Crise politique en Colombie: l’épiscopat persévère dans l’appel au dialogue
«Il est nécessaire de répondre aux demandes légitimes qui sont apparues dans les manifestations, mais la voie sera toujours celle du dialogue, de la rencontre, de la capacité à se comprendre, à s'écouter vraiment et à répondre aux problèmes que nous vivons»: c'est ce que répète et souligne Mgr Elkin Fernando Alvarez Botero, secrétaire général de la Conférence épiscopale colombienne et évêque de Santa Rosa de Osos, interrogé par Vatican News, plus d'un mois après le début des manifestations qui ont fait plusieurs morts et des dégâts matériels dans le pays latino-américain.
La situation est toujours tendue, il n'y a pas eu d'accord à la table de négociation qui a été ouverte entre le gouvernement et la Commission de la grève et les secteurs sociaux qui maintiennent les manifestations et les protestations dans les rues. Le prélat explique le scénario actuel à nos micros.
R - Les manifestations ont commencé le 28 avril et depuis ce moment elles n'ont pas cessé, elles se produisent presque quotidiennement dans différentes villes. En particulier dans le Valle del Cauca, à Cali, dans le Cauca, à Popayán, mais aussi dans le centre de la capitale, à Bogotá, à Medellín et dans d'autres grandes villes. De manière générale, des manifestations ont eu lieu dans tout le pays.
Le motif initial était une protestation contre une réforme fiscale prévue, qui a été retirée par la suite, et, par conséquent, ce processus de manifestations a continué, exigeant la reconnaissance des secteurs sociaux qui ont été traditionnellement négligés ou oubliés, et qui élèvent leur voix pour protester contre ces droits. Les manifestations qui ont eu lieu, malgré les appels continus à en faire des protestations pacifiques, se sont terminées dans certains endroits par des émeutes et des dommages aux biens publics. Des affrontements ont également eu lieu entre des membres de la police et certains manifestants.
Le panorama social reste très complexe, et tous les efforts ont été faits pour faire avancer un dialogue qui aborde les questions fondamentales qui sont au cœur des revendications des manifestants. Jusqu'à présent, nous avons pu maintenir la table de dialogue, mais les négociations n'ont pas encore véritablement commencé, et nous continuons à essayer cette voie du dialogue.
L'Église catholique fait partie d'une équipe de garants des pourparlers, et tente de maintenir, avant tout, une volonté de parvenir à des accords. Voilà les grandes lignes du panorama que nous vivons.
Mgr Alvarez, dimanche, il y a également eu une marche pour rejeter la violence et le blocus comme forme d'action politique. Dans ce climat de tension sociale, qui a causé de nombreux décès, vous ratifiez le dialogue comme une voie à suivre, ce que l'ONU et l'Union européenne ont également fait samedi dernier. Pensez-vous qu'il y a une pleine compréhension de l'importance de cette voie du dialogue, de travailler dessus? Et quel est l'enjeu pour les Colombiens?
R- Dimanche dernier il y a eu aussi ces marches qui ont été appelées "de silence", surtout, en ouvrant un espace pour que les manifestations ne se terminent pas dans la violence, et pour que les droits de l'homme soient respectés, aussi pour ceux qui ont été affectés par les manifestations, qui ont empêché les approvisionnements ou les fournitures d'atteindre les villes.
L'Église catholique et l'ONU, garantes des dialogues, insistent sur la nécessité du dialogue. Au nom de la Conférence épiscopale, nous avons réitéré l'appel du pape François dans Fratelli tutti, qui dit que, face à ces problèmes sociaux, entre l'indifférence égoïste et la réaction violente ou la protestation violente, il y a toujours une possibilité, qui est le dialogue. Nous avons également insisté sur le fait que dans ce dialogue réside l'espoir de pouvoir trouver des points de contact qui nous mèneront à la réconciliation et à un engagement pour la paix.
Il est nécessaire de répondre aux revendications légitimes qui sont apparues dans les manifestations, mais le chemin sera toujours celui du dialogue, de la rencontre, de la capacité à se comprendre, à s'écouter réellement et à aborder les problèmes que nous vivons. La conscience que c'est la voie à suivre est, je crois, en train d'entrer dans la dynamique sociale, et nous espérons que nous pourrons vraiment avancer sur la voie du dialogue transformateur pour donner cours aux réformes et aux changements qui sont nécessaires.
En parlant de réformes, de changements, en pensant que beaucoup des problèmes des protestations qui se produisent sont précisément parce qu'ils touchent la partie économique, n'est-ce pas? Nous devons repenser l'économie d'aujourd'hui afin de «donner une âme à l'économie de demain», dit le Pape François. Dans quelle mesure est-il important que cette insistance du Saint Père soit entendue en Colombie aujourd'hui?
R- Dans un message de la Conférence épiscopale, au début de ces manifestations, nous avons précisément transmis ce message du Pape: «Nous devons donner une âme à l'économie d'aujourd'hui», et, avec elle, les principes de la Doctrine sociale de l'Église, qui doivent guider l'économie en pensant surtout au bien commun, à la possibilité que tous aient accès aux biens, à la richesse, en réduisant le fossé et l'inégalité si grande que nous connaissons depuis longtemps dans notre pays.
Il est vrai que tous les problèmes qui sont à l'origine de ces protestations ne sont pas de nature économique, mais ils touchent fortement à l'économie. Il est très important d'écouter cet appel du Pape, parce que c'est précisément ce qui est la base d'un chemin de reconstruction nationale, qui vraiment à partir de cette dimension économique représente que le pays peut être une maison et une patrie pour tous. Que chacun ait des possibilités, un accès aux services de base, à ce qui représente des droits et des conditions de vie dignes pour tous.
Une autre question: les mesures prises dans le cadre du processus de paix pourraient-elles être mises en danger dans cette situation, dans cet état du pays?
R- La mise en œuvre de ces accords de 2016 dans le cadre du processus de paix avec la guérilla des FARC progresse. Il est certain qu'il y a eu des difficultés, il y a eu des plaintes de part et d'autre sur les réalisations faites, ou sur la mise en œuvre de ce qui avait été convenu. Le chemin de la mise en œuvre des accords se poursuit, il y a certains organismes en Colombie qui sont indépendants et qui continuent à travailler sur ce sujet.
La situation actuelle nous demande d'élargir les perspectives et d'avancer plus rapidement dans la mise en œuvre de ces accords, y compris en recherchant la paix avec d'autres secteurs, ce qui est nécessaire. Je pense qu'il peut encore y avoir un certain retard ou un discernement supplémentaire, mais nous espérons que le processus de paix se poursuivra, et qu'il pourra même être renforcé, compte tenu de toute la situation que nous vivons.
Il convient de rappeler que ces manifestations ont lieu dans un contexte de pandémie, alors que la Colombie a déjà enregistré environ 3 millions 383 mille cas au total, avec une moyenne de 20 000 cas par jour, et plus de 88 000 décès recensés. Est-ce que la priorité du moment est aussi à d’appeler à la prudence?
R- Oui, nous ne pouvons pas oublier cette réalité, avec les chiffres que vous avez mentionnés, qui sont réels, et que les autorités sanitaires nous rapportent quotidiennement. Il faut tenir compte de la population la plus touchée en ce moment, à savoir les jeunes, et les personnes de 30 à 50 ans. Nous avons une situation sanitaire critique dans les grandes villes du pays, il n'y a pas de disponibilité de lits pour les patients des soins intensifs, et il est donc nécessaire de prendre ce facteur en compte. Il ne fait aucun doute qu'il y a eu une forte incidence due aux manifestations.
Nous avons également appelé à la prudence, pour tenir compte de cette réalité, en plus de la souffrance et de la fatigue du personnel médical qui a déjà été exprimée dans différents médias. Nous espérons que tout cela pourra faire l'objet d'un accord, en respectant le droit à la manifestation pacifique, qu'il est toujours nécessaire de reconnaître et de garantir. La pandémie constitue un appel supplémentaire à prendre soin de la vie, la nôtre et celle des autres.
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