Mgr de Moulins-Beaufort: "Fratelli tutti" nous invite à aborder les phénomènes migratoires avec espérance
Cyprien Viet - Cité du Vatican
L’assemblée plénière du Conseil des Conférences Épiscopales d’Europe, réunie cette année à Rome pour le 50e anniversaire de cette organisation, a précédé la célébration de la 107e Journée mondiale du migrant et du réfugié, ce dimanche 26 septembre.
Les transformations de la société induites par les migrations suscitent parfois des interrogations et des craintes, auxquelles les présidents des conférences épiscopales d’Europe ont cherché à répondre en s’appuyant sur Fratelli tutti, l’encyclique du Pape François publiée en 2020, qui apporte une base intellectuelle et spirituelle pour définir les axes prioritaires de l’action de l’Église catholique dans cette période d’instabilité sociale, pleine de dangers mais aussi d’opportunités à saisir.
Les migrations, un défi spirituel
Le président de la Conférence des évêques de France, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, a participé à l’assemblée du CCEE. Il nous confie sa réflexion sur les phénomènes migratoires actuels, qui représentent un défi politique et humain, mais aussi un défi spirituel. Une réflexion biblique et théologique sur le phénomène de la migration est en effet nécessaire pour que l’Église catholique parvienne à assumer son rôle prophétique, dans ses paroles et dans ses actes. Le président de la CEF salue les efforts du Pape François en ce sens :
Fratelli tutti nous invite à une vision de l'humanité qui s’enracine dans une vision trinitaire, aussi, de Dieu. Et c'est là que nous avons des ressources intellectuelles, qu'il nous faut maintenant développer philosophiquement et théologiquement, pour répondre au défi culturel qui s'impose un peu en Europe.
On pourrait dire que l’une des plus grandes difficultés, c'est la compréhension de ce qu’est l'homme, de ce qu’il vient faire sur cette terre. Je crois que le Christ est venu pour nous donner la capacité de porter, d'assumer, de transformer dans la charité toutes les contraintes dans lesquelles nous pouvons nous trouver, et puis de recevoir les autres, et la place que les autres nous donnent, non pas comme une contrainte mais comme un don, et comme une possibilité de communion. Nous avons à faire entendre ça dans ce monde qui s'y refuse, assez fortement.
L’accueil des migrants est l’un des grands sujets de l'actualité européenne, et le sera encore plus au fil des années à venir. Avec vos confrères des autres pays, comment se passent les échanges sur cette question de l'accueil des migrants?
Déjà, je trouve très important de réaliser que nous avons des histoires différentes et que nous, Européens occidentaux, nous avons eu les empires coloniaux - pour le meilleur et pour le pire, il faut quand même pouvoir le reconnaître -, tandis que les pays de l'Est nous ont servi de rempart contre l'Empire ottoman pendant des siècles, et n’ont pas eu la possibilité de se lancer dans une aventure coloniale. Il est très important que nous soyons conscients que nous avons des responsabilités historiques différentes, et que nous ne pouvons pas demander aux pays de l'Est de l'Europe de payer les pots cassés, si je puis dire, des conséquences de nos propres aventures.
Or, une grande partie des problèmes de l'immigration aujourd'hui sont quand même la suite de la colonisation, et des décolonisations plus ou moins réussies que nous avons connues. J'aimerais que nos dirigeants politiques soient capables de comprendre qu'il y a cette différence-là, et de l'assumer, plutôt que de s'excuser de ce qu’ils ne font pas dans nos pays en faisant porter la faute sur les responsables des pays de l'Est de l'Europe.
Et puis réciproquement, il faut que les pays de l’Est de l'Europe aident aussi leurs populations à comprendre que c'est un défi difficile, et que ce n'est pas en le refusant qu'on va vraiment y faire face.
En France même, certains catholiques sont effrayés par cet enjeu des migrations, mais comment les paroisses et les mouvements abordent-ils la question de l’intégration ? Comment les paroisses catholiques peuvent-elles être des creusets de cette intégration, et contribuer ainsi à la bonne marche de la société ?
Dans beaucoup de paroisses, il y a des initiatives très heureuses. Dès qu’on rencontre une personne, ou quelques personnes, il peut y avoir de très belles initiatives, on pourrait multiplier les exemples.
Après, ce qui est toujours difficile, c'est quand on globalise le phénomène, et qu'on ne voit pas simplement quelques personnes mais des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes. Je n’ai jamais eu l'impression d'entendre des hommes politiques capable de de nous dire, ce qui, je crois, quand même, est la vérité : le fait que c'est un phénomène inéluctable. Nous ne pouvons pas rêver de garder notre mode de vie tel qu'il est, de n’accueillir personne et de laisser par conséquent les peuples porter eux-mêmes, chez eux, ce qui relève quand même des conséquences de notre mode de vie, pour une grande part.
Dans les années 1974-75, quand la France a consenti enfin au regroupement familial, on a manqué à la fois de rigueur, mais aussi de générosité, dans la manière d’accueillir les personnes, les familles qui allaient venir, pour à la fois exiger d’elles, mais aussi les aider à apprendre le français, à maîtriser la culture française. C’est un travail très long, qui suscite de la peur y comprit chez des chrétiens qui voient le monde se déliter, qui ne voient pas très bien ce qui se construit.
Et de ce point de vue-là, l’encyclique Fratelli tutti est un formidable message d'espérance, non pas "d'espoir" au sens d'un espoir humain, mais, je crois, d'espérance. Parce que ce qui a animé le Pape François, et ce qui nous anime tous, c’est la confiance en Dieu qui a créé l’humanité diverse et variée. La dispersion de l'humanité est sans doute le fruit du péché, mais l'unification de cette humanité, elle est la promesse qui est continue dans la Pentecôte, et il faut oser croire que l'esprit de la Pentecôte travaille.
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