c’est qu’ils n’ont pas voulu lâcher la main de l’ami qui souffrait à côté d’eux. Ils auraient très bien pu partir, mais comme la population souffrait autour, ils sont restés solidaires de cette population, donc c’est un appel pour nous aussi à vivre des gestes de solidarité concrets, surtout en ce moment de crise sanitaire. Ils peuvent être un modèle pour nous tous au quotidien.
Et le miracle c’est aussi que l’enlèvement des moines, qui avait pour but de créer un fossé entre chrétiens et musulmans, d’opposer l’islam à l’occident, ça s’est transformé en grâce de fratellanza comme dirait le Pape François, de fraternité universelle, et ça a beaucoup rapproché les croyants de diverses confessions.
J’étais présent à la béatification, le 8 décembre 2018, il y avait beaucoup de musulmans présents, et ça été très beau aussi de recueillir leurs témoignages sur la façon dont le sang des chrétiens et des musulmans s’est mêlé pendant la guerre civile. Il y a eu 114 imams qui ont été tués, il y a 150 000 victimes, 19 martyrs chrétiens, et on peut dire que l’Église est vraiment née, l’Église postcoloniale est née dans le sang de ces martyrs. Et aujourd’hui, l’Église en Algérie, elle est chez elle, et c’est une grande grâce. C’est un peu l’œuvre du cardinal Duval et de tous ceux qui étaient autour de lui après l’indépendance qui a pu fleurir à travers le don de la vie de ces hommes.
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