Soudan du Sud: «Nous ne pouvons pas céder à la violence»
Antonella Palermo - Cité du Vatican
Le 16 août dernier, une embuscade a visé la route reliant Juba à Nimule ; cinq personnes y ont perdu la vie, dont deux religieuses de la Congrégation du Sacré-Cœur. Au lendemain de l’envoi par le Pape d’un télégramme de condoléances, la supérieure des sœurs comboniennes dans le pays, Sœur Maria Martinelli, rend hommage à ces religieuses qu'elle connaissait personnellement.
Comment avez-vous réagi en apprenant les condoléances du Pape ?
J'ai été heureuse de savoir que l'Église est proche de ce pays, de ce peuple, de cette Église particulière qui a aussi ses problèmes et qui vit avec le peuple la précarité qui dure depuis des années, malheureusement. Ce qui s'est passé lundi nous a tous laissé très choqués : on ne s’habitue jamais à la violence ; ces choses se produisent, malheureusement, sur cette route et sur d'autres routes.
Elles arrivent tous les jours à cause des questions de banditisme, des questions politiques qui sont mélangées, des questions culturelles. Mais cette mort nous a laissé encore plus bouleversés, car ce n'est pas une chose normale au Soudan du Sud de tuer directement des sœurs. Habituellement, il y a du respect pour les personnes religieuses. Cela indique un changement, qu'il y a vraiment quelque chose qui ne va pas au fond.
Un changement, dans quel sens ?
Du sens des valeurs auxquelles les gens se réfèrent. Même les non-chrétiens ont toujours eu beaucoup de respect pour nous. Une femme qui faisait partie du groupe d'agresseurs - d'après ce que j'ai compris - a dit : «Ne les tuons pas, ce sont des religieuses, elles appartiennent à l'Église». Le tireur lui a répondu : «Qu'est-ce que c’est l'Église, qu'est-ce que ça veut dire ?». Il y a donc vraiment un changement d'attitude. Je ne sais pas comment l'expliquer.
Dans son télégramme, le Pape a parlé d'un «acte de violence insensé»...
C'est insensé et sans précédent. Ils savaient qui ils tuaient, peut-être pas le nom mais qu'il s'agissait de religieuses.
A-t-on perdu le sens des limites ?
Oui, du moins pour ces gens qui vivent dans la brousse. Ils mènent des actions de déstabilisation. Cela montre que le chemin vers la paix est encore long et ardu. Tout le monde ne s'engage pas dans cette voie, tout le monde ne comprend pas son importance. Et d'un autre côté, il y a tant de groupes, tant de confusion, tant de pauvreté... Ce sont d'énormes écueils sur le chemin de la paix. D'une certaine manière, il est également compréhensible qu'il y ait un manque d'unité d'objectif, mais d'un autre côté, plus cela dure, plus cela empire.
Quel est le but de ces actions de déstabilisation ?
Je ne sais pas si quelqu'un est derrière tout cela, je ne peux pas dire s'il y a un plan, mais il est certain que ces actions, l'une après l'autre, créent une déstabilisation en soi. Lorsque vous ne pouvez pas passer dans une rue parce que vous êtes sûr à 90 % qu’on vous tuera ou qu’on vous laissera sans rien, il est clair que vous ne pouvez pas penser à un commerce, à des communications normales. Vous ne pouvez pas. Tout cela crée des difficultés.
Connaissiez-vous ces religieuses ?
Oui. Sœur Maria Abud était une personne extraordinaire, elle a été supérieure générale pendant deux mandats de six ans. Elle est maintenant directrice d'une grande école primaire à Juba. Très aimée de tous. Connue de tous. Très engagée, elle savait ce qu'elle faisait, elle savait comment dire la vérité dans différents contextes. Elle était aussi très gentille, très fraternelle. Je ne connaissais pas très bien Sœur Regina, elle était à Uau, où elle enseignait comme tutrice à l'école d'infirmières et supervisait les étudiants pratiquants à l'hôpital. Des femmes formidables.
Leur mort tragique laisse-t-elle place à la peur ou à la détermination ?
Peut-être plus de détermination. On ne peut pas céder à ceux qui ne cherchent que la violence. Nous devons nous engager davantage dans l'éducation des jeunes, pour leur montrer des modèles de vie autres que ceux basés sur la violence ou sur le seul fait d'avoir de l'argent. Les jeunes doivent retrouver des valeurs pour construire une société saine.
Le Pape a exprimé le désir de se rendre au Soudan du Sud, mais les conditions ne le permettent toujours pas...
La visite du Pape ferait certainement beaucoup de bien à de nombreuses personnes. S'il venait maintenant, ce serait limité dans le temps et l'espace. Mais cela pourrait être un important signe d'espérance. Sa présence, même brève, même à distance. Voyons si cela sera possible, un jour ou l'autre...
Avez-vous un appel pour ce pays ?
Ne nous abandonnez pas. Continuez à prier pour la paix, pour que nous puissions réellement poser les bases d'un nouveau départ serein, d'un chemin qui mène à la fraternité. Il y a encore trop de divisions, et elles sont aussi, à mon avis, fomentées au niveau politique. Ce qui était censé être la construction pacifique d'un pays s'est avéré être un désastre, précisément à cause de ces intérêts privés, finalement tribaux, voire claniques. Au lieu de former une culture de partage.... Nous devons recommencer. On ne peut pas accepter d'être simplement des victimes.
Quels sont les signes de bien que vous voyez, malgré la dévastation ?
Par exemple, toutes les personnes qui ont côtoyé les religieuses du Sacré-Cœur, celles-là même qui ont participé à la célébration du centenaire qui s'est terminée tragiquement. Des gens simples. Il y a ce désir d'étudier, de créer quelque chose de différent au milieu de tant de contradictions. Il y a ce désir de se lever. Il faut l'accompagner, l'aider.
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