«Le seul secours de la Birmanie est désormais dans la prière»
Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
Ce mardi 11 mai a marqué une étape, symbolique seulement, tant le conflit birman s’enlise: 100 jours plus tôt, les généraux birmans renversaient le gouvernement élu d'Aung San Suu Kyi, trois mois après leur défaite aux élections législatives, mettant brutalement fin à une parenthèse démocratique de dix ans.
Le bilan de cette centaine de jours est douloureux: le soulèvement populaire provoqué par ce putsch est réprimé dans le sang - au moins 780 civils ont été tués ces trois derniers mois, d'après l'Association d'assistance aux prisonniers politiques (AAPP) -, l’économie est paralysée par une grève générale sans précédent, et des combats intenses entre l'armée et des factions rebelles ont fait voler en éclat tout espoir de réconciliation de ce pays multi-ethnique. Par ailleurs, plus de 3 800 personnes sont actuellement détenues, en général dans des lieux tenus secret, d'après l'AAPP qui déplore des violences envers les femmes, des exécutions extra-judiciaires et des tortures.
Une haine grandissante
«Le début du mois a été plutôt calme», constate le père Ludovic Mathiou, mais depuis quelques jours, la situation s’envenime à certains endroits. Le prêtre des Missions Étrangères de Paris évoque une ville du Sud de l’État de Chin assiégée par l’armée, laquelle répond à des tirs de mousquets avec des armes lourdes et en envoyant des hélicoptères.
Finalement, le sommet de l’ASEAN du 24 avril dernier sur la Birmanie ne semble pas avoir eu de répercussions sur le terrain. «Les gens étaient en colère de voir que la communauté internationale prenait en compte les militaires comme les vrais représentants du pays», relève le prêtre, selon lequel «la communauté internationale a montré ses limites», même si l’on peut encore nourrir l’espoir qu’elle «se réveille».
À l’heure actuelle, les deux gouvernements – celui de la junte, et celui parallèle, appelé «d’unité nationale» et constitué par les députés élus à l’issue des élections de novembre 2020 contestées par l’armée - «se considèrent mutuellement comme des terroristes, et s’appellent mutuellement “terroristes”, donc il n’y a aucune possibilité de dialogue». L’armée, bien que largement impopulaire, s’accroche au pouvoir, car elle «ne veut pas perdre la face ni de l’argent». Chez les Birmans, elle suscite la peur mais aussi le ressentiment. «Il y a une vraie haine qui s’installe contre les militaires, les gens se réjouissent dès qu’il y a des morts du côté des militaires», constate le père Ludovic.
Des conséquences désastreuses pour la population
La population reste déterminée à ramener le pays sur la voie de la démocratie, surtout les «jeunes générations qui refusent de retourner à une époque antérieure». «On voit moins de grosses manifestations, ce sont de petits rassemblements qui ont lieu partout, mais il y en a tout de même tous les jours», explique le prêtre français. Chez ces habitants exaspérés, frustrés en raison d’une «élection volée» et d’un sentiment de retour en arrière, la violence est désormais un moyen d’action. Beaucoup de jeunes ont par exemple «rejoint des groupes armés qui existaient déjà», d’autres se sont rassemblés pour constituer de nouveaux groupes. Le missionnaire observe que l’usage de bombes artisanales se répand. «Maintenant les gens veulent se battre», remarque-t-il, parfois même dans les rangs de l’Église. «Quand je parle aux séminaristes, ils n’ont qu’une envie, c’est d’aller se battre. Des sœurs aussi disent parfois “si on pouvait, on prendrait les armes”».
La jeunesse birmane est prête au sacrifice pour que le pouvoir militaire cède enfin la place à la démocratie, mais pour l’heure, le seul résultat qui se dessine est celui d’un désastre éducatif. Les professeurs ne souhaitent en effet pas retravailler et les étudiants se refusent à retourner en cours. «Depuis un an les écoliers et les étudiants ne vont pas à l’école», rappelle le père Ludovic, craignant que des générations entières ne reçoivent plus d’éducation.
La paralysie de toute l’économie du pays est une autre conséquence du mouvement de désobéissance civile. Le prêtre des MEP évoque par exemple la difficulté de retirer de l’argent, les banques étant fermés, les déplacements entre villes devenus quasi impossibles, les coupures d’internet qui compliquent les communications, les nombreuses arrestations de médecins et d’étudiants en médecine. «En trois mois l’économie a été mise à terre, résume-t-il, en trois mois ils ont détruit dix ans de progrès». La moitié des 54 millions d’habitants risque de passer sous le seuil de pauvreté dès 2022, soit un retour en arrière de seize ans, a récemment averti le Programme des Nations unies pour le développement. La Banque mondiale a quant à elle annoncé une contraction de 10% de l'économie en 2021, après une croissance de près de 7% en 2019.
«L’ambiance est très lourde dans le pays». Même si le missionnaire se sent en sécurité dans le séminaire où il réside, «oasis de paix et de tranquillité» dans la tourmente, il ne communie pas moins aux souffrances de son pays de cœur, et pas seulement dans la prière. «Un des jeunes qui devait rentrer au séminaire a été tué pour le simple fait d’aller faire son plein d’essence», glisse-t-il. «On évite beaucoup de sortir désormais», et face aux rares personnes rencontrées, «on invite à la paix, à prier».
Une Église aux mains tendues
Ainsi l’initiative du Pape François est «très importante spirituellement pour redonner de la force au pays, et aux chrétiens». Il est bon que le Souverain Pontife «prie et fasse prier pour l’Église et pour notre pays, car Dieu sait si on en a besoin», souligne le père Ludovic. À ses yeux, cette messe célébrée depuis la basilique Saint-Pierre donnera aussi «une visibilité à ce qui se passe en Birmanie». «Notre secours est dans le Nom du Seigneur», lit-on en priant le psaume 123, et en effet, complète le missionnaire, «le seul secours de la Birmanie est désormais dans la prière et dans cette force que le Seigneur peut donner au pays».
Sur le terrain, l’Église catholique birmane accomplit courageusement une mission «de proximité et de charité». Les prises de paroles sont moins fréquentes qu’au début de la contestation et la présence de religieux, prêtres ou séminaristes parmi les manifestants se raréfie, mais l’Église «parle par ses actions», assure le prêtre des MEP. Il se dit particulièrement «impressionné» par le travail des sœurs, infatigables témoins de la maternité et de la charité de l’Église. Une Église «touchée aussi dans son corps», puisque nombre de ses membres sont visés par les décisions arbitraires de l’armée au pouvoir. Le père Ludovic évoque ainsi l’arrestation récente d’un prêtre birman qui retirait de l’argent pour aider des familles.
Dans une semaine, en Birmanie comme partout ailleurs, l’Église fêtera la Pentecôte. Une solennité qui permettra de raviver l’espérance dans ce pays asiatique où l’horizon semble s’être transformé en impasse. Plus qu’aucune autre année, «on sent la nécessité que l’Esprit Saint vienne adoucir ce qui est dur et redresser ce qui est tordu, vienne changer les cœurs», conclut le missionnaire français.
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