Église en France: après le traumatisme des abus, l'urgence de l'écoute
Cyprien Viet - Cité du Vatican
Comme tous les pays du monde, l’Église catholique de France est entrée dimanche 17 octobre dans la phase diocésaine du processus synodal ouvert une semaine plus tôt par le Pape François à Rome. Au centre de la réflexion, figure le thème de la co-responsabilité des laïcs, et donc de l’implication de l’ensemble du Peuple de Dieu dans la conduite de l’Église catholique, aux côtés des religieux et des ministres ordonnés.
Face aux abus, une transformation en profondeur est nécessaire
Cette démarche prend un relief particulier en France, où le traumatisme laissé par la publication du rapport de la Commission Sauvé, le 5 octobre dernier, demeure très vif dans les paroisses et les communautés. L’ampleur du phénomène des abus sexuels sur mineurs au sein de l’Église pose en effet avec urgence la question d’une réforme des structures, mais aussi et surtout d’une réforme intérieure de chaque catholique, notamment dans sa conception de l’autorité, de l’obéissance, de la prise de parole, de la priorité laissée aux plus petits, et donc aux victimes d’abus.
L’abbé Paul-Antoine Drouin, vicaire général du diocèse du Mans de 2009 à 2021, actuellement au service d'une paroisse du diocèse de Nantes, nous livre son regard sur cette période particulièrement humiliante et bouleversante pour les prêtres, mais dont peut jaillir un réel processus de renouveau et de rapprochement avec le Christ.
Pendant douze ans, j'ai rencontré plusieurs victimes, elles avaient besoin de cette rencontre avec une personne qui avait une forme d'autorité dans l'Église. Nous pouvons sûrement trouver les moyens de donner la parole aux victimes, y compris dans les séminaires, dans les lieux de formation, mais c'est le fond de l’Évangile: comment met-on ceux qui sont blessés, les petits, au cœur de la vie de l’Église. C'est la question centrale qui doit activer nos vies chrétiennes.
Nous sommes frappés par l’ampleur du phénomène. C'est surtout ça qui est assez heurtant, de se dire que tant de victimes ont pu être touchées par ces actes de pédocriminalité. Je pense que c’est le cas pour la plupart de mes frères prêtres, que je trouve très discrets d'ailleurs en ce moment sur ces questions, peut-être parce que le temps du silence s’impose devant cette catastrophe.
Est-ce que, dans votre diocèse, les prêtres sont accompagnés, vivent des temps d'échange pour affronter ce problème douloureux?
Dans le diocèse que je servais, il y a eu une rencontre pour ceux qui le voulaient autour de l'évêque. Une vingtaine de prêtres ont répondu. Dans le diocèse que je sers actuellement en Loire-Atlantique l'évêque en a parlé juste avant la sortie du rapport. Et puis nous, localement, sur la paroisse, nous en parlons entre prêtres mais nous avons voulu associer des laïcs, et en disant «Mais parlons ! Laissons jaillir la parole de tous!». Il me semble qu'il faut qu'on se réunisse tous ensemble, dans la complémentarité de nos vocations, prêtres fidèles laïcs, religieux, religieuses, afin de situer des nouveaux chemins.
Je reviens à la lettre que le Pape François avait écrite à l'été 2018, il faisait appel à l'ensemble du Peuple de Dieu. Le temps où l'on règlait ces problèmes, soit seulement entre évêques, ou à la limite, entre évêques et prêtres, est fini. Maintenant, la complémentarité de nos vocations va pouvoir nous aider.
Je pense à nos frères évêques. Ils vont se réunir à Lourdes bientôt, il serait bon qu’il y ait un vrai signal, que les évêques, très humblement, disent: «Nous ne pouvons pas résoudre ce problème sans vous», c’est-à-dire sans toutes les vocations de l'Église. Nos évêques ont fait preuve d'un grand courage en demandant le rapport de la CIASE. Maintenant le deuxième courage qu'on leur demande c'est d'avoir l'humilité de dire: «Nous ne pouvons pas traiter cette question sans les uns et les autres».
Au terme de son rapport, la CIASE propose 45 recommandations assez concrètes sur le plan de l'organisation de la vie de l'Église et de la coresponsabilité des laïcs. Est-ce que la phase diocésaine du processus synodal qui vient de s'ouvrir pourrait être une occasion pour étudier ces recommandations?
Je rêverais qu’aujourd'hui dans nos diocèses, même avant l'assemblée plénière des évêques à Lourdes, l'on réunisse une assemblée synodale, ou le Conseil diocésain de pastorale où il y a une majorité de laïcs, pour dire comment nous recevons ces 45 recommandations de la CIASE, pour que nos évêques quand ils vont se retrouver à Lourdes -et ils ont besoin de se retrouver aussi entre eux à un moment donné-, ils aient entendu déjà les réactions de leurs collaborateurs, fidèles laïcs, prêtres et religieux, face à ces recommandations de la CIASE.
C'est vraiment un travail de synodalité, il demande du courage, de l'humilité, beaucoup d’écoute, de dire: «Sans toi, je ne peux pas y arriver». C'est une affaire de complémentarité.
Est-ce que ce temps de Croix, d'humiliation, peut aussi être vécu comme une grâce, comme une opportunité de purification spirituelle?
Évidemment cela fait partie du message évangélique, le fait que par la Croix, nous arrivons à la Résurrection. Mais je fais attention en utilisant ce terme, parce que quand des victimes entendent cela, cela peut être aussi très délicat à entendre. Mais c'est le mystère de la Croix, effectivement.
Le fond du sujet, et je crois que le Saint-Père nous y ramène depuis le début de son pontificat, est le retour à l'Évangile, au mystère de la Croix, au mystère de la Résurrection, cette incarnation.
Pour nous les prêtres, je pense que cela va être la grande réforme de nos vies: d’être un sacerdoce incarné, au milieu des hommes et femmes de ce temps. Pour le moment, nous pleurons sur notre petitesse à nous, Église aujourd'hui, parce que l'on a du mal à devenir un peuple minoritaire, et du coup cela efface parfois ce visage des tout-petits, qui, eux, ont besoin de nous, quel que soit notre nombre.
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