Congrès eucharistique: des origines françaises, un essor mondial
Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican
La Hongrie a attendu près d'un siècle pour pouvoir accueillir de nouveau le congrès eucharistique international après celui de 1938 - le pays célèbrait alors le 900ème anniversaire de la mort du roi saint Étienne, fondateur de l'État et de l'Église de Hongrie.
Le tout premier congrès eucharistique s’est tenu en 1881 à Lille, dans le nord de la France, puis en un siècle et demi, ce mouvement eucharistique a gagné une envergure mondiale. Cette semaine de célébration, avec ses conférences, messes, adorations eucharistiques et processions ainsi que diverses activités spirituelles et culturelles, vise à approfondir la connaissance et la vénération de l’Eucharistie, précieux trésor de la foi chrétienne.
Outre les fidèles des quatre coins du monde, de nombreux cardinaux et évêques d’Europe centrale vont faire le déplacement pour ces quelques jours de prière et réflexion.
Cela faisait 21 ans qu’un Pape n’avait pas participé à un Congrès eucharistique. Jean-Paul II avait alors participé au Congrès eucharistique organisé en l'an 2000 à Rome, dans le contexte du Jubilé. Par ailleurs, le dernier voyage international d’un évêque de Rome pour cette occasion remonte à 1997, avec Jean-Paul II également, à Wroclaw en Pologne.
L'historien Christian Sorrel, spécialiste du catholicisme à l’Université Lyon II, membre du comité pontifical des sciences historiques, nous retrace l'évolution des congrès eucharistiques depuis leur origine, il y a 140 ans.
Qu’est-ce qu’un congrès eucharistique?
C’est à la fois un acte de réflexion et un acte de dévotion. Il s’agit de parler de l’Eucharistie, de comprendre les enjeux de l’Eucharistie dans la société contemporaine, et en même temps, de manifester par la célébration eucharistique et par la procession, une dévotion à l’égard de l’hostie consacrée.
À quand remontent les origines de ces congrès? Quelle était leur mission originelle?
Dans les années 1870-1880, une jeune française, Émilie Tamisier, en a eu l’idée. Le congrès eucharistique renouvelait en quelque sorte la démarche du pèlerinage par l’adjonction de séances de travail et de réflexion. Nous nous situons dans les décennies 1870-1880 qui sont une période de crise, après la guerre franco-allemande, et plus largement dans les suites de la Révolution française. Pour Émilie Tamisier, il s’agissait donc de restaurer le culte eucharistique pour sauver, protéger la société des maux hérités de la Révolution.
Comment les congrès ont-ils rapidement pris de l’ampleur au niveau international?
Ils se sont présentés d’emblée comme internationaux. Le premier a lieu à Lille en 1881, les catholiques du nord de la France étant alors très dynamiques. Mais au départ, cette perspective internationale est plus proclamée que réelle. Les congrès sont surtout français, belges ou suisses pendant une vingtaine d’années. Au début du XXème siècle, la dimension internationale s’affirme. Rome en 1905, puis l’année suivante le Pape envoie systématiquement un légat et ces congrès vont se tenir dans des grandes capitales, européennes d’abord; pas nécessairement catholiques, Londres par exemple. On franchit les océans: en 1910, c’est Montréal. La Première Guerre mondiale donne un coup d’arrêt, et après 1920, le mouvement des congrès eucharistiques se mondialise.
S’agit-il des premiers rassemblements de masse des catholiques?
Non, car les pèlerinages du XIXème siècle rassemblaient des masses considérables, mais ils sont une forme nouvelle, plus moderne et militante, du rassemblement de masse. Dès le départ, outre les séances de travail, un objectif est affiché: celui d’occuper la rue, donner une visibilité à l’Église catholique, qui peut être persécutée ou en tension avec la société. Il y a un vrai souci de présence sociale. C’est d’ailleurs au cœur des congrès eucharistiques que chemine, non sans débat, la thèse de la royauté sociale du Christ, qui va aboutir sous Pie XI à la fête du Christ-Roi.
Hormis Carthage en 1930, il n’y a pas eu de congrès eucharistiques sur le continent africain. Pourquoi?
Effectivement, le congrès de Carthage a été beaucoup discuté dans la mesure où il se tenait en terre musulmane et colonisée. Deux facteurs qui pouvaient créer des tensions à l’heure des nationalismes émergents. Mais l’Afrique n’a jamais pu tenir de congrès en grande partie pour des raisons économiques et logistiques.
À partir de quand les Papes y ont-ils participé?
Un légat du Pape est systématiquement envoyé depuis 1906. Le premier Pape présent à un congrès est Paul VI en 1964 à Bombay en Inde. Le contexte est particulier: celui du Concile, d’une Église qui s’interroge sur elle-même, et d’une société qui s’interroge sur «un certain triomphalisme de l’Église». Des congrès eucharistiques qui peuvent rassembler au moment de la procession finale, 500 000, un million de personnes, ont pu être jugés dans les années 1950 et 1960 comme une démonstration un peu désuète, une Église en décalage avec la réalité. Le congrès de Bombay était donc chargé d’enjeux, d’autant que l’on se trouve sur une terre où la faim matérielle est première à l’heure du Tiers-monde émergeant.
À partir de 1964, assez régulièrement, sauf rares exceptions, les Papes ont participé aux congrès eucharistiques. Leur présence signifie un appui très fort donné aux congrès, qui, à l’origine, sont des initiatives privées, progressivement devenues des initiatives promues par le Saint-Siège.
Aujourd’hui, XXIème siècle, comment ces congrès eucharistiques sont-ils perçus, alors que la foi et la pratique a bien souvent évolué?
L’écho médiatique est naturellement moins important. Mais la différence est liée aux sociétés dans lesquelles ils se déroulent. Wroclaw 1997 dans la Pologne de Jean-Paul II n’a pas le même écho que celui de Dublin en 2012 dans une Église en crise. L’enjeu est de réfléchir à la place du catholicisme dans ces sociétés européennes sécularisées, éprouvées, déstabilisées, par les mouvements migratoires, populistes. Les catholiques qui vont se réunir à Budapest dans la Hongrie d’aujourd’hui ne peuvent ignorer ces contextes politiques et sociaux, tout comme les catholiques de 1881 ne pouvaient les ignorer.
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