Un prêtre français à Cuba: inviter les chrétiens de l’île à être «témoins de l’espérance»
Entretien réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
Jamais, en treize ans de mission sur l’île des Caraïbes, don Jean n’avait été témoin d’un tel mouvement de contestation. Le 11 juillet dernier, des manifestations ont eu lieu dans quasiment toutes les villes et villages de Cuba. Des troubles d’une ampleur inédite depuis la révolution de 1959. Bilan: un mort, des dizaines de blessés et de nombreuses arrestations.
La Havane, sous sanctions américaines depuis 1962, a attribué la responsabilité de ces débordements à Washington. Aujourd’hui, la population est plus que jamais divisée, entre défenseurs de la Révolution et partisans d’un changement. Pour tenter d’apaiser la situation, le gouvernement a annoncé mercredi dernier une première salve de mesures - sont notamment facilitées l’importation d’aliments et de médicaments. Cela suffira-t-il à endiguer la crise et apaiser les Cubains? Rien n’est moins sûr, car les pénuries auxquelles la population est depuis longtemps confrontée sont aggravées par la mauvaise santé économique et la pandémie de covid-19.
Cette dégradation des conditions de vie est tangible pour don Jean Pichon. Depuis la paroisse de Placetas, située dans le diocèse de Santa Clara, au centre de l’île, il nous confie son témoignage.
On a assisté depuis plusieurs mois à une dégradation de la situation sociale et sanitaire, avec beaucoup de pénuries de produits de première nécessité. Cela avait commencé déjà avant la crise du Covid-19, mais ça c’est évidemment accentué depuis plus d’un an. On sent les gens vraiment fatigués et exténués, avec beaucoup de stress, d’agressivité, parce que la vie quotidienne des Cubains s’est transformée en véritable calvaire, avec la queue à faire pour tout, donc il est évident qu’il y avait un malaise profond que l’on pouvait sentir. Mais s’attendre à des manifestations telles qu’elles ont eu lieu, non. C’est vraiment du jamais-vu. Cela fait treize ans que je suis à Cuba, et je n’ai jamais vu cela, mais même historiquement, on n’a jamais vu dans toutes les villes de l’île, au même moment et le même jour, des gens qui descendent dans la rue. Le gouvernement a été lui-même surpris. On le voit dans les réponses qui ont été données; on sent bien qu’ils ont été pris de cours et ils ont eu peur.
Les revendications de la population cubaine concernent davantage la vie quotidienne ou bien des aspects politiques?
Je pense que cela part d’un problème très concret, aussi bien au niveau de l’alimentation que des médicaments, et aussi de toutes les limitations faites concernant les libertés individuelles. Et évidemment, comme à Cuba il n’y a qu’un seul parti, dès qu’il y a un problème concret, cela se transforme en revendication politique. La difficulté est qu’il n’y a pas les moyens d’exprimer son mécontentement. Pour l’instant c’est très vague: on demande plus de liberté, moins de répression, et aussi que les gens puissent vivre dignement.
Au cours de ces derniers mois, votre mission auprès de la population a-t-elle évolué, et de quelle manière?
Il faut savoir que l’Église à Cuba a une mission humanitaire assez forte. Dès les années 1990, après la chute de l’URSS, quand la situation économique est devenue très difficile à Cuba, l’Église a commencé à reprendre un peu de place dans la société par le biais des comedor, c’est-à-dire des soupes populaires, et de tous les programmes permettant de venir en aide aux plus démunis. C’est donc une réalité très forte de l’Église cubaine, déjà depuis longtemps.
Avec la récente crise sanitaire, il y a beaucoup plus qu’auparavant des gens qui ont faim. La difficulté est que nous aidons dans la mesure de nos possibilités, mais nous sommes confrontés aux mêmes problèmes de pénurie. Parfois, même si on a l’argent dans les mains, on ne trouve pas les aliments nécessaires pour nourrir les personnes.
Notre mission a donc évolué dans le sens où l’on est plus attentifs, et qu’il y a plus de besoins.
Au sein de la population, observez-vous malgré tout une forme de solidarité?
Oui, les Cubains sont très solidaires les uns des autres, ils s’entraident beaucoup. Le problème est qu’en ce moment, la vie quotidienne est transformée. Les mères de familles notamment passent le plus clair de leur temps à faire la queue pour trouver de la nourriture. Les gens essaient de s’entraider dans la mesure du possible, mais le problème est que pour pouvoir nourrir son voisin, il faut avoir soi-même de quoi nourrir ses enfants.
Êtes-vous inquiet face à la situation actuelle?
Oui, dans le sens où l’on ne sait pas trop comment cela va se passer. Il y a aujourd’hui beaucoup de prisonniers, bien plus que la centaine annoncée dans les médias. La police continue d’arrêter des gens chez eux, tous ceux qui étaient dans les manifestations perdent leur travail– ils ont commencé à licencier des professeurs, des gens qui travaillent dans le domaine de la culture –et dans le même temps, le président a fait un discours à l’unité, mais on voit bien que dans les faits, ce n’est pas du tout le cas. Donc le régime a peur, et nous-mêmes avons reçu des menaces du parti si on parlait trop, si on faisait des choses. On sent qu’ils ont peur, qu’ils ne savent pas comment ça va se passer. Donc oui, c’est inquiétant, d’autant plus qu’il y a un climat de violence qui peut exploser. Je pense aussi que malheureusement, face à une situation qui dure depuis tellement longtemps, il faut à un moment passer outre la peur et se dire que même si cela doit coûter, si cela doit être difficile, il faut aussi que les choses évoluent.
Qu’en est-il des jeunes que vous rencontrez?
La jeunesse demande un changement, et surtout – c’est cela le constat d’échec flagrant pour ce système politique à Cuba – les jeunes veulent partir, par tous les moyens. La pandémie, les frontières fermées, les difficultés pour obtenir des visas, n’ont fait qu’accentuer ce désir de partir. En treize ans, c’est impressionnant le nombre de personnes qui sont parties de Cuba. Et dès que les frontières vont un peu rouvrir, ce sera une hémorragie. Nous essayons donc de permettre aux gens d’avoir l’espoir de construire leur vie ici, mais il est très dur pour les jeunes d’avoir un projet de vie sur place. Ils veulent partir car ils n’en peuvent plus.
Père Jean, quel message adressez-vous aux paroissiens dans cette épreuve?
Avant tout, un message d’espérance et de confiance en Dieu. Notre rôle comme pasteurs est avant tout de rappeler l’importance de notre confiance dans la prière. Souvent les gens nous demandent ce qu’ils peuvent faire. Ce que l’on peut faire tous, c’est de prier. C’est cela qui compte, et c’est vraiment cela qui va faire bouger les choses. Si l’on a vraiment la foi, c’est cela qu’on croit. On sait que l’on va vers des jours difficiles. Si les choses ne devaient pas bouger au niveau politique, ce sera de toute façon compliqué, car l’épidémie est en train d’augmenter et qu’il y a beaucoup de pénuries, et je pense que le rôle des chrétiens aujourd’hui dans la société cubaine est justement d’être ces témoins de l’espérance que nous donne notre foi: le Christ qui a vaincu le mal et nous invite à le suivre sur ce chemin vers la Résurrection, qui passe aussi par la Croix.
Objectivement, les Cubains sont dans un moment compliqué, mais on peut les aider concrètement en priant pour eux.
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