Le Pape en Irak: une visite de compassion et de prière
Entretien réalisé par Hélène Destombes - Cité du Vatican
Jean-Paul II l’avait tant souhaité, François est sur le point de réaliser le premier voyage d’un Pape sur la terre d’Abraham et de Jonas. Le saint-Père, du 5 au 8 mars, rencontrera les différentes communautés qui composent l’Irak, pays exsangue ayant subi, ces dernières années, la guerre et la présence des djihadistes du groupe État islamique.
Tout au long de ce pèlerinage, le Pape ira clamer «Vous êtes tous frères», le thème de ce déplacement, placé sous le signe de la fraternité humaine. Le frère Olivier Poquillon, dominicain à Erbil, évoque «une visite de compassion et de prière» pour retisser des liens, «rebâtir la confiance» et «s’engager dans le dialogue».
Comment se prépare ce voyage historique?
La préparation de l’événement bat son plein. Nous sommes en train de procéder à l’enregistrement paroisse par paroisse. Les gens vont vers leur paroisse et après se rendent à l’université catholique d’Erbil pour finaliser l’inscription. Il y a évidemment un contrôle assez étroit en termes de sécurité. Tout le monde ne pourra pas participer à la messe avec le Pape mais il y a un très grand engouement dans toutes les communautés que ce soit parmi les Chaldéens, les Syriaques, les Arméniens ou les latins.
Un peu comme lors de chaque voyage du Pape dans un pays, l'on crée des chorales pour l’occasion, on cherche des volontaires pour assurer l’organisation et là il y a un très grand engouement notamment de la part des jeunes. Il ne faut pas oublier que la population est très jeune: 3,5 % de la population a plus de 65 ans, 40%, moins de 14 ans. Les chrétiens aussi, sont une population très jeune, assez enthousiaste, et qui entend bien ne pas rater cet événement unique en 2 000 ans de christianisme.
Que représente cette visite pour les chrétiens, et plus largement, pour l’ensemble de la population irakienne, encore meurtrie par des années de guerre et la présence de Daesh?
La visite du Pape François dans la plaine de Ninive est un événement majeur. En Orient, lorsque l'on veut honorer quelqu’un on ne l’invite pas chez soi, on lui rend visite. Le Pape, donc le chef de l’Église catholique, se rend auprès d’un parent souffrant. Cette visite à Mossoul sera une visite de compassion, de prière, non pas avec un discours politique mais un moment de prière pour les victimes, dans un cadre où aujourd’hui chrétiens et musulmans essaient de travailler ensemble à la reconstruction de trois édifices majeurs de la vieille ville: la grande mosquée, la cathédrale Al-Tahira et le couvent des dominicains.
Décréter l’union entre les religions est une chose, la vivre est une autre. Et je pense que ce que va faire le Pape, c’est se rendre au contact de ces hommes et femmes qui sont engagés ensemble au quotidien pour trouver des solutions aux difficultés vécues au quotidien. Le dialogue interreligieux peut être au niveau politique, au niveau théologique, mais il se situe d’abord au niveau de la fraternité humaine. C’est ce témoignage que le Pape va rendre à Ur sur les traces d’Abraham, et à Ninive, sur les traces de Jonas.
Le Pape va visiter un pays fracturé où il y a une perte de confiance, de capacité de dialogue. Cette présence du saint-Père peut-elle créer des ponts entre les différentes communautés?
Ce voyage du Pape est le premier dans la région, mais il se situe à la suite du voyage à Abou Dhabi et cette Déclaration commune sur la Fraternité humaine avec le Grand Imam d’al-Azar, à la suite du voyage en Égypte et au Maroc, avec cette thématique de passer du statut de minorité à la pleine citoyenneté.
Avant de reconstruire des villes comme Mossoul, Kirkouk ou d'autres qui ont été impactées parfois violemment par les combats de ces dernières décennies, il faut rebâtir la confiance. Et le Pape nous lance deux appels: un appel à la confiance pour les chrétiens et un appel à s’engager dans le dialogue avec nos voisins, aves nos frères qui vivent au quotidien avec nous. Oui, il reste des traces. Évidemment, la confiance ne se décrète pas. Mais je pense que ce que nous faisons, c’est d’essayer de multiplier les occasions d’activités communes, de vie commune, à travers les activités universitaires, mais aussi le déblayage ou la reconstruction.
Les chrétiens en Irak représentent aujourd’hui entre 300 et 400 000 personnes, ils étaient près 1,4 millions en 2003, cette visite du Saint-Père sur leur terre ancestrale peut-elle encourager les retours et éviter d’autres départs?
Cela peut certainement être un encouragement pour ceux qui souhaitent revenir. Nous sommes contactés assez régulièrement par des jeunes qui souhaitent revenir mais ici il n’y a pas que les chrétiens qui souhaitent partir. Beaucoup de jeunes de la région, quasiment tous les jeunes -je pense à mes anciens étudiants- ne rêvaient que d’une chose c’est d’aller voir à l’extérieur, de se confronter à d’autres réalités que les leurs. Aujourd’hui, tout le monde est sur les réseaux sociaux donc les références changent.
L’idéal pour les jeunes Irakiens est peut-être davantage de vivre comme dans les monarchies du Golfe que de vivre comme en Europe. Leurs aspirations ne sont pas forcément les mêmes. Alors pour les chrétiens, il me semble que c’est un faux-débat aujourd’hui. Ce qui me semble important n’est pas de savoir s’ils veulent partir ou rester. Ils sont comme tous les Irakiens, s’ils ont des perspectives économiques et la possibilité de jouer un rôle dans la société, ils resteront, et s’ils n’en trouvent pas, ils chercheront à émigrer. C’est le cas pour les Kurdes, pour les Arabes du sud qu’ils soient chiites, mandéens ou yézidis, les aspirations sont les mêmes.
En revanche, je pense que ce voyage est une véritable occasion de se rendre compte de l'engagement des chrétiens. Ils s’engagent beaucoup auprès des plus pauvres, des personnes en situation de handicaps, dans des activités qui permettent l’épanouissement personnel. Les chrétiens ne sont pas une force majeure. Ils sont une petite composante de la société irakienne mais ils peuvent permettre un dialogue entre les grands groupes en évitant le face-à-face.
À un niveau plus personnel, que signifie pour vous ce voyage apostolique, qu’en attendez-vous?
Nous voyons se concrétiser le rêve, qui était déjà celui de Jean-Paul II de venir sur la terre d’Abraham parce que le salut est offert à tous. C’est le message d’Abraham et de Jonas. J'espère que chacun à notre rythme, nous pourrons converger vers ce Dieu qui nous sauve, un Dieu d’amour et de miséricorde, qui a choisi cette terre pour s’incarner.
Cette visite cherche à rendre possible le dialogue et la fraternité. Or la fraternité est un peu comme une mosaïque, chacune a sa couleur, mais c’est ensemble que nous allons créer un dessin. Ce dessein commun, le dessein de Dieu, est l’épanouissement de tous les hommes. C’est ce que le Pape vient essayer de susciter ici.
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