Voyage du Pape en Irak: trois mois plus tard, faire pousser le bon grain semé
Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
8 mars 2021: le Saint-Père revient à Rome après un pèlerinage de trois jours dans les pas d’Abraham, père des croyants. Un voyage apostolique historique: jamais un Successeur de Pierre ne s’était encore rendu en Irak. La situation sanitaire et sécuritaire laissait planer des doutes sur la possibilité d’effectuer ce déplacement, mais tout se déroula finalement sans encombre. Suivant un programme dense, François a pu rencontrer des populations encore meurtries par les guerres et les exactions de Daesh, et propager un message de fraternité et d’espérance. À Mossoul, Qaraqosh et Erbil, le Saint-Père a apporté aux chrétiens le réconfort du Bon Pasteur. «Aujourd’hui, je peux voir et toucher du doigt le fait que l’Église en Irak est vivante, que le Christ vit et œuvre dans ce peuple saint et fidèle qui est le sien», a-t-il par exemple assuré depuis la capitale du Kurdistan irakien.
Beaucoup d’images ont marqué les esprits, et l’enthousiasme était palpable dans tout le pays et au-delà après cette visite. Mais que reste-t-il aujourd’hui de cette parenthèse? Une simple nostalgie, ou le désir de cultiver ce qui a été semé?
Écoutons le témoignage de sœur Youmna, religieuse dominicaine de Sainte Catherine de Sienne, actuellement à Qaraqosh. Elle y enseigne le français et le catéchisme à des lycéens.
J’étais moi-même très contente de voir le Pape arriver dans mon village. Encore aujourd’hui, je n’exagère pas si je dis que tout le monde parle encore de la visite. Même la rue qui passe devant l’église, chaque fois que l’on passe là-bas, on entend dire «Cette rue a été pavée pour l’arrivée du Pape». Au mois de mars, il y avait l’icône de Marie, que le Pape a offerte à la communauté. Elle est toujours mise sur un stand et les gens prient devant cette icône. Quelque fois, des personnes m’envoient de courtes vidéos de l’arrivée du Pape, les voitures, la joie… tout cela reste comme quelque chose qui leur parle, et dont ils sont fiers, et moi-même aussi.
Les personnes qui vivent cela sont-elles uniquement des chrétiens?
La plupart sont des chrétiens, la majorité. À Qaraqosh, les musulmans sont en minorité – environ 5%. Voici une anecdote: il y a eu une réunion avec mon professeur de français et mon collègue musulman de Bagdad. Ce collègue a dit: il fallait attendre l’arrivée du Pape – catholique - pour que nous sachions qu’il y a un trésor à notre portée. Lui et ses collègues habitent à Bagdad. Les musulmans sont eux aussi touchés par la visite du Pape.
Est-ce que des projets se développent déjà après cette visite, notamment à Qaraqosh?
La visite du Pape était comme le souffle de l’Esprit Saint: il est léger. Il faut ensuite mettre en pratique les choses, vivre plus la fraternité, à la place de l’égoïsme que l’on a surtout envers l’autre qui est différent. Mais cela ne vient pas d’un jour à l’autre. Il faut de la patience, il faut accepter l’autre, c’est difficile. Après le départ du Pape, il y a eu la distribution de paniers de nourriture, de la part de musulmans aussi bien que de chrétiens. Ça, ce sont des choses faciles. Mais rebâtir la fraternité, l’homme, cela prend du temps. Il faut attendre encore un peu pour voir vraiment les fruits.
Il faut aussi le soutien du gouvernement; la classe politique irakienne a-t-elle été réceptive aux appels du Saint-Père?
Oui et non. Oui, parce qu’après le départ du Pape, il y a eu plusieurs visites de présidents, de personnalités du monde entier. Même le Premier ministre était très ouvert. Les hommes politiques ont décidé de mettre en pratique certaines valeurs pour rebâtir le pays. Mais plus tard, il y a eu du recul. Quand on préfère soit même à l’autre, c’est difficile d’aller plus loin. D’après moi, la fraternité proposée par le Pape a encore besoin de femmes, d’hommes, qui croient vraiment et qui donnent des sacrifices.
À vous qui êtes enseignante, que disent les jeunes générations de cette visite du Pape François?
Les premiers jours, après le départ du Saint-Père, tout le monde était vraiment encouragé pour aller de l’avant et oublier les conflits. Mes élèves m’ont dit: «Chez nous, c’est un village, et le Pape… venir ici à Qaraqosh dans un village, c’est la première fois». Je leur ai dit «Oui, regardez, il pense à nous». Un autre élève a dit «Quand Daesh est arrivé à Qaraqosh, on a pris ce chemin, et lui [le Pape] a préféré prendre ce même chemin pour voir combien on a souffert.» Ce sont de petites choses, mais pour eux et pour moi-même, c’est quelqu’un qui partage nos souffrances, c’est quelque chose de très grand pour nous. Je peux parler seulement avec les élèves chrétiens, mais les élèves musulmans, je sens qu’ils sont touchés. Ils ne le disent pas, mais je sens que cela change quelque chose dedans, à l’intérieur.
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